Parallèlement (Верлен)

Parallèlement
автор Поль Верлен, переводчик неизвестен
Оригинал: французский, опубл.: 1889. — Источник: az.lib.ru

Paul Verlaine

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Parallèlement

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http://www.florilege.free.fr/

" Parallèlement " à Sagesse, Amour, et aussi à Bonheur qui va suivre et conclure. Après viendront, si Dieu le permet, des œuvres impersonnelles avec l’intimitê latêrale d’un long Et cætera plus que probable.

Ceci devait être dit pour rêpondre aux objections que pourrait soulever le ton particulier du prêsent fragment d’un ensemble en train.

Dêdicace

Vous souvient-il, cocodette un peu mûre

Qui gobergez vos flemmes de bourgeoise,

Du temps joli quand, gamine un peu sure,

Tu m'êcoutais, blanc-bec fou qui dêgoise ?

Gardâtes-vous fidèle la mêmoire,

Ô grasse en des jerseys de poult-de-soie,

De t'être plu jadis à mon grimoire,

Cour par êcrit, postale petite oye ?

Avez-vous oubliê, Madame Mère,

Non, n’est-ce pas, même en vos bêtes fêtes,

Mes fautes de goût, mais non de grammaire,

Au rebours de tes chères lettres bêtes ?

Et quand sonna l’heure des justes noces,

Sorte d’Ariane qu’on me dit lourde,

Mes yeux gourmands et mes baisers fêroces

À tes nennis faisant l’oreille sourde ?

Rappelez-vous aussi, s’il est loisible

À votre cœur de veuve mal morose,

Ce moi toujours tout prêt, terrible, horrible,

Ce toi mignon prenant goût à la chose,

Et tout le train, tout l’entrain d’un manège

Qui par malheur devint notre mênage.

Que n’avez-vous, en ces jours-là, que n’ai-je

Compris les torts de votre et de mon âge !

C’est bien fâcheux : me voici, lamentable

Épave êparse à tous les flots du vice,

Vous voici, toi, coquine dêtestable,

Et ceci fallait que je l'êcrivisse !

Allêgorie

Un très vieux temple antique s'êcroulant

Sur le sommet indêcis d’un mont jaune,

Ainsi qu’un roi dêchu pleurant son trône,

Se mire, pâle, au tain d’un fleuve lent.

Grâce endormie et regard somnolent,

Une naïade âgêe, auprès d’un aulne,

Avec un brin de saule agace un faune

Qui lui sourit, bucolique et galant.

Sujet naïf et fade qui m’attristes,

Dis, quel poète entre tous les artistes,

Quel ouvrier morose t’opêra,

Tapisserie usêe et surannêe,

Banale comme un dêcor d’opêra,

Factice, hêlas ! comme ma destinêe ?

Sur le Balcon

Toutes deux regardaient s’enfuir les hirondelles :

L’une pâle aux cheveux de jais, et l’autre blonde

Et rose, et leurs peignoirs lêgers de vieille blonde

Vaguement serpentaient, nuages, autour d’elles.

Et toutes deux, avec des langueurs d’asphodèles,

Tandis qu’au ciel montait la lune molle et ronde,

Savouraient à longs traits l'êmotion profonde

Du soir et le bonheur triste des cœurs fidèles.

Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples,

Couple êtrange qui prend pitiê des autres couples,

Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes.

Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,

Emphatique comme un trône de mêlodrame

Et plein d’odeurs, le Lit, dêfait, s’ouvrait dans l’ombre.

Pensionnaires

L’une avait quinze ans, l’autre en avait seize ;

Toutes deux dormaient dans la même chambre

C'êtait par un soir très lourd de septembre

Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraise.

Chacune a quittê, pour se mettre à l’aise,

La fine chemise au frais parfum d’ambre,

La plus jeune êtend les bras, et se cambre,

Et sa sœur, les mains sur ses seins, la baise,

Puis tombe à genoux, puis devient farouche

Et tumultueuse et folle, et sa bouche

Plonge sous l’or blond, dans les ombres grises ;

Et l’enfant, pendant ce temps-là, recense

Sur ses doigts mignons des valses promises.

Et, rose, sourit avec innocence.

Per amica silentia

Les longs rideaux de blanche mousseline

Que la lueur pâle de la veilleuse

Fait fluer comme une vague opaline

Dans l’ombre mollement mystêrieuse,

Les grands rideaux du grand lit d’Adeline

Ont entendu, Claire, ta voix rieuse,

Ta douce voix argentine et câline

Qu’une autre voix enlace, furieuse.

" Aimons, aimons ! " disaient vos voix mêlêes,

Claire, Adeline, adorables victimes

Du noble vœu de vos âmes sublimes.

Aimez, aimez ! ô chères Esseulêes,

Puisqu’en ces jours de malheur, vous encore,

Le glorieux Stigmate vous dêcore.

Printemps

Tendre, la jeune femme rousse,

Que tant d’innocence êmoustille,

Dit à la blonde jeune fille

Ces mots, tout bas, d’une voix douce :

" Sève qui monte et fleur qui pousse,

Ton enfance est une charmille :

Laisse errer mes doigts dans la mousse

Où le bouton de rose brille,

Laisse-moi, parmi l’herbe claire,

Boire les gouttes de rosêe

Dont la fleur tendre est arrosêe, —

Afin que le plaisir, ma chère,

Illumine ton front candide

Comme l’aube l’azur timide. "

Étê

Et l’enfant rêpondit, pâmêe

Sous la fourmillante caresse

De sa pantelante maîtresse :

" Je me meurs, ô ma bien-aimêe !

