The Project Gutenberg EBook of Oeuvres complètes de Paul Verlaine, Vol. 1
by Paul Verlaine
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Title: Oeuvres complètes de Paul Verlaine, Vol. 1
Poèmes Saturniens, Fêtes Galantes, Bonne chanson, Romances sans
paroles, Sagesse, Jadis et naguère
Author: Paul Verlaine
Release Date: February 20, 2005 [EBook #15112]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
- START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES COMPLÈTES DE PAUL VERLAINE ***
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(BnF/Gallica)
POÈMES SATURNIENS
Les Sages d’autrefois, qui valaient bien ceux-ci,
Crurent, et c’est un point encor mal êclairci,
Lire au ciel les bonheurs ainsi que les dêsastres,
Et que chaque âme êtait liêe à l’un des astres.
(On a beaucoup raillê, sans penser que souvent
Le rire est ridicule autant que dêcevant,
Cette explication du mystère nocturne.)
Or ceux-là qui sont nês sous le signe SATURNE,
Fauve planète, chère aux nêcromanciens,
Ont entre tous, d’après les grimoires anciens,
Bonne part de malheur et bonne part de bile.
L’Imagination, inquiète et dêbile,
Vient rendre nul en eux l’effort de la Raison.
Dans leurs veines, le sang, subtil comme un poison,
Brûlant comme une lave, et rare, coule et roule
En grêsillant leur triste Idêal qui s'êcroule.
Tels les Saturniens doivent souffrir et tels
Mourir, --en admettant que nous soyons mortels. —
Leur plan de vie êtant dessinê ligne à ligne
Par la logique d’une Influence maligne.
P.V.
PROLOGUE
Dans ces temps fabuleux, les limbes de l’histoire,
Où les fils de Raghû, beaux de fard et de gloire,
Vers la Ganga rêgnaient leur règne êtincelant,
Et, par l’intensitê de leur vertu, troublant
Les Dieux et les Dêmons et Bhagavat lui-même,
Augustes, s'êlevaient jusqu’au nêant suprême,
Ah! la terre et la mer et le ciel, purs encor
Et jeunes, qu’arrosait une lumière d’or
Frêmissante, entendaient, apaisant leurs murmures
De tonnerres, de flots heurtês, de moissons mûres,
Et retenant le vol obstinê des essaims,
Les Poètes sacrês chanter les Guerriers saints,
Ce pendant que le ciel et la mer et la terre
Voyaient--rouges et las de leur travail austère--
S’incliner, pênitents fauves et timorês,
Les Guerriers saints devant les Poètes sacrês!
Une connexitê grandiosement calme
Liait le Kchatrya serein au Chanteur calme,
Valmiki l’excellent à l’excellent Rama:
Telles sur un êtang deux touffes de padma.
--Et sous tes cieux dorês et clairs, Hellas antique,
De Sparte la sêvère à la rieuse Allique,
Les Aèdes, Orpheus, Akaïos, êtaient
Encore des hêros altiers et combattaient,
Homêros, s’il n’a pas, lui, maniê le glaive,
Fait retentir, clameur immense qui s'êlève,
Vos êchos, jamais las, vastes postêritês,
D’Hektôr, et d’Odysseus, et d’Akhilleus chantês.
Les hêros à leur tour, après les luttes vastes,
Pieux, sacrifiaient aux neuf Dêesses chastes,
Et non moins que de l’art d’Arès furent êpris
De l’Art dont une Palme immortelle est le prix,
Akhilleus entre tous! Et le Laëtiade
Dompta, parole d’or qui charme et persuade,
Les esprits et les coeurs et les âmes toujours,
Ainsi qu’Orpheus domptait les tigres elles ours.
--Plus tard, vers des climats plus rudes, en des ères
Barbares, chez les Francs tumultueux, nos pères,
Est-ce que le Trouvère hêroïque n’eut pas
Comme le Preux sa part auguste des combats?
Est-ce que, Thêroldus ayant dit Charlemagne,
Et son neveu Roland restê dans la montagne
Et le bon Olivier et Turpin au grand coeur,
En beaux couplets et sur un rythme âpre et vainqueur,
Est-ce que, cinquante ans après, dans les batailles,
Les durs Leudes perdant leur sang par vingt entailles,
Ne chantaient pas le chant de geste sans rivaux,
De Roland et de ceux qui virent Roncevaux
Et furent de l'ênorme et suprême tuerie,
Du temps de l’Empereur à la barbe fleurie?
--Aujourd’hui l’Action et le Rêve ont brisê
Le pacte primitif par les siècles usê,
Et plusieurs ont trouvê funeste ce divorce
De l’harmonie immense et bleue et de la Force.
La Force qu’autrefois le Poète tenait
En bride, blanc cheval ailê qui rayonnait,
La force, maintenant, la Force, c’est la Bête
Fêroce bondissante et folle et toujours prête
A tout carnage, à tout dêvaslement, à tout
Égorgement d’un bout du monde à l’autre bout!
L’Action qu’autrefois rêglait le chant des lyres,
Trouble, enivrêe, en proie aux cent mille dêlires
Fuligineux d’un siècle en êbullition,
L’Action à prêsent, --ô pitiê! --l’Action,
C’est l’ouragan, c’est la tempête, c’est la houle
Marine dans la nuit sans êtoiles, qui roule
Et dêroule parmi des bruits sourds l’effroi vert
Et rouge des êclairs sur le ciel entr’ouvert!
--Cependant, orgueilleux et doux, loin des vacarmes
De la vie et du choc dêsordonnê des armes
Mercenaires, voyez, gravissant les hauteurs
Ineffables, voici le groupe des Chanteurs
Vêtus de blanc, et des lueurs d’apothêoses
Empourprent la fiertê sereine de leurs poses:
Tous beaux, tous purs, avec des rayons dans les yeux,
Et sur leur front le rêve inachevê des Dieux,
Le monde que troublait leur parole profonde,
Les exile. A leur tour ils exilent le monde!
C’est qu’ils ont à la fin compris qu’ils ne faut plus
Mêler leur note pure aux cris irrêsolus
Que va poussant la foule obscène et violente,
Et que l’isolement sied à leur marche lente.
Le Poète, l’amour du Beau, voilà sa foi,
L’Azur, son êtendard, et l’Idêal, sa loi!
Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles,
Où le rayonnement des choses êternelles
A mis des visions qu’il suit avidement,
Ne sauraient s’abaisser une heure seulement
Sur le honteux conflit des besognes vulgaires,
Et sur vos vanitês plates; et si naguères
On le vit au milieu des hommes, êpousant
Leurs querelles, pleurant avec eux, les poussant
Aux guerres, cêlêbrant l’orgueil des Rêpubliques
Et l'êclat militaire et les splendeurs auliques.
Sur la kitare, sur la harpe et sur le luth,
S’il honorait parfois le prêsent d’un salut
Et daignait consentir à ce rôle de prêtre
D’aimer et de bênir, et s’il voulait bien être
La voix qui rit ou pleure alors qu’on pleure ou rit,
S’il inclinait vers l'âme humaine son esprit,
C’est qu’il se mêprenait alors sur l'âme humaine.
Maintenant, va, mon Livre, où le hasard te mène.
MELANCHOLIA
A Ernest Boutier.
I
RÉSIGNATION
Tout enfant, j’allais rêvant Ko-Hinnor,
Somptuositê persane et papale,
Hêliogabale et Sardanapale!
Mon dêsir crêait sous des toits en or,
Parmi les parfums, au son des musiques,
Des harems sans fin, paradis physiques!
Aujourd’hui plus calme et non moins ardent,
Mais sachant la vie et qu’il faut qu’on plie,
J’ai dû refrêner ma belle folie,
Sans me rêsigner par trop cependant.
Soit! le grandiose êchappe à ma dent,
Mais fi de l’aimable et fi de la lie!
Et je hais toujours la femme jolie!
La rime assonante et l’ami prudent.
II
NEVERMORE
Souvenir, souvenir, que me veux-tu? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise dêtone.
Nous êtions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensêe au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard êmouvant:
«Quel fut ton plus beau jour!» fit sa voix d’or vivant,
Sa voix douce et sonore, au frais timbre angêlique.
Un sourire discret lui donna la rêplique,
Et je baisai sa main blanche, dêvotement.
--Ah! les premières fleurs qu’elles sont parfumêes!
Et qu’il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimêes!
III
APRÈS TROIS ANS
Ayant poussê la porte êtroite qui chancelle,
Je me suis promenê dans le petit jardin
Qu'êclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d’une humide êtincelle.
Rien n’a changê. J’ai tout revu: l’humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin…
Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.
Les roses comme avant palpitent; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent.
Chaque alouette qui va et vient m’est connue.
Même j’ai retrouvê debout la Vellêda,
Dont le plâtre s'êcaille au bout de l’avenue.
--Grêle, parmi l’odeur fade du rêsêda.
IV
VOEU
Ah! les oarystis! les premières maîtresses!
L’or des cheveux, l’azur des yeux, la fleur des chairs,
Et puis, parmi l’odeur des corps jeunes et chers,
La spontanêitê craintive des caresses!
Sont-elles assez loin toutes ces allêgresses
Et toutes ces candeurs! Hêlas! toutes devers
Le Printemps des regrets ont fui les noirs hivers
De mes ennuis, de mes dêgoûts, de mes dêtresses!
Si que me voilà seul à prêsent, morne et seul,
Morne et dêsespêrê, plus glacê qu’un aïeul,
Et tel qu’un orphelin pauvre sans soeur aînêe.
O la femme à l’amour câlin et rêchauffant,
Douce, pensive et brune, et jamais êtonnêe,
Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant
V
LASSITUDE
A batallas de amor campo de pluma.
(CONGORA)
De la douceur, de la douceur, de la douceur!
Calme un peu ces transports fêbriles, ma charmante.
Même au fort du dêduit, parfois, vois-tu, l’amante
Doit avoir l’abandon paisible de la soeur.
Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,
Bien êgaux les soupirs et ton regard berceur.
Va, l'êtreinte jalouse et le spasme obsesseur
Ne valent pas un long baiser, même qui mente!
Mais dans ton cher coeur d’or, me dis-tu, mon enfant,
La fauve passion va sonnant l’oliphant.
Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse!
Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,
Et fais-moi des serments que tu rompras demain,
Et pleurons jusqu’au jour, ô petite fougueuse!
VI
MON RÊVE FAMILIER
Je fais souvent ce rêve êtrange et pênêtrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hêlas! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse? --Je l’ignore.
Son nom? Je me souviens qu’il est doux et sonore,
Comme ceux des aimês que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave; elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.
VII
A UNE FEMME
A vous ces vers, de par la grâce consolante
De vos grands yeux où rit et pleure un rêve doux,
De par votre âme, pure et toute bonne, à vous
Ces vers du fond de ma dêtresse violente.
C’est qu’hêlas! le hideux cauchemar qui me hante
N’a pas de trêve et va furieux, fou, jaloux,
Se multipliant comme un cortège de loups
Et se pendant après mon sort qu’il ensanglante.
Oh! je souffre, je souffre affreusement, si bien
Que le gêmissement premier du premier homme
Chassê d'Éden n’est qu’une êglogue au prix du mien!
Et les soucis que vous pouvez avoir sont comme
Des hirondelles sur un ciel d’après-midi,
--Chère, --par un beau jour de septembre attiêdi.
VIII
L’ANGOISSE
Nature, rien de toi ne m'êmeut, ni les champs
Nourriciers, ni l'êcho vermeil des pastorales
Siciliennes, ni les pompes aurorales,
Ni la solennitê dolente des couchants.
Je ris de l’Art, je ris de l’Homme aussi, des chants,
Des vers, des temples grecs et des tours en spirales
Qu'êtirent dans le ciel vide les cathêdrales,
Et je vois du même oeil les bons et les mêchants.
Je ne crois pas en Dieu, j’abjure et je renie
Toute pensêe, et quant à la vieille ironie,
L’Amour, je voudrais bien qu’on ne m’en parlât plus.
Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille
Au brick perdu jouet du flux et du reflux,
Mon âme pour d’affreux naufrages appareille.
EAUX-FORTES
A Franèois Coppêe.
I
CROQUIS PARISIEN
La lune plaquait ses teintes de zinc
Par angles obtus.
Des bouts de fumêe en forme de cinq
Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.
Le ciel êtait gris, la bise pleurait
Ainsi qu’un basson.
Au loin, un matou frileux et discret
Miaulait d'êtrange et grêle faèon.
Moi, j’allais, rêvant du divin Platon
Et de Phidias,
Et de Salamine et de Marathon,
Sous l’oeil clignotant des bleus becs de gaz.
II
CAUCHEMAR
J’ai vu passer dans mon rêve
--Tel l’ouragan sur la grève,
D’une main tenant un glaive
Et de l’autre un sablier,
Ce cavalier
Des ballades d’Allemagne
Qu'à travers ville et campagne,
Et du fleuve à la montagne,
Et des forêts au vallon,
Un êtalon
Rouge-flamme et noir d'êbène,
Sans bride, ni mors, ni rène,
Ni hop! ni cravache, entraîne
Parmi des râlements sourds
Toujours! toujours!
Un grand feutre à longue plume
Ombrait son oeil qui s’allume
Et s'êteint. Tel, dans la brume,
Éclate et meurt l'êclair bleu
D’une arme à feu.
Comme l’aile d’une orfraie
Qu’un subit orage effraie,
Par l’air que la neige raie,
Son manteau se soulevant
Claquait au vent,
Et montrait d’un air de gloire
Un torse d’ombre et d’ivoire,
Tandis que dans la nuit noire
Luisaient en des cris stridents
Trente-deux dents.
III
MARINE
L’Ocêan sonore
Palpite sous l’oeil
De la lune en deuil
Et palpite encore,
Tandis qu’un êclair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D’un long zigzag clair,
Et que chaque lame,
En bonds convulsifs,
Le long des rêcifs,
Va, vient, luit et clame,
Et qu’au firmament,
Où l’ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.
IV
EFFET DE NUIT
La nuit. La pluie. Un ciel blafard que dêchiquette
De flèches et de tours à jour la silhouette
D’une ville gothique êteinte au lointain gris.
La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris
Secouês par le bec avide des corneilles
Et dansant dans l’air noir des gigues non-pareilles,
Tandis que leurs pieds sont la pâture des loups.
Quelques buissons d'êpine êpars, et quelques houx
Dressant l’horreur de leur feuillage à droite, à gauche,
Sur le fuligineux fouillis d’un fond d'êbauche.
Et puis, autour de trois livides prisonniers
Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers
En marche, et leurs fers droits, comme des fers de herse,
Luisent à contresens des lances de l’averse.
V
GROTESQUES
Leurs jambes pour toutes montures,
Pour tous biens l’or de leurs regards,
Par le chemin des aventures
Ils vont haillonneux et hagards.
Le sage, indignê, les harangue;
Le sot plaint ces fous hasardeux;
Les enfants leur tirent la langue
Et les filles se moquent d’eux.
C’est qu’odieux et ridicules,
Et malêfiques en effet,
Ils ont l’air, sur les crêpuscules,
D’un mauvais rêve que l’on fait:
C’est que, sur leurs aigres guitares
Crispant la main des libertês,
Ils nasillent des chants bizarres,
Nostalgiques et rêvoltês;
C’est enfin que dans leurs prunelles
Rit et pleure--fastidieux--
L’amour des choses êternelles,
Des vieux morts et des anciens dieux!
--Donc, allez, vagabonds sans trêves,
Errez, funestes et maudits,
Le long des gouffres et des grèves,
Sous l’oeil fermê des paradis!
La nature à l’homme s’allie
Pour châtier comme il le faut
L’orgueilleuse mêlancolie
Qui vous fait marcher le front haut.