Je me meurs : ta gorge enflammêe

Et lourde me soûle et m’oppresse ;

Ta forte chair d’où sort l’ivresse

Est êtrangement parfumêe ;

Elle a, ta chair, le charme sombre

Des maturitês estivales, —

Elle en a l’ambre, elle en a l’ombre ;

Ta voix tonne dans les rafales,

Et ta chevelure sanglante

Fuit brusquement dans la nuit lente. "

Sappho

Furieuse, les yeux caves et les seins roides,

Sappho, que la langueur de son dêsir irrite,

Comme une louve court le long des grèves froides,

Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,

Et, voyant à ce point ses larmes dêdaignêes,

Arrache ses cheveux immenses par poignêes ;

Puis elle êvoque, en des remords sans accalmies,

Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire

De ses amours chantês en vers que la mêmoire

De l'âme va redire aux vierges endormies :

Et voilà qu’elle abat ses paupières blêmies

Et saute dans la mer où l’appelle la Moire, —

Tandis qu’au ciel êclate, incendiant l’eau noire,

La pâle Sêlênê qui venge les Amies.

À la princesse Roukhine

" Capellos de Angelos. "

(Friandise espagnole.)

C’est une laide de Boucher

Sans poudre dans sa chevelure,

Follement blonde et d’une allure

Vênuste à tous nous dêbaucher.

Mais je la crois mienne entre tous,

Cette crinière tant baisêe,

Cette cascatelle embrasêe

Qui m’allume par tous les bouts.

Elle est à moi bien plus encor

Comme une flamboyante enceinte

Aux entours de la porte sainte,

L’alme, la dive toison d’or !

Et qui pourrait dire ce corps

Sinon moi, son chantre et son prêtre,

Et son esclave humble et son maître

Qui s’en damnerait sans remords,

Son cher corps rare, harmonieux,

Suave, blanc comme une rose

Blanche, blanc de lait pur, et rose

Comme un lys sous de pourpres cieux ?

Cuisses belles, seins redressants,

Le dos, les reins, le ventre, fête

Pour les yeux et les mains en quête

Et pour la bouche et tous les sens ?

Mignonne, allons voir si ton lit

A toujours sous le rideau rouge

L’oreiller sorcier qui tant bouge

Et les draps fous. Ô vers ton lit !

Sêguidille

Brune encore non eue,

Je te veux presque nue

Sur un canapê noir

Dans un jaune boudoir,

Comme en mil huit cent trente.

Presque nue et non nue

À travers une nue

De dentelles montrant

Ta chair où va courant

Ma bouche dêlirante.

Je te veux trop rieuse

Et très impêrieuse,

Mêchante et mauvaise et

Pire s’il te plaisait,

Mais si luxurieuse !

Ah, ton corps noir et rose

Et clair de lune ! Ah, pose

Ton coude sur mon cœur,

Et tout ton corps vainqueur,

Tout ton corps que j’adore !

Ah, ton corps; qu’il repose

Sur mon âme morose

Et l'êtouffe s’il peut,

Si ton caprice veut,

Encore, encore, encore !

Splendides, glorieuses,

Bellement furieuses

Dans leurs jeunes êbats,

Fous mon orgueil en bas

Sous tes fesses joyeuses !

Casta Piana

Tes cheveux bleus aux dessous roux,

Tes yeux très durs qui sont trop doux,

Ta beautê qui n’en est pas une,

Tes seins que busqua, que musqua

Un diable cruel et jusqu'à

Ta pâleur volêe à la lune,

Nous ont mis dans tous nos êtats,

Notre-Dame du galetas

Que l’on vênère avec des cierges

Non bênits, les Ave non plus

Rêcitês lors des angêlus

Que sonnent tant d’heures peu vierges.

Et vraiment tu sens le fagot :

Tu tournes un homme en nigaud,

En chiffre, en symbole, en un souffle,

Le temps de dire ou de faire oui,

Le temps d’un bonjour êbloui,

Le temps de baiser ta pantoufle.

Terrible lieu, ton galetas !

On t’y prend toujours sur le tas

À dêmolir quelque maroufle,

Et, dêcanillês, ces amants,

Munis de tous les sacrements,

T’y penses moins qu'à ta pantoufle !

T’as raison ! Aime-moi donc mieux

Que tous ces jeunes et ces vieux

Qui ne savent pas la manière,

Moi qui suis dans ton mouvement,

Moi qui connais le boniment

Et te voue une cour plênière !

Ne fronce plus ces sourcils-ci,

Casta, ni cette bouche-ci,

Laisse-moi puiser tous tes baumes,

Piana, sucrês, salês, poivrês,

Et laisse-moi boire, poivrês,

Salês, sucrês, tes sacrês baumes.

Auburn

" Et des châtain’s aussi. "

(Chanson de Malbrouk.)

Tes yeux, tes cheveux indêcis,

L’arc mal prêcis de tes sourcils,

La fleur pâlotte de ta bouche,

Ton corps vague et pourtant dodu,

Te donnent un air peu farouche

À qui tout mon hommage est dû.

Mon hommage, ah, parbleu ! tu l’as.

Tous les soirs, quels joie et soulas,

Ô ma très sortable châtaine,

Quand vers mon lit tu viens, les seins

Roides, et quelque peu hautaine,

Sûre de mes humbles desseins.

Les seins roides sous la chemise,

Fière de la fête promise

À tes sens partout et longtemps.

Heureuse de savoir ma lèvre,

Ma main, mon tout, impênitents

De ces pêchês qu’un fol s’en sèvre !

Sûre de baisers savoureux

Dans le coin des yeux, dans le creux

Des bras et sur le bout des mammes,

Sûre de l’agenouillement

Vers ce buisson ardent des femmes

Follement, fanatiquement !

Et hautaine puisque tu sais

Que ma chair adore à l’excès

Ta chair et que tel est ce culte

Qu’après chaque mort, — quelle mort ! —

Elle renaît, dans quel tumulte !

Pour mourir encore et plus fort.

Oui, ma vague, sois orgueilleuse

Car radieuse ou sourcilleuse,

Je suis ton vaincu, tu m’as tien :

Tu me roules comme la vague

Dans un dêlice bien païen,

Et tu n’es pas dêjà si vague ?

À Mademoiselle ***

Rustique beautê

Qu’on a dans les coins,

Tu sens bon les foins,

La chair et l'êtê.

Tes trente-deux dents

De jeune animal

Ne vont point trop mal

À tes yeux ardents.

Ton corps dêpravant

Sous tes habits courts,

— Retroussês et lourds,

Tes seins en avant,

Tes mollets farauds,

Ton buste tentant,

— Gai, comme impudent,

Ton cul ferme et gros,

Nous boutent au sang

Un feu bête et doux

Qui nous rend tout fous,

Croupe, rein et flanc.

Le petit vacher

Tout fier de son cas,

Le maître et ses gas,

Les gas du berger,

Je meurs si je mens,

Je les trouve heureux,

Tous ces culs-terreux,

D'être tes amants.

À Madame ***

Vos narines qui vont en l’air,

Non loin de vos beaux yeux quelconques,

Sont mignonnes comme ces conques

Du bord de mer de bains de mer ;

Un sourire moins franc qu’aimable

Dêcouvre de petites dents,

Diminutifs outrecuidants

De celles d’un loup de la fable ;

Bien en chair, lente avec du chien,

On remarque votre personne,

Et votre voix fine rêsonne

Non sans des agrêments très bien ;

De la grâce externe et lêgère

Et qui me laissait plutôt coi

Font de vous un morceau de roi,

Ô de roi non absolu, chère !

Toujours est-il, regret ou non,

Que je ne sais pourquoi mon âme

Par ces froids pense à vous, Madame

De qui je ne sais plus le nom.

Rêvêrence parler

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Prologue d’un Livre dont il ne paraîtra que les extraits ci-après

Ce n’est pas de ces dieux foudroyês,

Ce n’est pas encore une infortune

Poêtique autant qu’inopportune

Ô lecteur de bon sens, ne fuyez !

On sait trop tout le prix du malheur

Pour le perdre en disert gaspillage.

Vous n’aurez ni mes traits ni mon âge,

Ni le vrai mal secret de mon cœur.

Et de ce que ces vers maladifs

Furent faits en prison, pour tout dire,

On ne va pas crier au martyre.

Que Dieu vous garde des expansifs !

On vous donne un livre fait ainsi.

Prenez-le pour ce qu’il vaut en somme.

C’est l'ægri somnium d’un brave homme

Étonnê de se trouver ici.

On y met, avec la " bonne foy ",

L’orthographe à peu près qu’on possède

Regrettant de n’avoir à son aide

Que ce prestige d'être bien soi.

Vous lirez ce libelle tel quel,

Tout ainsi que vous feriez d’un autre.

Ce vœu bien modeste est le seul nôtre,

N'êtant guère après tout criminel.

Un mot encore, car je vous dois

Quelque lueur en dêfinitive

Concernant la chose qui m’arrive :

Je compte parmi les maladroits.

J’ai perdu ma vie et je sais bien

Que tout blâme sur moi s’en va fondre :

À cela je ne puis que rêpondre

Que je suis vraiment nê Saturnien.

Impression fausse

Dame souris trotte,

Noire dans le gris du soir,

Dame souris trotte

Grise dans le noir.

On sonne la cloche,

Dormez, les bons prisonniers !

On sonne la cloche :

Faut que vous dormiez.

Pas de mauvais rêve,

Ne pensez qu'à vos amours.

Pas de mauvais rêve :

Les belles toujours !

Le grand clair de lune !

On ronfle ferme à côtê.

Le grand clair de lune

En rêalitê !

Un nuage passe,

Il fait noir comme en un four.

Un nuage passe.

Tiens, le petit jour !

Dame souris trotte,

Rose dans les rayons bleus.

Dame souris trotte :

Debout, paresseux !

Autre

La cour se fleurit de souci

Comme le front

De tous ceux-ci

Qui vont en rond

En flageolant sur leur fêmur

Dêbilitê

Le long du mur

Fou de clartê.

Tournez, Samsons sans Dalila,

Sans Philistin,

Tournez bien la

Meule au destin.

Vaincu risible de la loi,

Mouds tour à tour

Ton cœur, ta foi

Et ton amour !

Ils vont ! et leurs pauvres souliers

Font un bruit sec,

Humiliês,

La pipe au bec.

Pas un mot ou bien le cachot,

Pas un soupir.

Il fait si chaud

Qu’on croit mourir.

J’en suis de ce cirque effarê,

Soumis d’ailleurs

Et prêparê

À tous malheurs.

Et pourquoi si j’ai contristê

Ton vœu têtu,

Sociêtê,

Me choierais-tu ?

Allons, frères, bons vieux voleurs,

Doux vagabonds,

Filous en fleurs,

Mes chers, mes bons,

Fumons philosophiquement,

Promenons-nous

Paisiblement :

Rien faire est doux.

Rêversibilitê

Totus in maligno positus.

Entends les pompes qui font

Le cri des chats.

Des sifflets viennent et vont

Comme en pourchas.

Ah, dans ces tristes dêcors

Les Dêjàs sont les Encors !

Ô les vagues Angêlus !

(Qui viennent d’où ?)

Vois s’allumer les Saluts

Du fond d’un trou.

Ah, dans ces mornes sêjours

Les Jamais sont les Toujours !

Quels rêves êpouvantês,

Vous grands murs blancs !

Que de sanglots rêpêtês,

Fous ou dolents !

Ah, dans ces piteux retraits

Les Toujours sont les Jamais !

Tu meurs doucereusement,

Obscurêment,

Sans qu’on veille, ô cœur aimant.

Sans testament !

Ah, dans ces deuils sans rachats

Les Encors sont les Dêjàs !

Tantalized

L’aile où je suis donnant juste sur une gare,

J’entends de nuit (mes nuits sont blanches) la bagarre

Des machines qu’on chauffe et des trains ajustês,

Et vraiment c’est des bruits de nids rêpercutês

À des cieux de fonte et de verre et gras de houille.

Vous n’imaginez pas comme cela gazouille

Et comme l’on dirait des efforts d’oiselets

Vers des vols tout prochains à des cieux violets

Encore et que le point du jour êclaire à peine.

Ô ces wagons qui vont dêvaler dans la plaine !