Et, vengeant sur vous le blasphème
Des vastes espoirs vêhêments,
Meurtrit votre front anathème
Au choc rude des êlêments.
Les juins brûlent et les dêcembres
Gèlent votre chair jusqu’aux os,
Et la fièvre envahit vos membres,
Qui se dêchirent aux roseaux.
Tout vous repousse et tout vous navre,
Et quand la mort viendra pour vous,
Maigre et froide, votre cadavre
Sera dêdaignê par les loups!
PAYSAGES TRISTES
A Catulle Mendès.
I
SOLEILS COUCHANTS
Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mêlancolie
Des soleils couchants.
La mêlancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s’oublie
Aux soleils couchants.
Et d'êtranges rêves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Dêfilent sans trêves,
Dêfilent, pareils
A des grands soleils
Couchants, sur les grèves.
II
CRÉPUSCULE DU SOIR MYSTIQUE
Le Souvenir avec le Crêpuscule
Rougeoie et tremble à l’ardent horizon
De l’Espêrance en flamme qui recule
Et s’agrandit ainsi qu’une cloison
Mystêrieuse où mainte floraison
--Dahlia, lys, tulipe et renoncule--
S'êlance autour d’un treillis, et circule
Parmi la maladive exhalaison
De parfums lourds et chauds, dont le poison
--Dahlia, lys, tulipe et renoncule--
Noyant mes sens, mon âme et ma raison,
Mêle, dans une immense pâmoison,
Le Souvenir avec le Crêpuscule.
III
PROMENADE SENTIMENTALE
Le couchant, dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berèait les nênuphars blêmes;
Les grands nênuphars entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l'êtang, parmi la saulaie
Où la brume vague êvoquait un grand
Fantôme laiteux se dêsespêrant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie; et l'êpais linceul
Des tênèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ses ondes blêmes
Et des nênuphars, parmi les roseaux,
Des grands nênuphars sur les calmes eaux.
IV
NUIT DU WALPURGIS CLASSIQUE
C’est plutôt le sabbat du second Faust que l’autre.
Un rhythmique sabbat, rhythmique, extrêmement
Rhythmique. —Imaginez un jardin de Lenôtre,
Correct, ridicule et charmant.
Des ronds-points; au milieu, des jets d’eau; des allêes
Toutes droites; sylvains de marbre; dieux marins
De bronze; èà et là, des Vênus êtalêes;
Des quinconces, des boulingrins;
Des châtaigniers; des plants de fleurs formant la dune;
Ici, des rosiers nains qu’un goût docte effila;
Plus loin, des ifs taillês en triangles. La lune
D’un soir d'êtê sur tout cela.
Minuit sonne, et rêveille au fond du parc aulique
Un air mêlancolique, un sourd, lent et doux air
De chasse: tel, doux, lent, sourd et mêlancolique,
L’air de chasse de Tannhauser.
Des chants voilês de cors lointains où la tendresse
Des sens êtreint l’effroi de l'âme en des accords
Harmonieusement dissonnants dans l’ivresse;
Et voici qu'à l’appel des cors
S’entrelacent soudain des formes toutes blanches,
Diaphanes, et que le clair de lune fait
Opalines parmi l’ombre verte des branches,
--Un Watteau rêvê par Raffet! —
S’entrelacent parmi l’ombre verte des arbres
D’un geste alangui, plein d’un dêsespoir profond;
Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres
Très lentement dansent en rond.
--Ces spectres agitês, sont-ce donc la pensêe
Du poète ivre, ou son regret, ou son remords,
Ces spectres agitês en tourbe cadencêe,
Ou bien tout simplement des morts?
Sont-ce donc ton remords, ô rèvasseur qu’invite
L’horreur, ou ton regret, ou ta pensêe, --hein? --tous
Ces spectres qu’un vertige irrêsistible agite,
Ou bien des morts qui seraient fous? —
N’importe! ils vont toujours, les fêbriles fantômes,
Menant leur ronde vaste et morne et tressautant
Comme dans un rayon de soleil des atomes,
Et s'êvaporent à l’instant
Humide et blême où l’aube êteint l’un après l’autre
Les cors, en sorte qu’il ne reste absolument
Plus rien--absolument--qu’un jardin de Lenôtre,
Correct, ridicule et charmant.
V
CHANSON D’AUTOMNE
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure;
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deèà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
VI
L’HEURE DU BERGER
La lune est rouge au brumeux horizon;
Dans un brouillard qui danse, la prairie
S’endort fumeuse, et la grenouille crie
Par les joncs verts où circule un frisson;
Les fleurs des eaux referment leurs corolles,
Des peupliers profilent aux lointains,
Droits et serrês, leurs spectres incertains;
Vers les buissons errent les lucioles;
Les chats-huants s'êveillent, et sans bruit
Rament l’air noir avec leurs ailes lourdes,
Et le zênith s’emplit de lueurs sourdes.
Blanche, Vênus êmerge, et c’est la Nuit.
VII
LE ROSSIGNOL
Comme un vol criard d’oiseaux en êmoi,
Tous mes souvenirs s’abattent sur moi,
S’abattent parmi le feuillage jaune
De mon coeur mirant son tronc pliê d’aune
Au tain violet de l’eau des Regrets,
Qui mêlancoliquement coule auprès,
S’abattent, et puis la rumeur mauvaise
Qu’une brise moite en montant apaise,
S'êteint par degrês dans l’arbre, si bien
Qu’au bout d’un instant on n’entend plus rien,
Plus rien que la voix cêlêbrant l’Absente,
Plus rien que la voix, --ô si languissante! —
De l’oiseau qui fut mon Premier Amour,
Et qui chante encor comme au premier jour;
Et, dans la splendeur triste d’une lune
Se levant blafarde et solennelle, une
Nuit mêlancolique et lourde d'êtê,
Pleine de silence et d’obscuritê,
Berce sur l’azur qu’un vent doux effleure
L’arbre qui frissonne et l’oiseau qui pleure.
CAPRICES
A Henry Winter.
I
FEMME ET CHATTE
Elle jouait avec sa chatte;
Et c'êtait merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S'êbattre dans l’ombre du soir.
Elle cachait--la scêlêrate! —
Sous ces mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d’agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.
L’autre aussi faisait la sucrêe
Et rentrait sa griffe acêrêe,
Mais le diable n’y perdait rien…
Et dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aêrien,
Brillaient quatre points de phosphore.
II
JÉSUITISME
Le chagrin qui me tue est ironique, et joint
Le sarcasme au supplice, et ne torture point
Franchement, mais picote avec un faux sourire
Et transforme en spectacle amusant mon martyre,
Et sur la bière où gît mon Rêve mi-pourri,
Beugle un De profundis sur l’air du Traderi.
C’est un Tartufe qui, tout en mettant des roses
Pompons sur les autels des Madones moroses,
Tout en faisant chanter à des enfants de choeurs
Ces cantiques d’eau tiède où se baigne le coeur,
Tout en ami donnant ces guimpes amoureuses
Qui serpentent au coeur sacrê des Bienheureuses,
Tout en disant à voix basse son chapelet,
Tout en passant la main sur son petit collet,
Tout en parlant avec componction de l'âme,
N’en mêdite pas moins ma ruine, --l’infâme!
III
LA CHANSON DES INGÉNUES
Nous sommes les Ingênues
Aux bandeaux plats, à l’oeil bleu,
Qui vivons, presque inconnues,
Dans les romans qu’on lit peu.
Nous allons entrelacêes,
Et le jour n’est pas plus pur
Que le fond de nos pensêes,
Et nos rêves sont d’azur;
Et nous courons par les prês
Et rions et babillons
Des aubes jusqu’aux vesprêes,
Et chassons aux papillons;
Et des chapeaux de bergères
Dêfendent notre fraîcheur,
Et nos robes--si lêgères--
Sont d’une extrême blancheur;
Les Richelieux, les Caussades
Et les chevaliers Faublas
Nous prodiguent les oeillades,
Les saluts et les «hêlas!»
Mais en vain, et leurs mimiques
Se viennent casser le nez
Devant les plis ironiques
De nos jupons dêtournês;
Et notre candeur se raille
Des imaginations
De ces raseurs de muraille,
Bien que parfois nous sentions
Battre nos coeurs sous nos mantes
A des pensers clandestins,
En nous sachant les amantes
Futures des libertins.
IV
UNE GRANDE DAME
Belle «à damner les saints», à troubler sous l’aumusse
Un vieux juge! Elle marche impêrialement.
Elle parle--et ses dents font un miroitement--
Italien, avec un lêger accent russe.
Ses yeux froids où l'êmail sertit le bleu de Prusse
Ont l'êclat insolent et dur du diamant.
Pour la splendeur du sein, pour le rayonnement
De la peau, nulle reine ou courtisane, fût-ce
Clêopâtre la lynce ou la chatte Ninon,
N'êgale sa beautê patricienne, non!
Vois, ô bon Buridan: «C’est une grande dame!»
Il faut--pas de milieu! --l’adorer à genoux.
Plat, n’ayant d’astre aux cieux que ces lourds cheveux roux
Ou bien lui cravacher la face, à cette femme!
V
MONSIEUR PRUDHOMME
Il est grave: il est maire et père de famille.
Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux,
Dans un rêve sans fin, flottent insoucieux
Et le printemps en fleurs sur ses pantoufles brille.
Que lui fait l’astre d’or, que lui fait la charmille
Où l’oiseau chante à l’ombre, et que lui font les cieux,
Et les prês verts et les gazons silencieux?
Monsieur Prudhomme songe à marier sa fille
Avec monsieur Machin, un jeune homme cossu.
Il est juste-milieu, botaniste et pansu,
Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles,
Ces fainêants barbus, mal peignês, il les a
Plus en horreur que son êternel coryza,
Et le printemps en fleurs brille sur ses pantoufles.
INITIUM
Les violons mêlaient leur rire du chant des flûtes,
Et le bal tournoyait quand je la vis passer
Avec ses cheveux blonds jouant sur les volutes
De son oreille où mon Dêsir comme un baiser
S'êlanèait et voulait lui parler sans oser.
Cependant elle allait, et la mazurque lente
La portait dans son rythme indolent comme un vers,
--Rime mêlodieuse, image êtincelante, —
Et son âme d’enfant rayonnait à travers
La sensuelle ampleur de ses yeux gris et verts.
Et depuis, ma Pensêe--immobile--contemple
Sa Splendeur êvoquêe, en adoration,
Et, dans son Souvenir, ainsi que dans un temple,
Mon Amour entre, plein de superstition.
Et je crois que voici venir la Passion.
ÇAVITRI
(MAHA-BRAHATA)
Pour sauver son êpoux, Çavitri fit le voeu
De se tenir trois jours entiers, trois nuits entières,
Debout, sans remuer jambes, buste ou paupières:
Rigide, ainsi que dit Vyaèa, comme un pieu.
Ni, Curya, tes rais cruels, ni la langueur
Que Tchandra vient êpandre à minuit sur les cimes
Ne firent dêfaillir, dans leurs efforts sublimes,
La pensêe et la chair de la femme au grand coeur.
--Que nous cerne l’Oubli, noir et morne assassin,
Ou que l’Envie aux traits amers nous ait pour cibles.
Ainsi que Çavitri faisons-nous impassibles,
Mais, comme elle, dans l'âme ayons un haut dessein.
SUB URBE
Les petits ifs du cimetière
Frêmissent au vent hiêmal,
Dans la glaciale lumière.
Avec des bruits sourds qui font mal,
Les croix de bois des tombes neuves
Vibrent sur un ton anormal.
Silencieux comme les fleuves,
Mais gros de pleurs comme eux de flots,
Les fils, les mères elles veuves,
Par les dêtours du triste enclos,
S'êcoulent, --lente thêorie,
Au rythme heurtê des sanglots.
Le sol sous les pieds glisse et crie,
Là-haut de grands nuages tors
S'êchevèlent avec furie.
Pênêtrant comme le remords,
Tombe un froid lourd qui vous êcoeure,
Et qui doit filtrer chez les morts,
Chez les pauvres morts, à toute heure
Seuls, et sans cesse grelottants,
--Qu’on les oublie ou qu’on les pleure! —
Ah! vienne vite le Printemps,
Et son clair soleil qui caresse,
Et ses doux oiseaux caquetants!
Refleurisse l’enchanteresse
Gloire des jardins et des champs
Que l'âpre hiver tient en dêtresse!
Et que, --des levers aux couchants,
L’or dilatê d’un ciel sans bornes
Berce de parfums et de chants,
Chers endormis, vos sommeils mornes!
SÉRÉNADE
Comme la voix d’un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,
Maîtresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse.
Ouvre ton âme et ton oreille au son
De la mandoline:
Pour toi j’ai fait, pour toi, cette chanson
Cruelle et câline.
Je chanterai tes yeux d’or et d’onyx
Purs de toutes ombres,
Puis le Lêthê de ton sein, puis le Styx
De tes cheveux sombres.
Comme la voix d’un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,
Maîtresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse.
Puis je louerai beaucoup, comme il convient,
Cette chair bênie
Dont le parfum opulent me revient
Les nuits d’insomnie.
Et pour finir, je dirai le baiser
De ta lèvre rouge,
Et ta douceur à me martyriser,
--Mon Ange! --ma Gouge!
Ouvre ton âme et ton oreille au son
De ma mandoline:
Pour toi j’ai fait, pour toi, cette chanson
Cruelle et câline.
UN DAHLIA
Courtisane au sein dur, à l’oeil opaque et brun
S’ouvrant avec lenteur comme celui d’un boeuf,
Ton grand torse reluit ainsi qu’un marbre neuf.
Fleur grasse et riche, autour de toi ne flotte aucun
Arôme, et la beautê sereine de ton corps
Dêroule, mate, ses impeccables accords.
Tu ne sens même pas la chair, ce goût qu’au moins
Exhalent celles-là qui vont fanant les foins,
Et tu trônes, Idole insensible à l’encens.
--Ainsi le Dahlia, roi vêtu de splendeur;
Élève, sans orgueil, sa tête sans odeur,
Irritant au milieu des jasmins agaèants!
NEVERMORE
Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice,
Redresse et peins à neuf tous tes arcs triomphaux;
Brûle un encens ranci sur tes autels d’or faux;
Sème de fleurs les bords bêants du prêcipice;
Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice!
Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni;
Entonne, orgue enrouê, des Te Deum splendides;
Vieillard prêmaturê, mets du fard sur tes rides:
Couvre-toi de tapis mordorês, mur jauni;
Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni.
Sonnez, grelots; sonnez, clochettes; sonnez, cloches!
Car mon rêve impossible a pris corps, et je l’ai
Entre mes bras pressê: le Bonheur, cet ailê
Voyageur qui de l’Homme êvite les approches.
--Sonnez, grelots; sonnez, clochettes; sonnez, cloches!
Le Bonheur a marchê côte à côte avec moi;
Mais la FATALITÉ ne connaît point de trêve:
Le ver est dans le fruit, le rêveil dans le rêve,
Et le remords est dans l’amour: telle est la loi.
--Le Bonheur a marchê côte à côte avec moi.
IL BACIO
Baiser! rose trêmière au jardin des caresses!
Vif accompagnement sur le clavier des dents
Des doux refrains qu’Amour chante en les coeurs ardents,
Avec sa voix d’archange aux langueurs charmeresses!
Sonore et gracieux Baiser, divin Baiser!
Voluptê non pareille, ivresse inênarrable!
Salut! L’homme, penchê sur ta coupe adorable,
S’y grise d’un bonheur qu’il ne sait êpuiser.
Comme le vin du Rhin et comme la musique,
Tu consoles et tu berces, et le chagrin
Expire avec la moue en ton pli purpurin…
Qu’un plus grand, Goethe ou Will, te dresse un vers classique.
Moi, je ne puis, chêtif trouvère de Paris,
T’offrir que ce bouquet de strophes enfantines:
Sois bênin et, pour prix, sur les lèvres mutines
D’Une que je connais, Baiser, descends, et ris.
DANS LES BOIS
D’autres, --des innocents ou bien des lymphatiques, —
Ne trouvent dans les bois que charmes langoureux,
Souffles frais et parfums tièdes. Ils sont heureux!
D’autres s’y sentent pris--rêveurs--d’effrois mystiques.
Ils sont heureux! Pour moi, nerveux, et qu’un remords
Épouvantable et vague affole sans relâche,
Par les forêts je tremble à la faèon d’un lâche
Qui craindrait une embûche ou qui verrait des morts.
Ces grands rameaux jamais apaisês, comme l’onde.
D’où tombe un noir silence avec une ombre encor
Plus noire, tout ce morne et sinistre dêcor
Me remplit d’une horreur triviale et profonde.
Surtout les soirs d'êtê: la rougeur du couchant
Se fond dans le gris bleu des brumes qu’elle teinte
D’incendie et de sang; et l’angêlus qui tinte
Au lointain semble un cri plaintif se rapprochant.
Le vent se lève chaud et lourd, un frisson passe
Et repasse, toujours plus fort, dans l'êpaisseur
Toujours plus sombre des hauts chênes, obsesseur,
Et s'êparpille, ainsi qu’un miasme, dans l’espace.
La nuit vient. Le hibou s’envole. C’est l’instant
Où l’on songe aux rêcits des aïeules naïves…
Sous un fourrê, là-bas, là-bas, des sources vives
Font un bruit d’assassins postês se concertant.
NOCTURNE PARISIEN
A Edmond Lepelletier.
Roule, roule ton flot indolent, morne Seine, —
Sur tes ponts qu’environne une vapeur malsaine
Bien des corps ont passê, morts, horribles, pourris,
Dont les âmes avaient pour meurtrier Paris.
Mais tu n’en traînes pas, en tes ondes glacêes,
Autant que ton aspect m’inspire de pensêes!
Le Tibre a sur ses bords des ruines qui font
Monter le voyageur vers un passê profond,
Et qui, de lierre noir et de lichen couvertes,
Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes.
Le gai Guadalquivir rit aux blonds orangers
Et reflète, les soirs, des bolêros lêgers,
Le Pactole a son or, le Bosphore a sa rive
Où vient faire son kief l’odalisque lascive.
Le Rhin est un burgrave, et c’est un troubadour
Que le Lignon, et c’est un ruffian que l’Adour.
Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies,
Berce de rêves doux le sommeil des momies.
Le grand Meschascêbê, fier de ses joncs sacrês,
Charrie augustement ses îlots mordorês,
Et soudain, beau d'êclairs, de fracas et de fastes,
Splendidement s'êcroule en Niagaras vastes.
L’Eurotas, où l’essaim des cygnes familiers
Mêle sa grâce blanche au vert mat des lauriers,
Sous son ciel clair que raie un vol de gypaète,
Rhythmique et caressant, chante ainsi qu’un poète.
Enfin, Ganga, parmi les hauts palmiers tremblants
Et les rouges padmas, marche à pas fiers et lents
En appareil royal, tandis qu’au loin la foule
Le long des temples va, hurlant, vivante houle,
Au claquement massif des cymbales de bois,
Et qu’accroupi, filant ses notes de hautbois,
Du saut de l’antilope agile attendant l’heure,
Le tigre jaune au dos rayê s'êtire et pleure.
--Toi, Seine, tu n’as rien. Deux quais, et voilà tout,
Deux quais crasseux, semês de l’un à l’autre bout
D’affreux bouquins moisis et d’une foule insigne
Qui fait dans l’eau des ronds et qui pêche à la ligne.
Oui, mais quand vient le soir, rarêfiant enfin
Les passants allourdis de sommeil ou de faim,
Et que le couchant met au ciel des taches rouges,
Qu’il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges
Et, s’accoudant au pont de la Citê, devant
Notre-Dame, songer, coeur et cheveux au vent!
Les nuages, chassês par la brise nocturne,
Courent, cuivreux et roux, dans l’azur taciturne.
Sur la tête d’un roi du portail, le soleil,
Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.
L’Hirondelle s’enfuit à l’approche de l’ombre.
Et l’on voit voleter la chauve-souris sombre.
Tout bruit s’apaise autour. A peine un vague son
Dit que la ville est là qui chante sa chanson,
Qui lèche ses tyrans et qui mord ses victimes;
Et c’est l’aube des vols, des amours et des crimes.
--Puis, tout à coup, ainsi qu’un tênor effarê
Lanèant dans l’air bruni son cri dêsespêrê,
Son cri qui se lamente, et se prolonge, et crie,
Éclate en quelque coin l’orgue de Barbarie:
Il brame un de ces airs, romances ou polkas,
Qu’enfants nous tapotions sur nos harmonicas
Et qui font, lents ou vifs, rêjouissants ou tristes,
Vibrer l'âme aux proscrits, aux femmes, aux artistes.
C’est êcorchê, c’est faux, c’est horrible, c’est dur,
Et donnerait la fièvre à Rossini, pour sûr;
Ces rires sont traînês, ces plaintes sont hachêes;
Sur une clef de sol impossible juchêes,
Les notes ont un rhume et les do sont des la,
Mais qu’importe! l’on pleure en entendant cela!
Mais l’esprit, transportê dans le pays des rêves,
Sent à ces vieux accords couler en lui des sèves;
La pitiê monte au coeur et les larmes aux yeux,
Et l’on voudrait pouvoir goûter la paix des cieux,
Et dans une harmonie êtrange et fantastique
Qui tient de la musique et tient de la plastique,
L'âme, les inondant de lumière et de chant,
Mêle les sons de l’orgue aux rayons du couchant!
--Et puis l’orgue s'êloigne, et puis c’est le silence,
Et la nuit terne arrive et Vênus se balance
Sur une molle nue au fond des cieux obscurs:
On allume les becs de gaz le long des murs.
Et l’astre et les flambeaux font des zigzags fantasques
Dans le fleuve plus noir que le velours des masques;
Et le contemplateur sur le haut garde-fou
Par l’air et par les ans rouillê comme un vieux sou
Se penche, en proie aux vents nêfastes de l’abîme.
Pensêe, espoir serein, ambition sublime,
Tout, jusqu’au souvenir, tout s’envole, tout fuit,
Et l’on est seul avec Paris, l’Onde et la Nuit!
--Sinistre trinitê! De l’ombre dures portes!
Manê-Thêcel-Pharès des illusions mortes!
Vous êtes toutes trois, ô Goules de malheur,
Si terribles, que l’Homme, ivre de la douleur
Que lui font en perèant sa chair vos doigts de spectre,
L’Homme, espèce d’Oreste à qui manque une Électre,
Sous la fatalitê de votre regard creux
Ne peut rien et va droit au prêcipice affreux;
Et vous êtes aussi toutes trois si jalouses
De tuer et d’offrir au grand Ver des êpouses
Qu’on ne sait que choisir entre vos trois horreurs,
Et si l’on craindrait moins pêrir par les terreurs
Des Tênèbres que sous l’Eau sourde, l’Eau profonde,
Ou dans tes bras fardês, Paris, reine du monde!
--Et tu coules toujours, Seine, et, tout en rampant,
Tu traînes dans Paris ton cours de vieux serpent,
De vieux serpent boueux, emportant vers tes havres
Tes cargaisons de bois, de houille et de cadavres!
MARCO {1}
Note 1: (retour) L’auteur prêvient que le rythme et le dessin de cette ritournelle sont empruntês à un poème faisant partie du recueil de M. J.-T. de Saint-Germain: les Roses de Noël (Mignon). Il a cru intêressant d’exploiter au profit d’un tout autre ordre d’idêes une forme lyrique un peu naïve peut-être, mais assez harmonieuse toutefois dans sa maladresse même, et qui n’a point trop mal rêussi, ce semble, à son inventeur, poète aimable.
Quand Marco passait, tous les jeunes hommes
Se penchaient pour voir ses yeux, des Sodomes
Où les feux d’Amour brûlaient sans pitiê
Ta pauvre cahute, ô froide Amitiê;
Tout autour dansaient des parfums mystiques
Où l'âme, en pleurant, s’anêantissait.
Sur ses cheveux roux un charme glissait;
Sa robe rendait d'êtranges musiques
Quand Marco passait.
Quand Marco chantait, ses mains, sur l’ivoire,
Évoquaient souvent la profondeur noire
Des airs primitifs que nul n’a redits,
Et sa voix montait dans les paradis
De la symphonie immense des rêves,
Et l’enthousiasme alors transportait
Vers des cieux connus quiconque êcoutait
Ce timbre d’argent qui vibrait sans trèves,
Quand Marco chantait.
Quand Marco pleurait, ses terribles larmes
Dêfiaient l'êclat des plus belles armes;
Ses lèvres de sang fonèaient leur carmin
Et son dêsespoir n’avait rien d’humain;
Pareil au foyer que l’huile exaspère,
Son courroux croissait, rouge, et l’on aurait
Dit d’une lionne à l'âpre forêt
Communiquant sa terrible colère,
Quand Marco pleurait.
Quand Marco dansait, sa jupe moirêe
Allait et venait comme une marêe,
Et, tel qu’un bambou flexible, son flanc
Se tordait, faisant saillir son sein blanc;
Un êclair partait. Sa jambe de marbre,
Emphatiquement cynique, haussait
Ses mates splendeurs, et cela faisait
Le bruit du vent de la nuit dans un arbre,
Quand Marco dansait.
Quand Marco dormait, oh! quels parfums d’ambre
Et de chair mêlês opprimaient la chambre!
Sous les draps la ligne exquise du dos
Ondulait, et dans l’ombre des rideaux
L’haleine montait, rhythmique et lêgère;
Un sommeil heureux et calme fermait
Ses yeux, et ce doux mystère charmait
Les vagues objets parmi l'êtagère,
Quand Marco dormait.
Mais quand elle aimait, des flots de luxure
Dêbordaient, ainsi que d’une blessure
Sort un sang vermeil qui fume et qui bout,
De ce corps cruel que son crime absout:
Le torrent rompait les digues de l'âme,
Noyait la pensêe, et bouleversait
Tout sur son passage, et rebondissait
Souple et dêvorant comme de la flamme,
Et puis se glaèait.
CESAR BORGIA
PORTRAIT EN PIED
Sur fond sombre noyant un riche vestibule
Où le buste d’Horace et celui de Tibulle
Lointain et de profil rêvent en marbre blanc,
La main gauche au poignard et la main droite au flanc,
Tandis qu’un rire doux redresse la moustache,
Le duc CÉSAR, un grand costume, se dêtache.
Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noir
Vont contrastant, parmi l’or somptueux d’un soir,
Avec la pâleur mate et belle du visage
Vu de trois quarts et très ombrê, suivant l’usage
Des Espagnols ainsi que des Vênitiens,
Dans les portraits de rois et de praticiens.
Le nez palpite, fin et droit. La bouche, rouge,
Est mince, et l’on dirait que la tenture bouge
Au souffle vêhêment qui doit s’en exhaler.
Et le regard errant avec laisser-aller,
Devant lui, comme il sied aux anciennes peintures,
Fourmille de pensers ênormes d’aventures.
Et le front, large et pur, sillonnê d’un grand pli,
Sans doute de projets formidables rempli,
Mêdite sous la toque où frissonne une plume
S'êlanèant hors d’un noeud de rubis qui s’allume.
LA MORT DE PHILIPPE II
A Louis-Xavier de Ricard.
Le coucher d’un soleil de septembre ensanglante
La plaine morne et l'âpre arête des sierras
Et de la brume au loin l’installation lente.
Le Guadarrama pousse entre les sables ras
Son flot hâtif qui va rêflêchissant par places
Quelques oliviers nains tordant leurs maigres bras.
Le grand vol anguleux des êperviers rapaces
Raye à l’ouest le ciel mat et rouge qui brunit,
Et leur cri rauque grince à travers les espaces.
Despotique, et dressant au-devant du zênith
L’entassement brutal de ses tours octogones,
L’Escurial êtend son orgueil de granit.
Les murs carrês, percês de vitraux monotones,
Montent droits, blancs et nus, sans autres ornements
Que quelques grils sculptês qu’alternent des couronnes.
Avec des bruits pareils aux rudes hurlements
D’un ours que des bergers navrent de coups de pioches
Et dont l'êcho redit les râles alarmants,
Torrent de cris roulant ses ondes sur les roches,
Et puis s'êvaporant en de murmures longs,
Sinistrement dans l’air, du soir, tintent les cloches.
Par les cours du palais, où l’ombre met ses plombs,
Circule--tortueux serpent hiêratique--
Une procession de moines aux frocs blonds
Qui marchent un par un, suivant l’ordre ascêtique,
Et qui, pieds nus, la corde aux reins, un cierge en main,
Ululent d’une voix formidable un cantique.
--Qui donc ici se meurt? Pour qui sur le chemin
Cette paille êpandue et ces croix long-voilêes
Selon le rituel catholique romain? —
La chambre est haute, vaste et sombre. Niellêes,
Les portes d’acajou massif tournent sans bruit,
Leurs serrures êtant, comme leurs gonds, huilêes.
Une vague rougeur plus triste que la nuit
Filtre à rais indêcis par les plis des tentures
A travers les vitraux où le couchant reluit,
Et fait papilloter sur les architectures,
A l’angle des objets, dans l’ombre du plafond,
Ce halo singulier qu’ont voit dans les peintures.
Parmi le clair-obscur transparent et profond
S’agitent effarês des hommes et des femmes
A pas furtifs, ainsi que les hyènes font.
Riches, les vêtements des seigneurs et des dames
Velours panne, satin soie, hermine et brocart,
Chantent l’ode du luxe en chatoyantes gammes,
Et, trouant par êclairs distancês avec art
L’opaque demi-jour, les cuirasses de cuivre
Des gardes alignês scintillent de trois quart
Un homme en robe noire, à visage de guivre,
Se penche, en caressant de la main ses fêmurs.
Sur un lit, comme l’on se penche sur un livre.
Des rideaux de drap d’or roides comme des murs
Tombent d’un dais de bois d'êbène en droite ligne,
Dardant à temps êgaux l’oeil des diamants durs.
Dans le lit, un vieillard d’une maigreur insigne
Égrène un chapelet, qu’il baise par moment,
Entre ses doigts crochus comme des brins de vigne
Ses lèvres font ce sourd et long marmottement,
Dernier signe de vie et premier d’agonie,
--Et son haleine pue êpouvantablement.
Dans sa barbe couleur d’amarante ternie,
Parmi ses cheveux blancs où luisent des tons roux
Sous son linge bordê de dentelle jaunie,
Avides, empressês, fourmillants, et jaloux
De pomper tout le sang malsain du mourant fauve,
En bataillons serrês vont et viennent les poux.
C’est le Roi, ce mourant qu’assistê un mire chauve,
Le Roi Philippe Deux d’Espagne, --Saluez!
Et l’aigle autrichien s’effare dans l’alcôve,
Et de grands êcussons, aux murailles clouês,
Brillent, et maints drapeaux où l’oiseau noir s'êtale
Pendent deèà delà, vaguement remuês!…
--La porte s’ouvre. Un flot de lumière brutale
Jaillit soudain, dêferle et bientôt s'êtablit
Par l’ampleur de la chambre en nappe horizontale:
Porteurs de torches, roux, et que l’extase emplit,
Entrent dix capucins qui restent en prière:
Un d’entre eux se dêtache et marche droit au lit.
Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre,
Et les êlancements farouches de la Foi
Rayonnent à travers les cils de sa paupière;
Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi,
Sonne sur les tapis, rêgulier, emphatique;
Les yeux baissês en terre, il marche droit au Roi.
Et tous sur son trajet dans un geste extatique
S’agenouillent, frappant trois fois du poing leur sein,
Car il porte avec lui le sacrê Viatique.
Du lit s'êcarte avec respect le matassin,
Le mêdecin du corps, en pareille occurrence,
Devant cêder la place, Ame, à ton mêdecin.
La figure du Roi, qu'êtire la souffrance,
A l’approche du fray se rassêrène un peu.
Tant la religion est grosse d’espêrance!
Le moine, cette fois, ouvrant son oeil de feu,
Tout brillant de pardons mêlês à des reproches,
S’arrête, messager des justices de Dieu.
--Sinistrement dans l’air du soir tintent les cloches.
Et la Confession commence. Sur le flanc
Se retournant, le roi, d’un ton sourd, bas et grêle,
Parle de feux, de juifs, de bûchers et de sang.
--«Vous repentiriez-vous par hasard de ce zèle?
Brûler des juifs, mais c’est une dilection!
Vous fûtes, ce faisant, orthodoxe et fidèle.» —
Et, se pêtrifiant dans l’exaltation,
Le Rêvêrend, les bras croisês en croix, tête dressêe,
Semble l’esprit sculptê de l’Inquisition.
Ayant repris haleine, et d’une voix cassêe,
Pêniblement, et comme arrachant par lambeaux
Un remords douloureux du fond de sa pensêe,
Le Roi, dont la lueur tragique des flambeaux
Éclaire le visage osseux et le front blême,
Prononce ces mots: Flandre, Albe, morts, sacs, tombeaux.
--"Les Flamands, rêvoltês contre l'Église même,
Furent très justement punis, à votre los,
Et je m'êtonne, ô Roi, de ce doute suprême.
«Poursuivez.» --Et le roi parla de don Carlos.
Et deux larmes coulaient tremblantes sur sa joue
Palpitante et collêe affreusement à l’os.
--"Vous dêplorez cet acte, et moi je vous en loue!
L’Infant, certes, êtait coupable au dernier point,
Ayant voulu tirer l’Espagne dans la boue
«De l’hêrêsie anglaise, et de plus n’ayant point
Frêmi de conspirer--ô ruses abhorrêes! —
Et contre un Père, et contre un Maître, et contre un Oint!» —
Le moine ensuite dit les formules sacrêes
Par quoi tous nos pêchês nous sont remis, et puis,
Prenant l’Hostie avec ses deux mains timorêes,
Sur la langue du Roi la dêposa. Tous bruits
Se sont tus, et la Cour, pliant dans la dêtresse,
Pria, muette et pâle, et nul n’a su depuis
Si sa prière fut sincère ou bien traîtresse.
--Qui dira les pensers obscurs que protêgea
Ce silence, brouillard complice qui se dresse? —
Ayant communiê, le Roi se replongea
Dans l’ampleur des coussins, et la bêatitude
De l’Absolution reèue ouvrant dêjà
L’oeil de son âme au jour clair de la certitude,
êpanouit ses traits en un sourire exquis
Qui tenait de la fièvre et de la quiêtude.
Et tandis qu’alentour ducs, comtes et marquis,
Pleins d’angoisses, fichaient leurs yeux sous la courtine.
L'âme du Roi montait aux cieux conquis.
Puis le râle des morts hurla dans la poitrine
De l’auguste malade avec des sursauts fous:
Tel l’ouragan passe à travers une ruine.
Et puis, plus rien; et puis, sortant par mille trous,
Ainsi que des serpents frileux de leur repaire,
Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux.
--Philippe Deux êtait à la droite du Père.
ÉPILOGUE
I
Le soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense.
Balancês par un vent automnal et berceur,
Les rosiers du jardin s’inclinent en cadence.
L’atmosphère ambiante a des baisers de soeur,
La Nature a quittê pour cette fois son trône
De splendeur, d’ironie et de sêrênitê:
Clêmente, elle descend, par l’ampleur de l’air jaune,
Vers l’homme, son sujet pervers et rêvoltê.
Du pan de son manteau que l’abîme constelle,
Elle daigne essuyer les moiteurs de nos fronts,
Et son âme êternelle et sa forme immortelle
Donnent calme et vigueur à nos coeurs mous et prompts.
Le frais balancement des ramures chenues,
L’horizon êlargi plein de vagues chansons,
Tout, jusqu’au vol joyeux des oiseaux et des nues,
Tout aujourd’hui console et dêlivre. —Pensons.
II
Donc, c’en est fait. Ce livre est clos. Chères Idêes
Qui rayiez mon ciel gris de vos ailes de feu
Dont le vent caressait mes tempes obsêdêes,
Vous pouvez revoler devers l’Infini bleu!
Et toi, Vers qui tintais, et toi, Rime sonore,
Et vous, Rythmes chanteurs, et vous, dêlicieux
Ressouvenirs, et vous, Rêves, et vous encore,
Images qu'êvoquaient mes dêsirs anxieux,
Il faut nous sêparer. Jusqu’aux jours plus propices
Ou nous rêunira l’Art, notre maître, adieu,
Adieu, doux compagnons, adieu, charmants complices!
Vous pouvez revoler devers l’Infini bleu.
Aussi bien, nous avons fourni notre carrière
Et le jeune êtalon de notre bon plaisir,
Tout affolê qu’il est de sa course première,
A besoin d’un peu d’ombre et de quelque loisir.
--Car toujours nous t’avons fixêe, ô Poêsie,
Notre astre unique et notre unique passion,
T’ayant seule pour guide et compagne choisie,
Mère, et nous mêfiant de l’Inspiration.
III
Ah! l’Inspiration superbe et souveraine,
L'Égêrie aux regards lumineux et profonds,
Le Genium commode et l’Erato soudaine,
L’Ange des vieux tableaux avec des ors au fond,
La Muse, dont la voix est puissante sans doute,
Puisqu’elle fait d’un coup dans les premiers cerveaux,
Comme ces pissenlits dont s'êmaille la route,
Pousser tout un jardin de poèmes nouveaux,
La Colombe, le Saint-Esprit, le saint dêlire,
Les Troubles opportuns, les Transports complaisants,
Gabriel et son luth, Apollon et sa lyre,
Ah! l’Inspiration, on l’invoque à seize ans!
Ce qu’il nous faut à nous, les Suprêmes Poèles
Qui vênêrons les Dieux et qui n’y croyons pas,
A nous dont nul rayon n’aurêola les têtes,
Dont nulle Bêatrix n’a dirigê les pas,
A nous qui ciselons les mots comme des coupes
Et qui faisons des vers êmus très froidement,
A nous qu’on ne voit point les soirs aller par groupes
Harmonieux au bord des lacs et nous pàmant,
Ce qu’il nous faut, à nous, c’est, aux lueurs des lampes,
La science conquise et le sommeil domptê,
C’est le front dans les mains du vieux Faust des estampes,
C’est l’Obstination et c’est la Volontê!
C’est la Volontê sainte, absolue, êternelle,
Cramponnêe au projet comme un noble condor
Aux flancs fumants de peur d’un buffle, et d’un coup d’aile
Emportant son trophêe à travers les cieux d’or!
Ce qu’il nous faut à nous, c’est l'êtude sans trêve,
C’est l’effort inouï, le combat non pareil,
C’est la nuit, l'âpre nuit du travail, d’où se lève
Lentement, lentement, l’Oeuvre, ainsi qu’un soleil!
Libre à nos Inspirês, coeurs qu’une oeillade enflamme.
D’abandonner leur être aux vents comme un bouleau:
Pauvres gens! l’Art n’est pas d'êparpiller son âme:
Est-elle eu marbre, ou non, la Vênus de Milo?
Nous donc, sculptons avec le ciseau des Pensêes
Le bloc vierge du Beau, Paros immaculê,
Et faisons-en surgir sous nos mains empressêes
Quelque pure statue au pêplos êtoile,
Afin qu’un jour, frappant de rayons gris et roses
Le chef-d’oeuvre serein, comme un nouveau Memnon
L’Aube-Postêritê, fille des Temps moroses,
Fasse dans l’air futur retentir notre nom!
FÊTES GALANTES
CLAIR DE LUNE
Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmants masques et bergamasques,
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs dêguisements fantasques.
Tout en chantant sur le mode mineur
L’amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,
Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d’extase les jets d’eau,
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.
PANTOMIME
Pierrot, qui n’a rien d’un Clitandre,
Vide un flacon sans plus attendre,
Et, pratique, entame un pâtê.
Cassandre, au fond de l’avenue,
Verse une larme mêconnue
Sur son neveu dêshêritê.
Ce faquin d’Arlequin combine
L’enlèvement de Colombine
Et pirouette quatre fois.
Colombine rêve, surprise
De sentir un coeur dans la brise
Et d’entendre en son coeur des voix.
SUR L’HERBE
L’abbê divague. —Et toi, marquis,
Tu mets de travers ta perruque.
--Ce vieux vin de Chypre est exquis
Moins, Camargo, que votre nuque.
--Ma flamme… —Do, mi, sol, la, si.
--L’abbê, ta noirceur se dêvoile.
--Que je meure, Mesdames, si
Je ne vous dêcroche une êtoile.
--Je voudrais être petit chien!
--Embrassons nos bergères, l’une
Après l’autre. —Messieurs, eh bien?
--Do, mi, sol. —Hê! bonsoir la Lune!
L’ALLÉE
Fardêe et peinte comme au temps des bergeries,
Frêle parmi les noeuds ênormes de rubans,
Elle passe, sous les ramures assombries,
Dans l’allêe où verdit la mousse des vieux bancs,
Avec mille faèons et mille affêteries
Qu’on garde d’ordinaire aux perruches chêries.
Sa longue robe à queue est bleue, et l'êventail
Qu’elle froisse en ses doigts fluets aux larges bagues
S'êgaie en des sujets êrotiques, si vagues
Qu’elle sourit, tout en rêvant, à maint dêtail.
--Blonde en somme. Le nez mignon avec la bouche
Incarnadine, grasse, et divine d’orgueil
Inconscient. —D’ailleurs plus fine que la mouche
Qui ravive l'êclat un peu niais de l’oeil.
A LA PROMENADE
Le ciel si pâle et les arbres si grêles
Semblent sourire à nos costumes clairs
Qui vont flottant lêgers avec des airs
De nonchalance et des mouvements d’ailes.
Et le vent doux ride l’humble bassin,
Et la lueur du soleil qu’attênue
L’ombre des bas tilleuls de l’avenue
Nous parvient bleue et mourante à dessein.
Trompeurs exquis et coquettes charmantes
Coeurs tendres mais affranchis du serment
Nous devisons dêlicieusement,
Et les amants lutinent les amantes
De qui la main imperceptible sait
Parfois donner un soufflet qu’on êchange
Contre un baiser sur l’extrême phalange
Du petit doigt, et comme la chose est
Immensêment excessive et farouche,
On est puni par un regard très sec,
Lequel contraste, au demeurant, avec
La moue assez clêmente de la bouche.
DANS LA GROTTE
Là, je me tue à vos genoux!
Car ma dêtresse est infinie,
Et la tigresse êpouvantable d’Hyrcanie
Est une agnelle au prix de vous.
Oui, cêans, cruelle Clymène,
Ce glaive qui, dans maints combats,
Mit tant de Scipions et de Cyrus à bas,
Va finir ma vie et ma peine!
Ai-je même besoin de lui
Pour descendre aux Champs-Elysêes?
Amour perèa-t-il pas de flèches aiguisêes
Mon coeur, dès que votre oeil m’eût lui?
LES INGÉNUS
Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambe, trop souvent
Interceptês! --et nous aimions ce jeu de dupes.
Parfois aussi le dard d’un insecte jaloux
Inquiêtait le col des belles, sous les branches,
Et c'êtait des êclairs soudains de nuques blanches
Et ce rêgal comblait nos jeunes yeux de fous.
Le soir tombait, un soir êquivoque d’automne:
Les belles, se pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spêcieux, tout bas,
Que notre âme depuis ce temps tremble et s'êtonne.
CORTÈGE
Un singe en veste de brocart
Trotte et gambade devant elle
Qui froisse un mouchoir de dentelle
Dans sa main gantêe avec art,
Tandis qu’un nêgrillon tout rouge
Maintient à tour de bras les pans
De sa lourde robe en suspens,
Attentif à tout pli qui bouge;
Le singe ne perd pas des yeux
La gorge blanche de la dame.
Opulent trêsor que rêclame
Le torse nu de l’un des dieux;
Le nêgrillon parfois soulève
Plus haut qu’il ne faut, l’aigrefin,
Son fardeau somptueux, afin
De voir ce dont la nuit il rêve;
Elle va par les escaliers,
Et ne paraît pas davantage
Sensible à l’insolent suffrage
De ses animaux familiers.
LES COQUILLAGES
Chaque coquillage incrustê
Dans la grotte où nous nous aimâmes
A sa particularitê,
L’un a la pourpre de nos âmes
Dêrobêe au sang de nos coeurs
Quand je brûle et que tu t’enflammes;
Cet autre affecte tes langueurs
Et tes pâleurs alors que, lasse,
Tu m’en veux de mes yeux moqueurs;
Celui-ci contrefait la grâce
De ton oreille, et celui-là
Ta nuque rose, courte et grasse;
Mais un, entre autres, me troubla.
EN PATINANT
Nous fûmes dupes, vous et moi,
De manigances mutuelles,
Madame, à cause de l'êmoi
Dont l'Étê fêrut nos cervelles.
Le Printemps avait bien un peu
Contribuê, si ma mêmoire
Est bonne, à brouiller notre jeu,
Mais que d’une faèon moins noire!
Car au printemps l’air est si frais
Qu’en somme les roses naissantes,
Qu’Amour semble entr’ouvrir exprès,
Ont des senteurs presque innocentes;
Et même les lilas ont beau
Pousser leur haleine poivrêe,
Dans l’ardeur du soleil nouveau,
Cet excitant au plus rêcrêe,
Tant le zêphir souffle, moqueur,
Dispersant l’aphrodisiaque
Effluve, en sorte que le coeur
Chôme et que même l’esprit vaque,
Et qu'êmoustillês, les cinq sens
Se mettent alors de la fête,
Mais seuls, tout seuls, bien seuls et sans
Que la crise monte à la tête.
Ce fut le temps, sous de clairs ciels
(Vous en souvenez-vous, Madame?),
Des baisers superficiels
Et des sentiments à fleur d'âme,
Exempts de folles passions,
Pleins d’une bienveillance amène.
Comme tous deux nous jouissions
Sans enthousiasme--et sans peine!
Heureux instants! --mais vint l'Étê:
Adieu, rafraîchissantes brises?
Un vent de lourde voluptê
Investit nos âmes surprises.
Des fleurs aux calices vermeils
Nous lancèrent leurs odeurs mûres,
Et partout les mauvais conseils
Tombèrent sur nous des ramures
Nous cêdâmes à tout cela,
Et ce fut un bien ridicule
Vertigo qui nous affola
Tant que dura la canicule.
Rires oiseux, pleurs sans raisons,
Mains indêfiniment pressêes,
Tristesses moites, pâmoisons,
Et quel vague dans les pensêes!
L’automne heureusement, avec
Son jour froid et ses bises rudes,
Vint nous corriger, bref et sec,
De nos mauvaises habitudes,
Et nous induisit brusquement
En l'êlêgance rêclamêe
De tout irrêprochable amant
Comme de toute digne aimêe…
Or cet Hiver, Madame, et nos
Parieurs tremblent pour leur bourse,
Et dêjà les autres traîneaux
Osent nous disputer la course.