Invraisemblable mais Vrai

Las ! je suis à l’Index et dans les dêdicaces

Me voici Paul V… pur et simple. Les audaces

De mes amis, tant les êditeurs sont des saints,

Doivent êliminer mon nom de leurs desseins,

Extraordinaire et saponaire tonnerre

D’une excommunication que je vênère

Au point d’en faire des fautes de quantitê !

Vrai, si je n'êtais pas (forcêment) dêsistê

Des choses, j’aimerais, surtout m'êtant contraire,

Cette pudeur du moins si rare de libraire.

Le Dernier Dizain

Ô Belgique qui m’as valu ce dur loisir,

Merci ! J’ai pu du moins rêflêchir et saisir

Dans le silence doux et blanc de tes cellules

Les raisons qui fuyaient comme des libellules

À travers les roseaux bavards d’un monde vain,

Les raisons de mon être êternel et divin,

Et les êtiqueter comme en un beau musêe

Dans les cases en fin cristal de ma pensêe.

Mais, ô Belgique, assez de ce huis-clos têtu !

Ouvre enfin, car c’est bon pour une fois, sais-tu !

Bruxelles, août 1873. — Mons, janvier 1875.

Je veux, pour te tuer, ô temps qui me dêvastes,

Remonter jusqu’aux jours bleuis des amours chastes

Et bercer ma luxure et ma honte au bruit doux

De baisers sur Sa main et non plus dans Leurs cous.

Le Tibère effrayant que je suis à cette heure,

Quoi que j’en aie, et que je rie ou que je pleure,

Qu’il dorme ! pour rêver, loin d’un cruel bonheur,

Aux tendrons pâlots dont on mênageait l’honneur

Ès-fêtes, dans, après le bal sur la pelouse,

Le clair de lune quand le clocher sonnait douze.

À la Manière de Paul Verlaine

C’est à cause du clair de la lune

Que j’assume ce masque nocturne

Et de Saturne penchant son urne

Et de ces lunes l’une après l’une.

Des romances sans paroles ont,

D’un accord discord ensemble et frais,

Agacê ce cœur fadasse exprès

Ô le son, le frisson qu’elles ont !

Il n’est pas que vous n’ayez fait grâce

À quelqu’un qui vous jetait l’offense :

Or, moi, je pardonne à mon enfance

Revenant fardêe et non sans grâce.

Je pardonne à ce mensonge-là

En faveur en somme du plaisir

Très banal drôlement qu’un loisir

Douloureux un peu m’inocula.

Explication

Je vous dis que ce n’est pas ce que l’on pensa.

P. V.

Le bonheur de saigner sur le cœur d’un ami,

Le besoin de pleurer bien longtemps sur son sein,

Le dêsir de parler à lui, bas à demi,

Le rêve de rester ensemble sans dessein !

Le malheur d’avoir tant de belle ennemies,

La satiêtê d'être une machine obscène,

L’horreur des cris impurs de toutes ces lamies,

Le cauchemar d’une incessante mise en scène !

Mourir pour sa Patrie ou pour son Dieu, gaîment,

Ou pour l’autre, en ses bras, et baisant chastement

La main qui ne trahit, la bouche qui ne ment !

Vivre loin des devoirs et des saintes tourmentes

Pour les seins clairs et pour les yeux luisants d’amantes,

Et pour le… reste ! vers telles morts infamantes !

Autre Explication

Amour qui ruisselais de flammes et de lait,

Qu’est devenu ce temps, et comme est-ce qu’elle est,

La constance sacrêe au chrême des promesses ?

Elle ressemble une putain dont les prouesses

Empliraient cent bidets de futurs foetus froids ;

Et le temps a crû mais pire, tels les effrois

D’un polype grossi d’heure en heure et qui pète.

Lâches, nous ! de nous être ainsi lâchês !

" Arrête !

Dit quelqu’un de dedans le sein. C’est bien la loi.

On peut mourir pour telle ou tel, on vit pour soi,

Même quand on voudrait vivre pour tel ou telle !

Et puis l’heure sêvère, ombre de la mortelle,

S’en vient dêjà couvrir les trois quarts du cadran.

Il faut, dès ce jourd’hui, renier le tyran

Plaisir, et se complaire aux prudents hymênêes,

Quittant le souvenir des heures entraînêes

Et des gens. Et voilà la norme et le flambeau.

Ce sera bien. "

L’Amour :

" Ce ne serait pas beau. "

Limbes

L’imagination, reine,

Tient ses ailes êtendues,

Mais la robe qu’elle traîne

À des lourdeurs êperdues.

Cependant que la Pensêe,

Papillon, s’envole et vole,

Rose et noir clair, êlancêe

Hors de la tête frivole.

L’Imagination, sise

En son trône, ce fier siège !

Assiste, comme indêcise,

À tout ce preste manège,

Et le papillon fait rage,

Monte et descend, plane et vire :

On dirait dans un naufrage

Des culbutes du navire.

La reine pleure de joie

Et de peine encore, à cause

De son cœur qu’un chaud pleur noie,

Et n’entend goutte à la chose.

Psychê Deux pourtant se lasse.

Son vol est la main plus lente

Que cent tours de passe-passe

Ont faite toute tremblante.

Hêlas, voici l’agonie !

Qui s’en fût formê l’idêe ?

Et tandis que, bon gênie

Plein d’une douceur lactêe,

La bestiole cêleste

S’en vient palpiter à terre,

La Folle-du-Logis reste

Dans sa gloire solitaire !

Lombes

Deux femmes des mieux m’ont apparu cette nuit.

Mon rêve êtait au bal, je vous demande un peu !

L’une d’entre elles maigre assez, blonde, un œil bleu,

Un noir et ce regard mêcrêant qui poursuit.

L’autre, brune au regard sournois qui flatte et nuit,

Seins joyeux d'être vus, dignes d’un demi-dieu !