Les deux mains dans votre manchon,
Tenez-vous bien sur la banquette
Et filons! --et bientôt Fanchon
Nous fleurira quoiqu’on caquette!
FANTOCHES
Scaramouche et Pulcinella,
Qu’un mauvais dessein rassembla,
Gesticulent, noirs sur la lune.
Cependant l’excellent docteur
Bolonais cueille avec lenteur
Des simples parmi l’herbe brune.
Lors sa fille, piquant minois,
Sous la charmille en tapinois
Se glisse demi-nue, en quête
De son beau pirate espagnol,
Dont un langoureux rossignol
Clame la dêtresse à tue-tête.
CYTHÈRE
Un pavillon à claires-voies
Abrite doucement nos joies
Qu'êventent des rosiers amis;
L’odeur des roses, faible, grâce
Au vent lêger d'êtê qui passe,
Se mêle aux parfums qu’elle a mis;
Comme ses yeux l’avaient promis,
Son courage est grand et sa lèvre
Communique une exquise fièvre;
Et l’Amour comblant tout, hormis
La Faim, sorbets et confitures
Nous prêservent des courbatures.
EN BATEAU
L'êtoile du berger tremblote
Dans l’eau plus noire et le pilote
Cherche un briquet dans sa culotte.
C’est l’instant, Messieurs, ou jamais,
D'être audacieux, et je mets
Mes deux mains partout dêsormais!
Le chevalier Atys qui gratte
Sa guitare, à Chloris l’ingrate
Lance une oeillade scêlêrate.
L’abbê confesse bas Églê,
Et ce vicomte dêrêglê
Des champs donne à son coeur la clê.
Cependant la lune se lève
Et l’esquif en sa course brève
File gaîment sur l’eau qui rêve.
LE FAUNE
Un vieux faune de terre cuite
Rit au centre des boulingrins,
Prêsageant sans doute une suite
Mauvaise à ces instants sereins
Qui m’ont conduit et t’ont conduite,
Mêlancoliques pèlerins,
Jusqu'à cette heure dont la fuite
Tournoie au son des tambourins.
MANDOLINE
Les donneurs de sêrênades
Et les belles êcouteuses
Échangent des propos fades
Sous les ramures chanteuses.
C’est Tircis et c’est Aminte,
Et c’est l'êternel Clitandre,
Et c’est Damis qui pour mainte
Cruelle fait maint vers tendre.
Leurs courtes vestes de soie,
Leurs longues robes à queues,
Leur êlêgance, leur joie
Et leurs molles ombres bleues,
Tourbillonnent dans l’extase
D’une lune rose et grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de brise.
A CLYMÈNE
Mystiques barcarolles,
Romances sans paroles,
Chère, puisque tes yeux,
Couleur des cieux,
Puisque ta voix, êtrange
Vision qui dêrange
Et trouble l’horizon
De ma raison,
Puisque l’arôme insigne
De ta pâleur de cygne
Et puisque la candeur
De ton odeur,
Ah! puisque tout ton être,
Musique qui pênètre,
Nimbes d’anges dêfunts,
Tons et parfums.
A sur d’almes cadences
En ses correspondances,
Induit mon coeur subtil,
Ainsi soit-il!
LETTRE
Eloignê de vos yeux, Madame, par des soins
Impêrieux (j’en prends tous les dieux à têmoins),
Je languis et je meurs, comme c’est ma coutume
En pareil cas, et vais, le coeur plein d’amertume,
A travers des soucis où votre ombre me suit,
Le jour dans mes pensêes, dans mes rêves la nuit.
Et la nuit et le jour adorable, Madame!
Si bien qu’enfin, mon corps faisant place à mon âme,
Je deviendrai fantôme à mon tour aussi, moi,
Et qu’alors, et parmi le lamentable êmoi
Des enlacements vains et des dêsirs sans nombre,
Mon ombre se fondra à jamais en notre ombre.
En attendant, je suis, très chère, ton valet.
Tout se comporte-t-il là-bas comme il te plaît,
Ta perruche, ton chat, ton chien? La compagnie
Est-elle toujours belle, et cette Silvanie
Dont j’eusse aimê l’oeil noir si le tien n'êtait bleu,
Et qui parfois me fit des signes, palsambleu!
Te sert-elle toujours de douce confidente?
Or, Madame, un projet impatient me hante
De conquêrir le monde et tous ses trêsors pour
Mettre à vos pieds ce gage--indigne--d’un amour
Égal à toutes les flammes les plus cêlèbres
Qui des grands coeurs aient fait resplendir les tênèbres.
Clêopàtre fut moins aimêe, oui, sur ma foi!
Par Marc-Antoine et par Cêsar que vous par moi,
N’en doutez pas, Madame, et je saurai combattre
Comme Cêsar pour un sourire, ô Clêopâtre,
Et comme Antoine fuir au seul prix d’un baiser.
Sur ce, très chère, adieu. Car voilà trop causer
Et le temps que l’on perd à lire une missive
N’aura jamais valu la peine qu’on l'êcrive.
LES INDOLENTS
Bah! malgrê les destins jaloux,
Mourons ensemble, voulez-vous?
--La proposition est rare.
--Le rare est le bon. Donc mourons
Comme dans les Dêcamêrons.
--Hi! hi! hi! quel amant bizarre!
--Bizarre, je ne sais. Amant
Irrêprochable, assurêment.
Si vous voulez, mourons ensemble?
--Monsieur, vous raillez mieux encor
Que vous n’aimez, et parlez d’or;
Mais taisons-nous, si bon vous semble?
Si bien que ce soir-là Tircis
Et Dorimène, à deux assis
Non loin de deux silvains hilares,
Eurent l’inexpiable tort
D’ajourner une exquise mort.
Hi! hi! hi! les amants bizarres!
COLOMBINE
Lêandre le sot,
Pierrot qui d’un saut
De puce
Franchit le buisson,
Cassandre sous son
Capuce,
Arlequin aussi,
Cet aigrefin si
Fantasque
Aux costumes fous,
Ses yeux luisants sous
Son masque,
--Do, mi, sol, mi, fa, —
Tout ce monde va,
Rit, chante
Et danse devant
Une belle enfant
Mêchante
Dont les yeux pervers
Comme les yeux verts
Des chattes
Gardent ses appas
Et disent: «A bas
Les pattes!»
--Eux ils vont toujours!
Fatidique cours
Des astres,
Oh! dis-moi vers quels
Mornes ou cruels
Dêsastres
L’implacable enfant,
Preste et relevant
Ses jupes,
La rose au chapeau,
Conduit son troupeau
De dupes?
L’AMOUR PAR TERRE
Le vent de l’autre nuit a jetê bas l’Amour
Qui, dans le coin le plus mystêrieux du parc,
Souriait en bandant malignement son arc,
Et dont l’aspect nous fit tant songer tout un jour!
Le vent de l’autre nuit l’a jetê bas! Le marbre
Au souffle du matin tournoie, êpars. C’est triste
De voir le piêdestal, où le nom de l’artiste
Se lit pêniblement parmi l’ombre d’un arbre.
Oh! c’est triste de voir debout le piêdestal
Tout seul! et des pensers mêlancoliques vont
Et viennent dans mon rêve où le chagrin profond
Évoque un avenir solitaire et fatal.
Oh! c’est triste! --Et toi-même, est-ce pas? es touchêe
D’un si dolent tableau, bien que ton oeil frivole
S’amuse au papillon de pourpre et d’or qui vole
Au-dessus des dêbris dont l’allêe est jonchêe.
EN SOURDINE
Calmes dans le demi-jour
Que les branches hautes font,
Pênêtrons bien notre amour
De ce silence profond.
Fondons nos âmes, nos coeurs
Et nos sens extasiês,
Parmi les vagues langueurs
Des pins et des arbousiers.
Ferme tes yeux à demi,
Croise tes bras sur ton sein,
Et de ton coeur endormi
Chasse à jamais tout dessein.
Laissons-nous persuader
Au souffle berceur et doux
Qui vient à tes pieds rider
Les ondes de gazon roux.
Et quand, solennel, le soir
Des chênes noirs tombera,
Voix de notre dêsespoir,
Le rossignol chantera.
COLLOQUE SENTIMENTAL
Dans le vieux parc solitaire et glacê
Deux formes ont tout à l’heure passê.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l’on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacê
Deux spectres ont êvoquê le passê.
--Te souvient-il de notre extase ancienne?
--Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne?
--Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? --Non.
--Ah! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches! --C’est possible.
Qu’il êtait bleu, le ciel, et grand l’espoir!
--L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
LA BONNE CHANSON
I
Le soleil du matin doucement chauffe et dore.
Les seigles et les blês tout humides encore,
Et l’azur a gardê sa fraîcheur de la nuit.
L’on sort sans autre but que de sortir; on suit,
Le long de la rivière aux vagues herbes jaunes,
Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes.
L’air est vif. Par moments un oiseau vole avec
Quelque fruit de la haie ou quelque paille au bec,
Et son reflet dans l’eau survit à son passage.
C’est tout.
Mais le songeur aime ce paysage
Dont la claire douceur a soudain caressê
Son rêve de bonheur adorable, et bercê
Le souvenir charmant de cette jeune fille,
Blanche apparition qui chante et qui scintille,
Dont rêve le poète et que l’homme chêrit,
Évoquant en ses voeux dont peut-être on sourit
La Compagne qu’enfin il a trouvêe, et l'âme
Que son âme depuis toujours pleure et rêclame.
II
Toute grâce et toutes nuances
Dans l'êclat doux de ses seize ans,
Elle a la candeur des enfances
Et les manèges innocents.
Ses yeux qui sont les yeux d’un ange,
Savent pourtant, sans y penser,
Éveiller le dêsir êtrange
D’un immatêriel baiser.
Et sa main, à ce point petite
Qu’un oiseau-mouche n’y tiendrait,
Captive, sans espoir de fuite,
Le coeur pris par elle en secret.
L’intelligence vient chez elle
En aide à l'âme noble; elle est
Pure autant que spirituelle:
Ce qu’elle a dit, il le fallait!
Et si la sottise l’amuse
Et la fait rire sans pitiê,
Elle serait, êtant la muse,
Clêmente jusqu'à l’amitiê.
Jusqu'à l’amour--qui sait? peut-être,
A l'êgard d’un poète êpris
Qui mendierait sous sa fenêtre,
L’audacieux! un digne prix
De sa chanson bonne ou mauvaise!
Mais têmoignant sincèrement,
Sans fausse note, et sans fadaise,
Du doux mal qu’on souffre en aimant.
III
En robe grise et verte avec des ruches,
Un jour de juin que j'êtais soucieux,
Elle apparut souriante à mes yeux
Qui l’admiraient sans redouter d’embûches
Elle alla, vint, revint, s’assit, parla,
Lêgère et grave, ironique, attendrie:
Et je sentais en mon âme assombrie
Comme un joyeux reflet de tout cela;
Sa voix, êtant de la musique fine,
Accompagnait dêlicieusement
L’esprit sans fiel de son babil charmant
Où la gaîtê d’un coeur bon se devine.
Aussi soudain fus-je, après le semblant
D’une rêvolte aussitôt êtouffêe,
Au plein pouvoir de la petite Fêe
Que depuis lors je supplie en tremblant.
IV
Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore,
Puisque, après m’avoir fui longtemps, l’espoir veut bien
Revoler devers moi qui l’appelle et l’implore,
Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,
C’en est fait à prêsent des funestes pensêes,
C’en est fait des mauvais rêves, ah! c’en est fait
Surtout de l’ironie et des lèvres pincêes
Et des mots où l’esprit sans l'âme triomphait.
Arrière aussi les poings crispês et la colère
A propos des mêchants et des sots rencontrês;
Arrière la rancune abominable! arrière
L’oubli qu’on cherche en des breuvages exêcrês!
Car je veux, maintenant qu’un Être de lumière
A dans ma nuit profonde êmis cette clartê
D’une amour à la fois immortelle et première,
De par la grâce, le sourire et la bontê,
Je veux, guidê par vous, beaux yeux aux flammes douces,
Par toi conduit, ô main où tremblera ma main,
Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses
Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin;
Oui, je veux marcher droit et calme dans la Vie,
Vers le but où le sort dirigera mes pas,
Sans violence, sans remords et sans envie.
Ce sera le devoir heureux aux gais combats.
Et comme, pour bercer les lenteurs de la route,
Je chanterai des airs ingênus, je me dis
Qu’elle m'êcoutera sans dêplaisir sans doute;
Et vraiment je ne veux pas d’autre Paradis.
V
Avant que tu ne t’en ailles,
Pâle êtoile du matin,
--Mille cailles
Chantent, chantent dans le thym. —
Tourne devers le poète,
Dont les yeux sont pleins d’amour,
--L’alouette
Monte au ciel avec le jour. —
Tourne ton regard que noie
L’aurore dans son azur;
--Quelle joie
Parmi les champs de blê mûr! —
Puis fais luire ma pensêe
Là-bas, --bien loin, oh! bien loin!
--La rosêe
Gaîment brille sur le foin. —
Dans le doux rêve où s’agite
Ma vie endormie encor…
—Vite, vite,
Car voici le soleil d’or. —
VI
La lune blanche
Luit dans les bois;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramêe…
O bien-aimêe.
L'êtang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure…
Rêvons, c’est l’heure.
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise…
C’est l’heure exquise.
VII
Le paysage dans le cadre des portières
Court furieusement, et des plaines entières
Avec de l’eau, des blês, des arbres et du ciel
Vont s’engouffrant parmi le tourbillon cruel
Où tombent les poteaux minces du têlêgraphe
Dont les fils ont l’allure êtrange d’un paraphe.
Une odeur de charbon qui brûle et d’eau qui bout,
Tout le bruit que feraient mille chaînes au bout
Desquelles hurleraient mille gêants qu’on fouette;
Et tout à coup des cris prolongês de chouette. —
--Que me fait tout cela, puisque j’ai dans les yeux
La blanche vision qui fait mon coeur joyeux,
Puisque la douce voix pour moi murmure encore,
Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore
Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement,
Au rythme du wagon brutal, suavement.
VIII
Une Sainte en son aurêole,
Une Châtelaine en sa tour.
Tout ce que contient la parole
Humaine de grâce et d’amour;
La note d’or que fait entendre
Un cor dans le lointain des bois,
Mariêe à la fiertê tendre
Des nobles Dames d’autrefois!
Avec cela le charme insigne
D’un frais sourire triomphant
Éclos dans des candeurs de cygne
Et des rougeurs de femme-enfant;
Des aspects nacrês, blancs et roses,
Un doux accord patricien.
Je vois, j’entends toutes ces choses
Dans son nom Carlovingien.
IX
Son bras droit, dans un geste aimable de douceur,
Repose autour du cou de la petite soeur,
Et son bras gauche suit le rythme de la jupe.
A cour sûr une idêe agrêable l’occupe,
Car ses yeux si francs, car sa bouche qui sourit,
Têmoignent d’une joie intime avec esprit.
Oh! sa pensêe exquise et fine, quelle est-elle?
Toute mignonne, tout aimable, et toute belle,
Pour ce portrait, son goût infaillible a choisi
La pose la plus simple et la meilleure aussi:
Debout, le regard droit, en cheveux; et sa robe
Est longue juste assez pour qu’elle ne dêrobe
Qu'à moitiê sous ses plis jaloux le bout charmant
D’un pied malicieux imperceptiblement.
X
Quinze longs jours encore et plus de six semaines
Dêjà! Certes, parmi les angoisses humaines
La plus dolente angoisse est celle d'être loin.
On s'êcrit, on se dit comme on s’aime; on a soin
D'êvoquer chaque jour la voix, les yeux, le geste
De l'être en qui l’on mit son bonheur, et l’on reste
Des heures à causer tout seul avec l’absent.
Mais tout ce que l’on pense et tout ce que l’on sent,
Et tout ce dont on parle avec l’absent, persiste
A demeurer blafard et fidèlement triste.
Oh! l’absence! le moins clêment de tous les maux!
Se consoler avec des phrases et des mots,
Puiser dans l’infini morose des pensêes
De quoi vous rafraîchir, espêrances lassêes,
Et n’en rien remonter que de fade et d’amer!
Puis voici, pênêtrant et froid comme le fer,
Plus rapide que les oiseaux et que les balles
Et que le vent du sud en mer et ses rafales
Et portant sur sa pointe aiguë un fin poison,
Voici venir, pareil aux flèches, le soupèon
Dêcochê par le Doute impur et lamentable.
Est-ce bien vrai? tandis qu’accoudê sur ma table
Je lis sa lettre avec des larmes dans les yeux,
Sa lettre, où s'êtale un aveu dêlicieux,
N’est-elle pas alors distraite en d’autres choses?
Qui sait? Pendant qu’ici, pour moi, lents et moroses
Coulent les jours, ainsi qu’un fleuve au bord flêtri,
Peut-être que sa lèvre innocente a souri?
Peut-être qu’elle est très joyeuse et qu’elle oublie?
Et je relis sa lettre avec mêlancolie.
XI
La dure êpreuve va finir:
Mon coeur, souris à l’avenir.
Ils sont passês les jours d’alarmes
Où j'êtais triste jusqu’aux larmes.
Ne suppute plus les instants,
Mon âme, encore un peu de temps.
J’ai lu les paroles amères
Et banni les sombres chimères.
Mes yeux exilês de la voir
De par un douloureux devoir,
Mon oreille avide d’entendre
Les notes d’or de sa voix tendre,
Tout mon être et tout mon amour
Acclament le bienheureux jour
Où, seul rêve et seule pensêe,
Me reviendra la fiancêe!
XII
Va, chanson, à tire-d’aile
Au-devant d’elle, et dis-lui
Bien que dans mon coeur fidèle
Un rayon joyeux a lui,
Dissipant, lumière sainte,
Ces tênèbres de l’amour:
Mêfiance, doute, crainte,
Et que voici le grand jour!
Longtemps craintive et muette,
Entendez-vous? la gaîtê
Comme une vive alouette
Dans le ciel clair a chantê.
Va donc, chanson ingênue,
Et que, sans nul regret vain,
Elle soit la bienvenue
Celle qui revient enfin.
XIII
Hier, on parlait de choses et d’autres,
Et mes yeux allaient recherchant les vôtres,
Et votre regard recherchait le mien
Tandis que courait toujours l’entretien.
Sous le sens banal des phrases pesêes
Mon amour errait après vos pensêes;
Et quand vous parliez, à dessein distrait
Je prêtais l’oreille à votre secret:
Car la voix, ainsi que les yeux de Celle
Qui vous fait joyeux et triste dêcèle,
Malgrê tout effort morose et rieur,
Et met en plein jour l'être intêrieur.
Or, hier, je suis parti plein d’ivresse:
Est-ce un espoir vain que mon coeur carresse,
Un vain espoir, faux et doux compagnon?
Oh! non! n’est-ce pas? n’est-ce pas que non?
XIV
Le foyer, la lueur êtroite de la lampe;
La rêverie avec le doigt contre la tempe
Et les yeux se perdant parmi les yeux aimês;
L’heure du thê fumant et des livres fermês;
La douceur de sentir la fin de la soirêe;
La fatigue charmante et l’attente adorêe
De l’ombre nuptiale et de la douce nuit,
Oh! tout cela, mon rêve attendri le poursuit
Sans relâche, à travers toutes remises vaines,
Impatient des mois, furieux des semaines!
XV
J’ai presque peur, en vêritê,
Tant je sens ma vie enlacêe
A la radieuse pensêe
Qui m’a pris l'âme l’autre êtê,
Tant votre image, à jamais chère,
Habite en coeur tout à vous,
Mon coeur uniquement jaloux
De vous aimer et de vous plaire;
Et je tremble, pardonnez-moi
D’aussi franchement vous le dire,
A penser qu’un mot, un sourire
De vous est dêsormais ma loi,
Et qu’il vous suffirait d’un geste,
D’une parole ou d’un clin d’oeil,
Pour mettre tout mon être en deuil
De son illusion cêleste.
Mais plutôt je ne veux vous voir,
L’avenir dût-il m'être sombre
Et fêcond en peines sans nombre,
Qu'à travers un immense espoir,
Plongê dans ce bonheur suprême
De me dire encore et toujours,
En dêpit des mornes retours,
Que je vous aime, que je t’aime!
XVI
Le bruit des cabarets, la fange des trottoirs,
Les platanes dêchus s’effeuillant dans l’air noir,
L’omnibus, ouragan de ferraille et de boues,
Qui grince, mal assis entre ses quatres roues.
Et roule ses yeux verts et rouges lentement,
Les ouvriers allant au club, tout en fumant
Leur brûle-gueule au nez des agents de police,
Toits qui dêgouttent, murs suintants, pavê qui glisse,
Bitume dêfoncê, ruisseaux comblant l'êgout,
Voilà ma route--avec le paradis au bout.
XVII
N’est-ce pas? en dêpit des sots et des mêchants
Qui ne manqueront pas d’envier notre joie,
Nous serons fiers parfois et toujours indulgents
N’est-ce pas? nous irons, gais et lents, dans la voie
Modeste que nous montre en souriant l’Espoir,
Peu soucieux qu’on nous ignore ou qu’on nous voie.
Isolês dans l’amour ainsi qu’en un bois noir,
Nos deux coeurs, exhalant leur tendresse paisible,
Seront deux rossignols qui chantent dans le soir.
Quant au Monde, qu’il soit envers nous irascible
Ou doux, que nous feront ses gestes? Il peut bien
S’il veut, nous caresser ou nous prendre pour cible.
Unis par le plus fort et le plus cher lien,
Et d’ailleurs, possêdant l’armure adamantine,
Nous sourirons à tous et n’aurons peur de rien.
Sans nous prêoccuper de ce que nous destine
Le Sort, nous marcherons pourtant du même pas,
Et la main dans la main, avec l'âme enfantine
De ceux qui s’aiment sans mêlange, n’est-ce pas?
XVIII
Nous sommes en des temps infâmes
Où le mariage des âmes
Doit sceller l’union des coeurs;
A cette heure d’affreux orages,
Ce n’est pas trop de deux courages
Pour vivre sous de tels vainqueurs.
En face de ce que l’on ose
Il nous siêrait, sur toute chose,
De nous dresser, couple ravi
Dans l’extase austère du juste
Et proclamant, d’un geste auguste
Notre amour fier, comme un dêfi!
Mais quel besoin de te le dire?
Toi la bontê, toi le sourire,
N’es-tu pas le conseil aussi,
Le bon conseil loyal et brave,
Enfant rieuse au penser grave,
A qui tout mon coeur dit: merci!
XIX
Donc, ce sera par un clair jour d'êtê:
Le grand soleil, complice de ma joie,
Fera, parmi le satin et la soie,
Plus belle encore votre chère beautê;
Le ciel tout bleu, comme une haute lente,
Frissonnera somptueux à longs plis
Sur nos deux fronts heureux qu’auront pâlis
L'êmotion du bonheur et l’attente;
Et quand le soir viendra, l’air sera doux
Qui se jouera, caressant, dans vos voiles,
Et les regards paisibles des êtoiles
Bienveillamment souriront aux êpoux.
XX
J’allais par des chemins perfides,
Douloureusement incertain.
Vos chères mains furent mes guides.
Si pâle à l’horizon lointain
Luisait un faible espoir d’aurore;
Votre regard fut le matin.
Nul bruit, sinon son pas sonore,
N’encourageait le voyageur.
Votre voix me dit: «Marche encore!»
Mon coeur craintif, mon sombre coeur
Pleurait, seul, sur la triste voie;
L’amour, dêlicieux vainqueur,
Nous a rêunis dans la joie.
XXI
L’hiver a cessê: la lumière est tiède
Et danse, du sol au firmament clair.
Il faut que le coeur le plus triste cède
A l’immense joie êparse dans l’air.
Même ce Paris maussade et malade
Semble faire accueil aux jeunes soleils
Et, comme pour une immense accolade,
Tend les mille bras de ses toits vermeils.
J’ai depuis un an le printemps dans l'âme
Et le vert retour du doux florêal,
Ainsi qu’une flamme entoure une flamme,
Met de l’idêal sur mon idêal.
Le ciel bleu prolonge, exhausse et couronne
L’immuable azur où rit mon amour.
La saison est belle et ma part est bonne,
Et tous mes espoirs ont enfin leur tour.
Que vienne l'êtê! que viennent encore
L’automne et l’hiver! Et chaque saison
Me sera charmante, ô Toi que dêcore
Cette fantaisie et cette raison!
ROMANCES SANS PAROLES
I
Le vent dans la plaine
Suspend son haleine.
(FAVART.)
C’est l’extase langoureuse,
C’est la fatigue amoureuse,
C’est tous les frissons des bois
Parmi l'êtreinte des brises,
C’est, vers les ramures grises,
Le choeur des petites voix.
O le frêle et frais murmure!
Cela gazouille et susure,
Cela ressemble au cri doux
Que l’herbe agitêe expire…
Tu dirais, sous l’eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.
Cette âme qui se lamente
En cette plainte dormante,
C’est la nôtre, n’est-ce pas?
La mienne, dis, et la tienne,
Dont s’exhale l’humble antienne
Par ce tiède soir, tout bas?
II
Je devine, à travers un murmure,
Le contour subtil des voix anciennes
Et dans les lueurs musiciennes,
Amour pâle, une aurore future!
Et mon âme et mon coeur en dêlires
Ne sont plus qu’une espèce d’oeil double
Où tremblote à travers un jour trouble
L’ariette, hêlas! de toutes lyres!
O mourir de cette mort seulette
Que s’en vont, cher amour qui t'êpeures
Balanèant jeunes et vieilles heures!
O mourir de cette escarpolette!
III
Il pleut doucement sur la ville.
(ARTHUR RAIMBAUD.)
Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville,
Quelle est cette langueur
Qui pênètre mon coeur?
O bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits!
Pour un coeur qui s’ennuie,
O le chant de la pluie!
Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s'êcoeure.
Quoi! nulle trahison?
Ce deuil est sans raison.
C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon coeur a tant de peine!
IV
Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses.
De cette faèon nous serons bien heureuses,
Et si notre vie a des instants moroses,
Du moins nous serons, n’est-ce pas? deux pleureuses.
O que nous mêlions, âmes soeurs que nous sommes,
A nos voeux confus la douceur puêrile
De cheminer loin des femmes et des hommes,
Dans le frais oubli de ce qui nous exile.
Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles
Éprises de rien et de tout êtonnêes,
Qui s’en vont pâlir sous les chastes charmilles
Sans même savoir qu’elles sont pardonnêes.
V
Son joyeux, importun d’un clavecin sonore.
(PÉTRUS BOREL.)
Le piano que baise une main frêle
Luit dans le soir rose et gris vaguement,
Tandis qu’avec un très lêger bruit d’aile
Un air bien vieux, bien faible et bien charmant,
Rôde discret, êpeurê quasiment,
Par le boudoir longtemps parfumê d’Elle.
Qu’est-ce que c’est que ce berceau soudain
Qui lentement dorlotte mon pauvre être?
Que voudrais-tu de moi, doux chant badin?
Qu’as-tu voulu, fin refrain incertain
Qui va tantôt mourir vers la fenêtre
Ouverte un peu sur le petit jardin?
VI
C’est le chien de Jean de Nivelle
Qui mord sous l’oeil même du guet
Le chat de la mère Michel;
Franèois-les-bas-bleus s’en êgaie.
La lune à l'êcrivain public
Dispense sa lumière obscure
Où Mêdor avec Angêlique
Verdissent sur le pauvre mur.
Et voici venir La Ramêe
Sacrant en bon soldat du Roi.
Sous son habit blanc mal famê
Son coeur ne se tient pas de joie!
Car la boulangère… —Elle? --Oui dame!
Bernant Lustucru, son vieil homme,
A tantôt couronnê sa flamme…
Enfants, Dominus vobiscum!
Place! en sa longue robe bleue
Toute en salin qui fait frou-frou,
C’est une impure, palsembleu!
Dans sa chaise qu’il faut qu’on loue,
Fût-on philosophe ou grigou,
Car tant d’or s’y relève en bosse,
Que ce luxe insolent bafoue
Tout le papier de monsieur Loss!
Arrière, robin crottê! place,
Petit courtaud, petit abbê,
Petit poète jamais las
De la rime non attrapêe!
Voici que la nuit vraie arrive…
Cependant jamais fatiguê
D'être inattentif et naïf?
Franèois-les-bas-bleus s’en êgaie.
VII
O triste, triste êtait mon âme
A cause, à cause d’une femme.
Je ne me suis pas consolê
Bien que mon coeur s’en soit allê,
Bien que mon coeur, bien que mon âme
Eussent fui loin de cette femme.
Je ne me suis pas consolê
Bien que mon coeur s’en soit allê.
Et mon coeur, mon coeur trop sensible
Dit à mon âme: Est-il possible,
Est-il possible, --le fût-il, —
Ce fier exil, ce triste exil?
Mon âme dit à mon coeur: Sais-je
Moi-même, que nous veut ce piège
D'être prêsents bien qu’exilês,
Encore que loin en allês?
VIII
Dans l’interminable
Ennui de la plaine,
La neige incertaine
Luit comme du sable.
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune,
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
Comme des nuêes
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buêes.
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
Corneille poussive
Et vous les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive?
Dans l’interminable
Ennui de la plaine,
La neige incertaine
Luit comme du sable.
IX
Le rossignol, qui du haut d’une
branche se regarde dedans, croit
être tombê dans la rivière. Il est
au sommet d’un chêne et toutefois
il a peur de se noyer.
(CYRANO DE BERGEBAC.)
L’ombre des arbres dans la rivière embrumêe
Meurt comme de la fumêe,
Tandis qu’en l’air, parmi les ramures rêelles,
Se plaignent les tourterelles.
Combien, ô voyageur, ce paysage blême
Te mira blême toi-même,
Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillêes
Tes espêrances noyêes?
Mai, juin 1872.
PAYSAGES BELGES
«Conquestes du Roy.»
(Vieilles estampes.)
WALCOURT
Briques et tuiles,
O les charmants
Petits asiles
Pour les amants!
Houblons et vignes,
Feuilles et fleurs,
Tentes insignes
Des francs buveurs!
Guinguettes claires,
Bières, clameurs,
Servantes chères
A tous fumeurs!
Gares prochaines,
Gais chemins grands…
Quelles aubaines,
Bons juifs errants!
Juillet 1873.
CHARLEROI
Dans l’herbe noire
Les Kobolds vont.
Le vent profond
Pleure, on veut croire.
Quoi donc se sent?
L’avoine siffle.
Un buisson giffle
L’oeil au passant.
Plutôt des bouges
Que des maisons.
Quels horizons
De forges rouges!
On sent donc quoi?
Des gares tonnent,
Les yeux s'êtonnent,
Où Charleroi?
Parfums sinistres?
Qu’est-ce que c’est?
Quoi bruissait
Comme des sistres?
Sites brutaux!
Oh! votre haleine,
Sueur humaine,
Cris des mêtaux!