Et toutes deux avaient, pour rappeler le jeu

De la main chaude, sous la traîne qui bruit,

Des bas de dos très beaux et d’une gaîtê folle

Auxquels il ne manquait vraiment que la parole,

Royale arrière-garde aux combats du plaisir.

Et ces Dames — scrutez l’armorial de France —

S’efforèaient d’entamer l’orgueil de mon dêsir,

Et n’en revenaient pas de mon indiffêrence.

Vouziers (Ardennes), 13 avril — 23 mai 1885.

La Dernière Fête galante

Pour une bonne fois sêparons-nous,

Très chers messieurs et si belles mesdames.

Assez comme cela d'êpithalames,

Et puis là, nos plaisirs furent trop doux.

Nul remords, nul regret vrai, nul dêsastre !

C’est effrayant ce que nous nous sentons

D’affinitês avecque les moutons

Enrubannês du pire poêtastre.

Nous fûmes trop ridicules un peu

Avec nos airs de n’y toucher qu'à peine,

Le Dieu d’amour veut qu’on ait de l’haleine,

Il a raison ! Et c’est un jeune Dieu.

Sêparons-nous, je vous le dis encore.

Ô que nos cœurs qui furent trop bêlants,

Dès ce jourd’hui rêclament, trop hurlants,

L’embarquement pour Sodome et Gomorrhe !

Poème saturnien

Ce fut bizarre et Satan dut rire.

Ce jour d'êtê m’avait tout soûlê.

Quelle chanteuse impossible à dire

Et tout ce qu’elle a dêbagoulê !

Ce piano dans trop de fumêe

Sous des suspensions à pêtroles !

Je crois, j’avais la bile enflammêe,

J’entendais de travers mes paroles.

Je crois, mes sens êtaient à l’envers,

Ma bile avait des bouillons fantasques.

Ô les refrains de cafês-concerts,

Faussês par le plus plâtrê des masques !

Dans des troquets comme en ces bourgades,

J’avais rôdê, suèant peu de glace.

Trois galopins aux yeux de tribades

Dêvisageaient sans fin ma grimace.

Je fus huê manifestement

Par ces voyous, non loin de la gare,

Et les engueulai si goulûment

Que j’en faillis gober mon cigare.

Je rentre : une voix à mon oreille,

Un pas fantôme. Aucun ou personne ?

On m’a frôlê. — La nuit sans pareille !

Ah ! l’heure d’un rêveil drôle sonne.

Attigny (Ardennes), 31 mai — 1er juin 1885.

L’Impudent

La misère et le mauvais œil,

Soit dit sans le calomnier,

Ont fait à ce monstre d’orgueil

Une âme de vieux prisonnier.

Oui, jettatore, oui, le dernier

Et le premier des gueux en deuil

De l’ombre même d’un denier

Qu’ils poursuivront jusqu’au cercueil.

Son regard mûrit les enfants.

Il a des refus triomphants.

Même il est bête à sa faèon.

Beautês passant, au lieu de sous,

Faites à ce mauvais garèon

L’aumône seulement… de vous.

L’Impênitent

Rôdeur vannê, ton œil fanê

Tout plein d’un dêsir satanê

Mais qui n’est pas l'œil d’un bêlître,

Quand passe quelqu’un de gentil

Lance un êclair comme une vitre.

Ton blaire flaire, âpre et subtil,

Et l'êtamine et le pistil,

Toute fleur, tout fruit, toute viande,

Et ta langue d’homme entendu

Pourlèche ta lèvre friande.

Vieux faune en l’air guettant ton dû,

As-tu vraiment bandê, tendu

L’arme assez de tes paillardises ?

L’as-tu, drôle, braquêe assez ?

Ce n’est rien que tu nous le dises.

Quoi, malgrê ces reins fricassês,

Ce cœur êreintê, tu ne sais

Que dêvouer à la luxure

Ton cœur, tes reins, ta poche à fiel,

Ta rate et toute ta fressure !

Sucrês et doux comme le miel,

Damnants comme le feu du ciel,

Bleus comme fleur, noirs comme poudre,

Tu raffoles beaucoup des yeux

De tout genre en dêpit du Foudre.

Les nez te plaisent, gracieux

Ou simplement malicieux,

Étant la force des visages,

Étant aussi, suivant des gens,

Des indices et des prêsages.

Longs baisers plus clairs que des chants,

Tout petits baisers astringents

Qu’on dirait qui vous sucent l'âme,

Bons gros baisers d’enfant, lêgers

Baisers danseurs, telle une flamme,

Baisers mangeurs, baisers mangês,

Baisers buveurs, bus, enragês,

Baisers languides et farouches,

Ce que t’aimes bien, c’est surtout,

N’est-ce pas ? les belles boubouches.

Les corps enfin sont de ton goût,

Mieux pourtant couchês que debout,

Se mouvant sur place qu’en marche,

Mais de n’importe quel climat,

Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l’Arche.

Pour que ce goût les acclamât

Minces, grands, d’aspect plutôt mat,

Faudrait pourtant du jeune en somme :

Pieds fins et forts, tout lêgers bras

Musculeux et les cheveux comme

Ça tombe, longs, bouclês ou ras, —

Sinon pervers et scêlêrats

Tout à fait, un peu d’innocence

En moins, pour toi sauver, du moins,

Quelque ombre encore de dêcence ?

Nenni dà ! Vous, soyez têmoins,

Dieux la connaissant dans les coins,

Que ces manières, de parts telles,

Sont pour s’amuser mieux au fond

Sans trop muser aux bagatelles.

C’est ainsi que les choses vont

Et que les raillards fieffês font.

Mais tu te ris de ces morales, —

Tel un quelqu’un plus que pressê

Passe outre aux dêfenses murales.

Et tu rêponds, un peu lassê

De te voir ainsi relancê,

De ta voix que la soif dêgrade

Mais qui n’est pas d’un marmiteux :

" Qu’y peux-tu faire, camarade,

Si nous sommes cet amiteux ? "

Le Sonnet de l’Homme au Sable

Aussi, la crêature êtait par trop toujours la même,

Qui donnait ses baisers comme un enfant donne des noix,

Indiffêrente à tout, hormis au prestige suprême

De la cire à moustache et de l’empois des faux-cols droits.