Dans l’herbe noire
Les Kobolds vont.
Le vent profond
Pleure, on veut croire.
BRUXELLE
SIMPLES FRESQUES
I
La fuite est verdâtre et rose
Des collines et des rampes,
Dans un demi-jour de lampes
Qui vient brouiller toute chose.
L’or sur les humbles abîmes,
Tout doucement s’ensanglante,
Des petits arbres sans cimes,
Où quelque oiseau faible chante.
Triste à peine tant s’effacent
Ces apparences d’automne.
Toutes mes langueurs rêvassent,
Que berce l’air monotone.
II
L’allêe est sans fin
Sous le ciel, divin
D'être pâle ainsi!
Sais-tu qu’on serait
Bien sous le secret
De ces arbres-ci?
Des messieurs bien mis,
Sans nul doute amis
Des Royers-Collards,
Vont vers le château.
J’estimerais beau
D'être ces vieillards.
Le château, tout blanc
Avec, à son flanc,
Le soleil couchê.
Les champs à l’entour…
Oh! que notre amour
N’est-il là nichê!
Estaminet du Jeune Renard, août 1872.
BRUXELLES
CHEVAUX DE BOIS
Par Saint-Gille,
Viens-nous-en,
Mon agile
Alezan.
(V. HUGO.)
Tournez, tournez, bons chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours,
Tournez souvent et tournez toujours,
Tournez, tournez au son des hautbois.
Le gros soldat, la plus grosse bonne
Sont sur vos dos comme dans leur chambre;
Car, en ce jour, au bois de la Cambre,
Les maîtres sont tous deux en personne.
Tournez, tournez, chevaux de leur coeur,
Tandis qu’autour de tous vos tournois
Clignotte l’oeil du filou sournois,
Tournez au son du piston vainqueur.
C’est ravissant comme èa vous soûle
D’aller ainsi dans ce cirque bête!
Bien dans le ventre et mal dans la tête,
Du mal en masse et du bien en foule.
Tournez, tournez, sans qu’il soit besoin
D’user jamais de nuls êperons,
Pour commander à vos galops ronds,
Tournez, tournez, sans espoir de foin.
Et dêpêchez, chevaux de leur âme,
Dêjà, voici que la nuit qui tombe
Va rêunir pigeon et colombe,
Loin de la foire et loin de madame.
Tournez, tournez! le ciel en velours
D’astres en or se vêt lentement.
Voici partir l’amante et l’amant.
Tournez au son joyeux des tambours.
Champ de foire de Saint-Gilles, août 1872.
MALINES
Vers les prês le vent cherche noise
Aux girouettes, dêtail fin
Du château de quelque êchevin,
Rouge de brique et bleu d’ardoise,
Vers les prês clairs, les prês sans fin…
Comme les arbres des fêeries
Des frênes, vagues frondaisons,
Échelonnent mille horizons
A ce Sahara de prairies,
Trèfle, luzerne et blancs gazons,
Les wagons filent en silence
Parmi ces sites apaisês.
Dormez, les vaches! Reposez,
Doux taureaux de la plaine immense,
Sous vos cieux à peine irisês!
Le train glisse sans un murmure,
Chaque wagon est un salon
Où l’on cause bas et d’où l’on
Aime à loisir cette nature
Faite à souhait pour Fênelon.
Août, 1872.
BIRDS IN THE NIGHT
Vous n’avez pas eu toute patience,
Cela se comprend par malheur, de reste.
Vous êtes si jeune! et l’insouciance,
C’est le lot amer de l'âge cêleste!
Vous n’avez pas eu toute la douceur,
Cela par malheur d’ailleurs se comprend;
Vous êtes si jeune, ô ma froide soeur,
Que votre coeur doit être indiffêrent!
Aussi me voici plein de pardons chastes,
Non certes! joyeux, mais très calme, en somme,
Bien que je dêplore, en ces mois nêfastes,
D'être, grâce à vous, le moins heureux homme.
Et vous voyez bien que j’avais raison
Quand je vous disais, dans mes moments noirs,
Que vos yeux, foyer de mes vieux espoirs,
Ne couvaient plus rien que la trahison.
Vous juriez alors que c'êtait mensonge
Et votre regard qui mentait lui-même
Flambait comme un feu mourant qu’on prolonge,
Et de votre voix vous disiez: «Je t’aime!»
Hêlas! on se prend toujours au dêsir
Qu’on a d'être heureux malgrê la saison…
Mais ce fut un jour plein d’amer plaisir,
Quand je m’aperèus que j’avais raison!
Aussi bien pourquoi me mettrai-je à geindre?
Vous ne m’aimez pas, l’affaire est conclue,
Et, ne voulant pas qu’on ose se plaindre,
Je souffrirai d’une âme rêsolue.
Oui, je souffrirai, car je vous aimais!
Mais je souffrirai comme un bon soldat
Blessê, qui s’en va dormir à jamais,
Plein d’amour pour quelque pays ingrat.
Vous qui fûtes ma Belle, ma Chêrie,
Encor que de vous vienne ma souffrance,
N'êtes-vous donc pas toujours ma Patrie,
Aussi jeune, aussi folle que la France?
Or, je ne veux pas, --le puis-je d’abord?
Plonger dans ceci mes regards mouillês.
Pourtant mon amour que vous croyez mort
A peut-être enfin les yeux dessillês.
Mon amour qui n’est que ressouvenance,
Quoique sous vos coups il saigne et qu’il pleure
Encore et qu’il doive, à ce que je pense,
Souffrir longtemps jusqu'à ce qu’il en meure,
Peut-être a raison de croire entrevoir
En vous un remords qui n’est pas banal.
Et d’entendre dire, en son dêsespoir,
A votre mêmoire: ah! fi que c’est mal!
Je vous vois encor. J’entr’ouvris la porte.
Vous êtiez au lit comme fatiguêe.
Mais, ô corps lêger que l’amour emporte,
Vous bondîtes nue, êplorêe et gaie.
O quels baisers, quels enlacements fous!
J’en riais moi-même à travers mes pleurs.
Certes, ces instants seront entre tous
Mes plus tristes, mais aussi mes meilleurs.
Je ne veux revoir de votre sourire
Et de vos bons yeux en cette occurrence
Et de vous, enfin, qu’il faudrait maudire,
Et du piège exquis, rien que l’apparence
Je vous vois encor! En robe d'êtê
Blanche et jaune avec des fleurs de rideaux.
Mais vous n’aviez plus l’humide gaîtê
Du plus dêlirant de tous nos tantôts,
La petite êpouse et la fille aînêe
Était reparue avec la toilette,
Et c'êtait dêjà notre destinêe
Qui me regardait sous votre voilette.
Soyez pardonnêe! Et c’est pour cela
Que je garde, hêlas! avec quelque orgueil,
En mon souvenir qui vous cajola,
L'êclair de côtê que coulait votre oeil.
Par instants, je suis le pauvre navire
Qui court dêmâtê parmi la tempête,
Et ne voyant pas Notre-Dame luire
Pour l’engouffrement en priant s’apprête.
Par instants, je meurs la mort du pêcheur
Qui se sait damnê s’il n’est confessê,
Et, perdant l’espoir de nul confesseur,
Se tord dans l’Enfer qu’il a devancê.
O mais! par instants, j’ai l’extase rouge
Du premier chrêtien, sous la dent rapace,
Qui rit à Jêsus têmoin, sans que bouge
Un poil de sa chair, un nerf de sa face!
Bruxelles-Londres. —Septembre-octobre 1872.
AQUARELLES
GREEN
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches,
Et puis voici mon coeur, qui ne bat que pour vous.
Ne le dêchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu'à vos yeux si beaux l’humble prêsent soit doux.
J’arrive tout couvert encore de rosêe
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue, à vos pieds reposêe,
Rêve des chers instants qui la dêlasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encore de vos derniers baisers;
Laissez là s’apaiser de la bonne tempête,
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
SPLEEN
Les roses êtaient toutes rouges,
Et les lierres êtaient tout noirs.
Chère, pour peu que tu te bouges,
Renaissent tous mes dêsespoirs.
Le ciel êtait trop bleu, trop tendre,
La mer trop verte et l’air trop doux.
Je crains toujours, --ce qu’est d’attendre
Quelque fuite atroce de vous.
Du houx à la feuille vernie
Et du luisant buis je suis las,
Et de la campagne infinie
Et de tout, fors de vous, hêlas!
STREETS
I
Dansons la gigue!
J’aimais surtout ses jolis yeux,
Plus clairs que l'êtoile des cieux,
J’aimais ses yeux malicieux.
Dansons la gigue!
Elle avait des faèons vraiment
De dêsoler un pauvre amant,
Que c’en êtait vraiment charmant!
Dansons la gigue!
Mais je trouve encor meilleur
Le baiser de sa bouche en fleur,
Depuis qu’elle est morte à mon coeur.
Dansons la gigue!
Je me souviens, je me souviens
Des heures et des entretiens,
Et c’est le meilleur de mes biens.
Dansons la gigue!
SOHO.
II
O la rivière dans la rue!
Fantastiquement apparue
Derrière un mur haut de cinq pieds,
Elle roule sans un murmure
Sans onde opaque et pourtant pure,
Par les faubourgs pacifiês.
La chaussêe est très large, en sorte
Que l’eau jaune comme une morte
Dêvale ample et sans nuls espoirs
De rien reflêter que la brume,
Même alors que l’aurore allume
Les cottages jaunes et noirs.
PADDINGTON.
CHILD WIFE
Vous n’avez rien compris à ma simplicitê,
Rien, ô ma pauvre enfant!
Et c’est avec un front êventê, dêpitê,
Que vous fuyez devant.
Vos yeux qui ne devaient reflêter que douceur,
Pauvre cher bleu miroir,
Ont pris un ton de fiel, ô lamentable soeur,
Qui nous fait mal à voir.
Et vous gesticulez avec vos petit-bras
Comme un hêros mêchant,
En poussant d’aigres cris poitrinaires, hêlas!
Vous qui n'êtiez que chant!
Car vous avez eu peur de l’orage et du coeur
Qui grondait et sifflait,
Et vous bêlâtes avec votre mère--ô douleur! —
Comme un triste agnelet.
Et vous n’avez pas su la lumière et l’honneur
D’un amour brave et fort,
Joyeux dans le malheur, grave dans le bonheur,
Jeune jusqu'à la mort!
A POOR YOUNG SHEPHERD
J’ai peur d’un baiser
Comme d’une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer.
J’ai peur d’un baiser!
Pourtant j’aime Kate
Et ses yeux jolis.
Elle est dêlicate,
Aux longs traits pâlis.
Oh! que j’aime Kate!
C’est saint Valentin!
Je dois et je n’ose
Lui dire au matin…
La terrible chose
Que saint Valentin!
Elle m’est promise,
Fort heureusement!
Mais quelle entreprise
Que d'être un amant
Près d’une promise!
J’ai peur d’un baiser
Comme d’une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer:
J’ai peur d’un baiser!
BEAMS
Elle voulut aller sur les flots de la mer,
Et comme un vent bênin soufflait une embellie,
Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie,
Et nous voilà marchant par le chemin amer.
Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse,
Et dans ses cheveux blonds c'êtaient des rayons d’or,
Si bien que nous suivions son pas plus calme encor
Que le dêroulement des vagues, ô dêlice!
Des oiseaux blancs volaient alentour mollement.
Et des voiles au loin s’inclinaient toutes blanches.
Parfois de grands varechs filaient en longues branches,
Nos pieds glissaient d’un pur et large mouvement.
Elle se retourna, doucement inquiète
De ne nous croire pas pleinement rassurês;
Mais nous voyant joyeux d'être ses prêfêrês,
Elle reprit sa route et portait haut sa tête.
Douvres-Ostende, à bord de la «Comtesse-de-Flandre».
4 Avril 1873.
SAGESSE
I
I
Bon chevalier masquê qui chevauche en silence,
Le malheur a percê mon vieux coeur de sa lance.
Le sang de mon vieux coeur n’a fait qu’un jet vermeil
Puis s’est êvaporê sur les fleurs, au soleil.
L’ombre êteignit mes yeux, un cri vint à ma bouche,
Et mon vieux coeur est mort dans un frisson farouche.
Alors le chevalier Malheur s’est rapprochê,
Il a mis pied à terre et sa main m’a touchê.
Son doigt gantê de fer entra dans ma blessure
Tandis qu’il attestait sa loi d’une voix dure.
Et voici qu’au contact glacê du doigt de fer
Un coeur me renaissait, tout un coeur pur et fier.
Et voici que, fervent d’une candeur divine,
Tout un coeur jeune et bon battit dans ma poitrine.
Or, je restais tremblant, ivre, incrêdule un peu,
Comme un homme qui voit des visions de Dieu.
Mais le bon chevalier, remontê sur sa bête,
En s'êloignant me fit un signe de la tête
Et me cria (j’entends encore celle voix):
«Au moins, prudence! Car c’est bon pour une fois.»
II
J’avais peinê comme Sisyphe
Et comme Hercule travaillê
Contre la chair qui se rebiffe.
J’avais luttê, j’avais bâillê
Des coups à trancher des montagnes,
Et comme Achille ferraillê.
Farouche ami qui m’accompagnes,
Tu le sais, courage païen,
Si nous en fîmes des campagnes.
Si nous n’avons nêgligê rien
Dans cette guerre extênuante,
Si nous avons travaillê bien!
Le tout en vain: l'âpre gêante
A mon effort de tout côtê
Opposait sa ruse ambiante.
Et toujours un lâche abritê
Dans mes conseils qu’il environne
Livrait les clês de la citê.
Que ma chance fût mâle ou bonne,
Toujours un parti de mon coeur
Ouvrait sa porte à la Gorgone.
Toujours l’ennemi suborneur
Savait envelopper d’un piège
Même la victoire et l’honneur!
J'êtais le vaincu qu’on assiège,
Prêt à vendre son sang bien cher,
Quand, blanche en vêtement de neige
Toute belle au front humble et fier,
Une dame vint sur la nue,
Qui d’un signe fit fuir la Chair.
Dans une tempête inconnue
De rage et de cris inhumains,
Et dêchirant sa gorge nue,
Le Monstre reprit ses chemins
Par les bois pleins d’amours affreuses,
Et la dame, joignant les mains:
--"Mon pauvre combattant qui creuses,
Dit-elle, ce dilemme en vain,
Trêve aux victoires malheureuses!
«Il t’arrive un secours divin
Dont je suis sûre messagère
Pour ton salut, possible enfin!»
--"O ma Dame dont la voix chère
Encourage un blessê jaloux
De voir finir l’atroce guerre,
«Vous qui parlez d’un ton si doux
En m’annonèant de bonnes choses,
Ma Dame, qui donc êtes-vous?»
--"J'êtais nêe avant toutes causes
Et je verrai la fin de tous
Les effets, êtoiles et roses.
"En même temps, bonne, sur vous,
Hommes faibles et pauvres femmes,
Je pleure et je vous trouve fous!
"Je pleure sur vos tristes âmes,
J’ai l’amour d’elles, j’ai la peur
D’elles, et de leurs voeux infâmes!
"O ceci n’est pas le bonheur.
Veillez, Quelqu’un l’a dit que j’aime,
Veillez, crainte du Suborneur,
"Veillez, crainte du Jour suprême!
Qui je suis? me demandais-tu.
Mon nom courbe les anges même,
"Je suis le coeur de la vertu,
Je suis l'âme de la sagesse,
Mon nom brûle l’Enfer têtu,
"Je suis la douceur qui redresse,
J’aime tous et n’accuse aucun,
Mon nom, seul, se nomme promesse
"Je suis l’unique hôte opportun,
Je parle au Roi le vrai langage
Du matin rose et du soir brun,
«Je suis la PRIÈRE, et mon gage
C’est ton vice en dêroute au loin;
Ma condition: „Toi, sois sage.“
--„Oui, ma Dame, et soyez têmoin!“
III
Qu’en dis-tu, voyageur, des pays et des gares?