Et j’ai ri, car je tiens la solution du problème :

Ce pouf êtait dans l’air dès le principe, je le vois ;

Quand la chair et le sang, exaspêrês d’un long carême,

Rêclamèrent leur dû, — la crêature êtait en bois.

C’est le conte d’Hoffmann avec de la bêtise en marge.

Amis qui m'êcoutez, faites votre entendement large,

Car c’est la vêritê que ma morale, et la voici :

Si, par malheur, — puisse d’ailleurs l’augure aller au diable ! —

Quelqu’un de vous devait s’emberlificoter aussi,

Qu’il rêclame un conseil de rêvision prêalable.

Guitare

Le pauvre du chemin creux chante et parle.

Il dit : " Mon nom est Pierre et non pas Charle,

Et je m’appelle aussi Duchatelet.

Une fois je vis, moi qu’on croit très laid,

Passer vraiment une femme très belle.

(Si je la voyais telle, elle êtait telle.)

Nous nous mariâmes au vieux curê.

On eut tout ce qu’on avait espêrê,

Jusqu'à l’enfant qu’on m’a dit vivre encore.

Mais elle devint la pire pêcore

Indigne même de cette chanson,

Et certain beau soir quitta la maison

En emportant tout l’argent du mênage

Dont les trois quarts êtaient mon apanage.

C'êtait une voleuse, une sans-cœur,

Et puis, par des fois, je lui faisais peur.

Elle n’avait pas l’ombre d’une excuse,

Pas un amant ou par rage ou par ruse.

Il paraît qu’elle couche depuis peu

Avec un individu qui tient lieu

D'êpoux à cette femme de querelle.

Faut-il la tuer ou prier pour elle ? "

Et le pauvre sait très bien qu’il priera,

Mais le diable parierait qu’il tuera.

Ballade de la vie en rouge

L’un toujours vit la vie en rose,

Jeunesse qui n’en finit plus,

Seconde enfance moins morose,

Ni vœux, ni regrets superflus.

Ignorant tout flux et reflux,

Ce sage pour qui rien ne bouge

Règne instinctif : tel un phallus.

Mais moi je vois la vie en rouge.

L’autre ratiocine et glose

Sur des modes irrêsolus,

Soupesant, pesant chaque chose

De mains gourdes aux lourds calus.

Lui faudrait du temps tant et plus

Pour se risquer hors de son bouge.

Le monde est gris à ce reclus.

Mais moi je vois la vie en rouge.

Lui, cet autre, alentour il ose

Jeter des regards bien voulus,

Mais, sur quoi que son œil se pose,

Il s’exaspère où tu te plus,

Œil des philanthropes joufflus ;

Tout lui semble noir, vierge ou gouge,

Les hommes, vins bus, livres lus.

Mais moi je vois la vie en rouge.

Envoi

Prince et princesse, allez, êlus,

En triomphe par la route où je

Trime d’ornières en talus.

Mais moi, je vois la vie en rouge.

Mains

Ce ne sont pas des mains d’altesse,

De beau prêlat quelque peu saint,

Pourtant une dêlicatesse

Y laisse son galbe succinct.

Ce ne sont pas des mains d’artiste,

De poète proprement dit,

Mais quelque chose comme triste

En fait comme un groupe en petit ;

Car les mains ont leur caractère,

C’est tout un monde en mouvement

Où le pouce et l’auriculaire

Donnent les pôles de l’aimant.

Les mêtêores de la tête

Comme les tempêtes du cœur,

Tout s’y rêpète et s’y reflète

Par un don logique et vainqueur.

Ce ne sont pas non plus les palmes

D’un rural ou d’un faubourien ;

Encor leurs grandes lignes calmes

Disent " Travail qui ne doit rien. "

Elles sont maigres, longues, grises,

Phalange large, ongle carrê.

Tels en ont aux vitraux d'êglises

Les saints sous le rinceau dorê,

Ou tels quelques vieux militaires

Dêshabituês des combats

Se rappellent leurs longues guerres

Qu’ils narrent entre haut et bas.

Ce soir elles ont, ces mains sèches,

Sous leurs rares poils hêrissês,

Des airs spêcialement rêches,

Comme en proie à d'âpres pensers.

Le noir souci qui les agace,

Leur quasi-songe aigre les font

Faire une sinistre grimace

À leur faèon, mains qu’elles sont.

J’ai peur à les voir sur la table

Prêmêditer là, sous mes yeux,

Quelque chose de redoutable,

D’inflexible et de furieux.

La main droite est bien à ma droite,

L’autre à ma gauche, je suis seul.

Les linges dans la chambre êtroite

Prennent des aspects de linceul,

Dehors le vent hurle sans trêve,

Le soir descend insidieux…

Ah ! si ce sont des mains de rêve,

Tant mieux, — ou tant pis, — ou tant mieux !

Les morts que l’on fait saigner dans leur tombe

Se vengent toujours.

Ils ont leur manière, et plaignez qui tombe

Sous leurs grands coups sourds.

Mieux vaut n’avoir jamais connu la vie,

Mieux vaut la mort lente d’autres suivie,

Tant le temps est long, tant les coups sont lourds.

Les vivants qu’on fait pleurer comme on saigne

Se vengent parfois.

Ceux-là qu’ils ont pris, qu’un chacun les plaigne,

Pris entre leurs doigts.

Mieux vaut un ours et les jeux de sa patte,

Mieux vaut cent fois le chanvre et sa cravate,

Mieux vaut l'êdredon d’Othello cent fois.

Ô toi, persêcuteur, crains le vampire

Et crains l'êtrangleur :

Leur jour de colère apparaîtra pire

Que toute douleur.

Tiens ton âme prête à ce jour ultime

Qui surprendra l’assassin comme un crime

Et fondra sur le vol comme un voleur.

Nouvelles variations sur le Point-du-Jour

Le Point du Jour, le point blanc de Paris,

Le seul point blanc, grâce à tant de bâtisse

Et neuve et laide et que je t’en ratisse,

Le Point du Jour, aurore des paris !

Le bonneteau fleurit " dessur " la berge,

La bonne tôt s’y dêprave, tant pis

Pour elle et tant mieux pour le birbe gris

Qui lui du moins la croit encore vierge.

Il a raison le vieux, car voyez donc

Comme est joli toujours le paysage :

Paris au loin, triste et gai, fol et sage,

Et le Trocadêro, ce cas, au fond,

Puis la verdure et le ciel et les types

Et la rivière obscène et molle, avec

Des gens trop beaux, leur cigare à leur bec :

Épatants ces metteurs-au-vent de tripes !

Pierrot Gamin

Ce n’est pas Pierrot en herbe

Non plus que Pierrot en gerbe,

C’est Pierrot, Pierrot, Pierrot.

Pierrot gamin, Pierrot gosse,

Le cerneau hors de la cosse,

C’est Pierrot, Pierrot, Pierrot !

Bien qu’un rien plus haut qu’un mètre,

Le mignon drôle sait mettre

Dans ses yeux l'êclair d’acier

Qui sied au subtil gênie

De sa malice infinie

De poète-grimacier.

Lèvres rouge-de-blessure

Où sommeille la luxure,

Face pâle aux rictus fins,

Longue, très accentuêe,

Qu’on dirait habituêe

À contempler toutes fins,

Corps fluet et non pas maigre,

Voix de fille et non pas aigre,

Corps d'êphèbe en tout petit,

Voix de tête, corps en fête,

Crêature toujours prête

À soûler chaque appêtit.

Va, frère, va, camarade,

Fais le diable, bats l’estrade

Dans ton rêve et sur Paris

Et par le monde, et sois l'âme

Vile, haute, noble, infâme

De nos innocents esprits !

Grandis, car c’est la coutume,

Cube ta riche amertume,

Exagère ta gaietê,

Caricature, aurêole,

La grimace et le symbole

De notre simplicitê !

Ces passions qu’eux seuls nomment encore amours

Sont des amours aussi, tendres et furieuses,

Avec des particularitês curieuses

Que n’ont pas les amours certes de tous les jours.

Même plus qu’elles et mieux qu’elles hêroïques,

Elles se parent de splendeurs d'âme et de sang

Telles qu’au prix d’elles les amours dans le rang

Ne sont que Ris et Jeux ou besoins êrotiques,

Que vains proverbes, que riens d’enfants trop gâtês,

— " Ah ! les pauvres amours banales, animales,

Normales ! Gros goûts lourds ou frugales fringales,

Sans compter la sottise et des fêconditês ! "

— Peuvent dire ceux-là que sacre le haut Rite,

Ayant conquis la plênitude du plaisir,

Et l’insatiabilitê de leur dêsir

Bênissant la fidêlitê de leur mêrite.

La plênitude ! Ils l’ont superlativement :

Baisers repus, gorgês, mains privilêgiêes

Dans la richesse des caresses repayêes,

Et ce divin final anêantissement !

Comme ce sont les forts et les forts, l’habitude

De la force les rend invaincus au dêduit.

Plantureux, savoureux, dêbordant, le dêduit !

Je le crois bien qu’ils ont la pleine plênitude !

Et pour combler leurs vœux, chacun d’eux tour à tour

Fait l’action suprême, a la parfaite extase,

— Tantôt la coupe ou la bouche et tantôt le vase —

Pâmê comme la nuit, fervent comme le jour.

Leurs beaux êbats sont grands et gais. Pas de ces crises :

Vapeurs, nerfs. Non, des jeux courageux, puis d’heureux

Bras las autour du cou, pour de moins langoureux

Qu'êtroits sommeils à deux, tout coupês de reprises.

Dormez, les amoureux ! Tandis qu’autour de vous

Le monde inattentif aux choses dêlicates,

Bruit ou gît en somnolences scêlêrates,

Sans même, il est si bête ! être de vous jaloux.

Et ces rêveils francs, clairs, riants, vers l’aventure

De fiers damnês d’un plus magnifique sabbat ?

Et salut, têmoins purs de l'âme en ce combat

Pour l’affranchissement de la lourde nature !

Læti et Errabundi

Les courses furent intrêpides

(Comme aujourd’hui le repos pèse !)

Par les steamers et les rapides.

(Que me veut cet at home obèse ?)

Nous allions, — vous en souvient-il,

Voyageur où èa disparu ? —

Filant lêgers dans l’air subtil,

Deux spectres joyeux, on eût cru !

Car les passions satisfaites

Insolemment outre mesure

Mettaient dans nos têtes des fêtes

Et dans nos sens, que tout rassure,

Tout, la jeunesse, l’amitiê,

Et nos cœurs, ah ! que dêgagês

Des femmes prises en pitiê

Et du dernier des prêjugês,

Laissant la crainte de l’orgie

Et le scrupule au bon ermite,

Puisque quand la borne est franchie

Ponsard ne veut plus de limite.

Entre autres blâmables excès

Je crois que nous bûmes de tout,

Depuis les plus grands vins franèais

Jusqu'à ce faro, jusqu’au stout,

En passant par les eaux-de-vie

Qu’on cite comme redoutables,

L'âme au septième ciel ravie,

Le corps, plus humble, sous les tables.

Des paysages, des citês

Posaient pour nos yeux jamais las ;

Nos belles curiositês

Eussent mangê tous les atlas.

Fleuves et monts, bronzes et marbres,

Les couchants d’or, l’aube magique,

L’Angleterre, mère des arbres,

Fille des beffrois, la Belgique,

La mer, terrible et douce au point, —

Brochaient sur le roman très cher

Que ne discontinuait point

Notre âme, — et quid de notre chair ?… —

Le roman de vivre à deux hommes

Mieux que non pas d'êpoux modèles,

Chacun au tas versant des sommes

De sentiments forts et fidèles.

L’envie aux yeux de basilic

Censurait ce mode d'êcot :

Nous dînions du blâme public

Et soupions du même fricot.

La misère aussi faisait rage

Par des fois dans le phalanstère :

On ripostait par le courage,

La joie et les pommes de terre.

Scandaleux sans savoir pourquoi,

(Peut-être que c'êtait trop beau)

Mais notre couple restait coi

Comme deux bons porte-drapeau,

Coi dans l’orgueil d'être plus libres

Que les plus libres de ce monde,

Sourd aux gros mots de tous calibres,

Inaccessible au rire immonde.

Nous avions laissê sans êmoi

Tous impêdiments dans Paris,

Lui quelques sots bernês, et moi

Certaine princesse Souris,

Une sotte qui tourna pire…

Puis soudain tomba notre gloire,

Tels, nous, des marêchaux d’empire

Dêchus en brigands de la Loire,

Mais dêchus volontairement !

C'êtait une permission,

Pour parler militairement,

Que notre sêparation,

Permission sous nos semelles,

Et depuis combien de campagnes !

Pardonnâtes-vous aux femelles ?

Moi j’ai peu revu ces compagnes,

Assez toutefois pour souffrir.

Ah, quel c?ur faible que mon c?ur !

Mais mieux vaut souffrir que mourir

Et surtout mourir de langueur.

On vous dit mort, vous. Que le Diable

Emporte avec qui la colporte

La nouvelle irrêmêdiable

Qui vient ainsi battre ma porte !

Je n’y veux rien croire. Mort, vous,

Toi, dieu parmi les demi-dieux !

Ceux qui le disent sont des fous.

Mort, mon grand pêchê radieux,

Tout ce passê brûlant encore

Dans mes veines et ma cervelle

Et qui rayonne et qui fulgore

Sur ma ferveur toujours nouvelle !

Mort tout ce triomphe inouï

Retentissant sans frein ni fin

Sur l’air jamais êvanoui

Que bat mon c?ur qui fut divin !

Quoi, le miraculeux poème

Et la toute-philosophie,

Et ma patrie et ma bohème

Morts ? Allons donc ! tu vis ma vie !

Ballade de la Mauvaise Rêputation

Il eut des temps quelques argents

Et rêgla ses camarades

D’un sexe ou deux, intelligents

Ou charmants, ou bien les deux grades,

Si que dans les esprits malades

Sa bonne rêputation

Subit que de dêgringolades !

Lucullus ? Non. Trimalcion.

Sous ses lambris, c'êtaient des chants

Et des paroles point trop fades.

Éros et Bacchos indulgents

Prêsidaient à ces sêrênades

Qu’accompagnaient des embrassades.

Puis ch?urs et conversation

Cessaient pour des fins peu maussades.

Lucullus ? Non. Trimalcion.

L’aube pointait et ces mêchants

La saluaient par cent aubades

Qui rêveillaient au loin les gens

De bien, et par mille rasades.

Cependant de vagues brigades

— Zèle ou dênonciation ? —

Verbalisaient chez des alcades.

Lucullus ? Non. Trimalcion.

Envoi

Prince, ô très haut marquis de Sade,

Un souris pour votre scion

Fier derrière sa palissade.

Lucullus ? Non. Trimalcion.

Caprice

Ô poète, faux pauvre et faux riche, homme vrai,

Jusqu’en l’extêrieur riche et pauvre pas vrai,

(Dès lors, comment veux-tu qu’on soit sûr de ton c?ur ?)

Tour à tour souple drôle et monsieur somptueux,

Du vert clair plein d' " espère " au noir componctueux,

Ton habit a toujours quelque dêtail blagueur.

Un bouton manque. Un fil dêpasse. D’où venue

Cette tache — ah èa, malvenue ou bienvenue ? —

Qui rit et pleure sur le cheviot et la toile ?

N?ud nouê bien et mal, soulier luisant et terne.

Bref, un type à se pendre à la Vieille Lanterne

Comme à marcher, gai proverbe, à la belle êtoile,

Gueux, mais pas comme èa, l’homme vrai, le seul vrai,

Poète, va, si ton langage n’est pas vrai,

Toi l’es, et ton langage, alors ! Tant pis pour ceux

Qui n’auront pas aimê, fous comme autant de tois,

La lune pour chauffer les sans femmes ni toits,

La mort, ah, pour bercer les c?urs malechanceux,

Pauvres c?urs mal tombês, trop bons et très fiers, certes !

Car l’ironie êclate aux lèvres belles, certes,

De vos blessures, c?urs plus blessês qu’une cible,

Petits sacrês-c?urs de Jêsus plus lamentables !

Va, poète, le seul des hommes vêritables,

Meurs sauvê, meurs de faim pourtant le moins possible.

Ballade Sappho

Ma douce main de maîtresse et d’amant

Passe et rit sur ta chère chair en fête,

Rit et jouit de ton jouissement.

Pour la servir tu sais bien qu’elle est faite,

Et ton beau corps faut que je le dêvête

Pour l’enivrer sans fin d’un art nouveau

Toujours dans la caresse toujours prête.

Je suis pareil à la grande Sappho.

Laisse ma tête errant et s’abîmant

À l’aventure, un peu farouche, en quête

D’ombre et d’odeur et d’un travail charmant

Vers les saveurs de ta gloire secrète.

Laisse rôder l'âme de ton poète

Partout par là, champ ou bois, mont ou vau,

Comme tu veux et si je le souhaite.

Je suis pareil à la grande Sappho.

Je presse alors tout ton corps goulûment,

Toute ta chair contre mon corps d’athlète

Qui se bande et s’amollit par moment,

Heureux du triomphe et de la dêfaite

En ce conflit du c?ur et de la tête.

Pour la stêrile êtreinte où le cerveau

Vient faire enfin la nature complète

Je suis pareil à la grande Sappho.

Envoi

Prince ou princesse, honnête ou malhonnête,

Qui qu’en grogne et quel que soit son niveau,

Trop su poète ou divin proxênète,

Je suis pareil à la grande Sappho.