Du moins as-tu cueilli l’ennui, puisqu’il est mûr,
Toi que voilà fumant de maussades cigares,
Noir, projetant une ombre absurde sur le mur?
Tes yeux sont aussi morts depuis les aventures,
Ta grimace est la même et ton deuil est pareil;
Telle la lune vue à travers des mâtures,
Telle la vieille mer sous le jeune soleil.
Tel l’ancien cimetière aux tombes toujours neuves!
Mais voyons, et dis-nous les rêcits devinês,
Ces dêsillusions pleurant le long des fleuves,
Ces dêgoûts comme autant de fades nouveau-nês,
Ces femmes! Dis les gaz, et l’horreur identique
Du mal toujours, du laid partout sur les chemins,
Et dis l’Amour et dis encor la Politique
Avec du sang dêshonorê d’encre à leurs mains.
Et puis surtout ne va pas l’oublier toi-même
Traînassant ta faiblesse et ta simplicitê
Partout où l’on bataille et partout où l’on aime,
D’une faèon si triste et folle, en vêritê!
A-t-on assez puni cette lourde innocence?
Qu’en dis-tu? L’homme est dur, mais la femme? Et tes pleurs,
Qui les a bus? Et quelle âme qui les recense
Console ce qu’on peut appeler tes malheurs?
Ah les autres, ah toi! Crêdule à qui te flatte,
Toi qui rêvais (c'êtait trop excessif, aussi)
Je ne sais quelle mort lêgère et dêlicate?
Ah toi, l’espèce d’ange avec ce voeu transi!
Mais maintenant les plans, les buts? Es-tu de force,
Ou si d’avoir pleurê t’a dêtrempê le coeur?
L’arbre est tendre s’il faut juger d’après l'êcorce,
Et tes aspects ne sont pas ceux d’un grand vainqueur.
Si gauche encore! avec l’aggravation d'être
Une sorte à prêsent d’idyllique engourdi
Qui surveille le ciel bête par la fenêtre
Ouverte aux yeux matois du dêmon de midi.
Si le même dans cette extrême dêcadence!
Enfin! --Mais à ta place un être avec du sens,
Payant les violons voudrait mener la danse,
Au risque d’alarmer quoique peu les passants.
N’as-tu pas, en fouillant les recoins de ton âme,
Un beau vice à tirer comme un sabre au soleil,
Quelque vice joyeux, effrontê, qui s’enflamme
Et vibre, et darde rouge au front du ciel vermeil?
Un ou plusieurs? Si oui, tant mieux! Et pars bien vite
En guerre, et bats d’estoc et de taille, sans choix
Surtout, et mets ce masque indolent où s’abrite
La haine inassouvie et repue à la fois…
Il faut n'être pas dupe en ce farceur de monde
Où le bonheur n’a rien d’exquis et d’allêchant
S’il n’y frêtille un peu de pervers et d’immonde,
Et pour n'être pas dupe il faut être mêchant.
--Sagesse humaine, ah! j’ai les yeux sur d’autres choses,
Et parmi ce passê dont ta voix dêcrivait
L’ennui, pour des conseils encore plus moroses,
Je ne me souviens plus que du mal que j’ai fait.
Dans tous les mouvements bizarres de ma vie,
De mes „malheurs“, selon le moment et le lieu,
Des autres et de moi, de la route suivie,
Je n’ai rien retenu que la grâce de Dieu.
Si je me sens puni, c’est que je le dois être.
Ni l’homme ni la femme ici ne sont pour rien.
Mais j’ai le ferme espoir d’un jour pouvoir connaître
Le pardon et la paix promis à tout Chrêtien.
Bien de n'être pas dupe en ce monde d’une heure,
Mais pour ne l'être pas durant l'êternitê,
Ce qu’il faut à tout prix qui règne et qui demeure,
Ce n’est pas la mêchancetê, c’est la bontê.
IV
Malheureux! Tous les dons, la gloire du baptême,
Ton enfance chrêtienne, une mère qui t’aime,
La force et la santê comme le pain et l’eau,
Cet avenir enfin, dêcrit dans le tableau
De ce passê plus clair que le jeu des marêes,
Tu pilles tout, tu perds en viles simagrêes
Jusqu’aux derniers pouvoirs de ton esprit, hêlas!
La malêdiction de n'être jamais las
Suit tes pas sur le monde où l’horizon t’attire,
L’enfant prodigue avec des gestes de satyre!
Nul avertissement, douloureux ou moqueur,
Ne prêvaut sur l'êlan funeste de ton coeur.
Tu flânes à travers pêril et ridicule,
Avec l’irresponsable audace d’un Hercule
Dont les travaux seraient fous, nêcessairement.
L’amitiê--dame! --a tu son reproche clêment,
Et chaste, et sans aucun espoir que le suprême,
Vient prier, comme au lit d’un mourant qui blasphème,
La patrie oubliêe est dure aux fils affreux,
Et le monde alentour dresse ses buissons creux
Où ton dêsir mauvais s'êpuise en flèches mortes.
Maintenant il te faut passer devant les portes,
Hâtant le pas de peur qu’on ne lâche le chien,
Et si tu n’entends pas rire, c’est encor bien.
Malheureux, toi Franèais, toi Chrêtien, quel dommage!
Mais, tu vas la pensêe obscure de l’image
D’un bonheur qu’il te faut immêdiat, êtant
Athêe (avec la foule!) et jaloux de l’instant,
Tout appêtit parmi ces appêtits fêroces,
Épris de la fadaise actuelle, mots, noces
Et festins, la „Science“, et „l’esprit de Paris“,
Tu vas magnifiant ce par quoi tu pêris,
Imbêcile! et niant le soleil qui t’aveugle!
Tout ce que les temps ont de bête paît et beugle
Dans ta cervelle ainsi qu’un troupeau dans un prê.
Et les vices de tout le monde ont êmigrê
Pour ton sang dont le fer lâchement s'êtiole.
Tu n’es plus bon à rien de propre, ta parole
Est morte de l’argot et du ricanement,
Et d’avoir rabâchê les bourdes du moment.
Ta mêmoire, de tant d’obscênitês bondêe,
Ne saurait accueillir la plus petite idêe,
Et patauge parmi l'êgoïsme ambiant,
En quête d’on ne peut dire quel vil nêant!
Seul, entre les dêbris honnis de ton dêsastre,
L’Orgueil, qui met la flamme au fond du poêtastre
Et fait au criminel un prestige odieux,
Seul, l’Orgueil est vivant, il danse dans tes yeux,
Il regarde la Faute et rit de s’y complaire.
--Dieu des humbles, sauvez cet enfant de colère!
V
Beautê des femmes, leur faiblesse, et ces mains pâles
Qui font souvent le bien et peuvent tout le mal.
Et ces yeux, où plus rien ne reste d’animal
Que juste assez pour dire: „assez“ aux fureurs mâles
Et toujours, maternelle endormeuse des râles,
Même quand elle ment, cette voix! Matinal
Appel, ou chant bien doux à vêpre, ou frais signal,
Ou beau sanglot qui va mourir au pli des châles…
Hommes durs! Vie atroce et laide d’ici-bas!
Ah! que, du moins, loin des baisers et des combats,
Quelque chose demeure un peu sur la montagne,
Quelque chose du coeur enfantin et subtil,
Bontê, respect! Car qu’est-ce qui nous accompagne,
Et vraiment, quand la mort viendra, que reste-t-il?
VI
O vous, comme un qui boite au loin, Chagrins et Joies,
Toi, coeur saignant d’hier qui flambes aujourd’hui,
C’est vrai pourtant que c’est fini, que tout a fui
De nos sens, aussi bien les ombres que les proies.
Vieux bonheurs, vieux malheurs, comme une file d’oies
Sur la route en poussière où tous les pieds ont lui,
Bon voyage! Et le Rire, et, plus vieille que lui,
Toi, Tristesse noyêe au vieux noir que tu broies,
Et le reste! --Un doux vide, un grand renoncement
Quelqu’un en nous qui sent la paix immensêment,
Une candeur d'âme d’une fraîcheur dêlicieuse…
Et voyez! notre coeur qui saignait sous l’orgueil,
Il flambe dans l’amour, et s’en va faire accueil
A la vie, en faveur d’une mort prêcieuse!
VII
Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme,
Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.
Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-champ:
Une tentation des pires. Fuis l’infâme.
Ils ont lui tout le jour en longs grêlons de flamme,
Battant toute vendange aux collines, couchant
Toute moisson de la vallêe, et ravageant
Le ciel tout bleu, le ciel, chanteur qui te rêclame.
O pâlis, et va-t’en, lente et joignant les mains.
Si ces hiers allaient manger nos beaux demains?
Si la vieille folie êtait encore en route?
Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer?
Un assaut furieux, le suprême, sans doute!
O, va prier contre l’orage, va prier.
VIII
La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles
Est une oeuvre de choix qui veut beaucoup d’amour:
Rester gai quand le jour triste succède au jour,
Être fort, et s’user en circonstances viles;
N’entendre, n'êcouter aux bruits des grandes villes
Que l’appel, ô mon Dieu, des cloches dans la tour,
Et faire un de ces bruits soi-même, cela pour
L’accomplissement vil de tâches puêriles;
Dormir chez les pêcheurs êtant un pênitent;
N’aimer que le silence et conserver pourtant
Le temps si grand dans la patience si grande,
Le scrupule naïf aux repentirs têtus,
Et tous ces soins autour de ces pauvres vertus!
--Fi, dit l’Ange Gardien, de l’orgueil qui marchande!
IX
Sagesse d’un Louis Racine, je t’envie!
O n’avoir pas suivi les leèons de Rollin,
N'être pas nê dans le grand siècle à son dêclin,
Quand le soleil couchant, si beau, dorait la vie,
Quand Maintenon jetait sur la France ravie
L’ombre douce et la paix de ses coiffes de lin,
Et royale abritait la veuve et l’orphelin,
Quand l'êtude de la prière êtait suivie,
Quand poète et docteur, simplement, bonnement,
Communiaient avec des ferveurs de novices,
Humbles servaient la Messe et chantaient aux offices,
Et, le printemps venu, prenaient un soin charmant
D’aller dans les Auteuils cueillir lilas et roses
En louant Dieu, comme Garo, de toutes choses!
X
Non. Il fut gallican, ce siècle, et jansêniste!
C’est vers le Moyen Age ênorme et dêlicat
Qu’il faudrait que mon coeur en panne naviguât,
Loin de nos jours d’esprit charnel et de chair triste.
Roi, politicien, moine, artisan, chimiste,
Architecte, soldat, mêdecin, avocat,
Quel temps! Oui, que mon coeur naufragê rembarquât
Pour toute cette force ardente, souple, artiste!
Et là que j’eusse part--quelconque, chez les rois
Ou bien ailleurs, n’importe, à la chose vitale,
Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits,
Haute thêologie et solide morale,
Guidê par la folie unique de la Croix
Sur tes ailes de pierre, ô folle Cathêdrale!
XI
Petits amis qui sûtes nous prouver
Par A plus B que deux et deux font quatre,
Mais qui depuis voulez parachever
Une victoire où l’on se laissait battre,
Et couronner vos conquêtes d’un coup
Par ce soufflet à la mêmoire humaine;
„Dieu ne vous a rêvêlê rien du tout,
Car nous disions qu’il n’est que l’ombre vaine,
Que le profil et que l’allongement,
Sur tous les murs que la peur êdifie
De votre pur et simple mouvement,
Et nous dictons cette philosophie.“
--Frères trop chers, laissez-nous rire un peu,
Nous les fervents d’une logique rance,
Qui justement n’avons de foi qu’en Dieu
Et mettons notre espoir dans l’Espêrance,
Laissez-nous rire un peu, pleurer aussi,
Pleurer sur vous, rire du vieux blasphème,
Rire du vieux Satan stupide ainsi,
Pleurer sur cet Adam dupe quand même!
Frères de nous qui payons vos orgueils,
Tous fils du même Amour, ah! la science,
Allons donc, allez donc, c’est nos cercueils
Naïfs ou non, c’est notre mêfiance
Ou notre confiance aux seuls Rêcits,
C’est notre oreille ouverte toute grande
Ou tristement fermêe au Mot prêcis!
Frères, lâchez la science gourmande
Qui veut voler sur les ceps dêfendus
Le fruit sanglant qu’il ne faut pas connaître.
Lâchez son bras qui vous tient attendus
Pour des enfers que Dieu n’a pas fait naître,
Mais qui sont l’oeuvre affreuse du pêchê,
Car nous, les fils attentifs de l’Histoire,
Nous tenons pour l’honneur jamais tachê
De la Tradition, supplice et gloire!
Nous sommes sûrs des Aïeux nous disant
Qu’ils ont vu Dieu sous telle ou telle forme
Et prêdisant aux crimes d'à prêsent
La peine immense ou le pardon ênorme.
Puisqu’ils avaient vu Dieu prêsent toujours,
Puisqu’ils ne mentaient pas, puisque nos crimes
Vont effrayants, puisque vos yeux sont courts,
Et puisqu’il est des repentirs sublimes,
Ils ont dit tout. Savoir le reste est bien:
Que deux et deux fassent quatre, à merveille!
Riens innocents, mais des riens moins que rien,
La dernière heure êtant là qui surveille
Tout autre soin dans l’homme en vêritê!
Gardez que trop chercher ne vous sêduise
Loin d’une sage et forte humilitê…
Le seul savant, c’est encore Moïse.
XII
Or, vous voici promus, petits amis,
Depuis les temps de ma lettre première,
Promus, disais-je, aux fiers emplois promis
A votre thèse, en ces jours de lumière.
Vous voici rois de France! A votre tour!
(Rois à plusieurs d’une France postiche,
Mais rois de fait et non sans quelque amour
D’un trône lourd avec un budget riche.)
A l’oeuvre, amis petits! Nous avons droit
De vous y voir, payant de notre poche,
Et d'être un peu rêjouis à l’endroit
De votre êtat sans peur et sans reproche.
Sans peur? Du maître? O le maître, mais c’est
L’Ignorant-chiffre et le Suffrage-nombre,
Total, le peuple, „un âne“ fort „qui s’est
Cabrê“, pour vous, espoir clair, puis fait sombre,
Cabrê comme une chèvre, c’est le mot.
Et votre bras, saignant jusqu'à l’aisselle,
S’efforce en vain: fort comme Bêhêmot,
Le monstre tire… et votre peur est telle
Que l'âne brait, que le voilà parti
Qui par les dents vous boute cent ruades
En forme de reproche bien senti…
Courez après, frottant vos reins malades!
O Peuple, nous t’aimons immensêment:
N’es-tu donc pas la pauvre âme ignorante
En proie à tout ce qui sait et qui ment?
N’es-tu donc pas l’immensitê souffrante?
La charitê nous fait chercher tes maux,
La foi nous guide à travers les tênèbres.
On t’a rendu semblable aux animaux
Moins leur candeur, et plein d’instincts funèbres,
L’orgueil t’a pris en ce quatre-vingt-neuf,
Nabuchodonosor, et te faire paître,
Âne obstinê, mouton butê, dur boeuf,
Broutant pouvoir, famille, soldat, prêtre!
O paysan cassê sur tes sillons,
Pâle ouvrier qu’esquintê à machine,
Membres sacrês de Jêsus-Christ, allons,
Relevez-vous, honorez votre êchine,
Portez l’amour qu’il faut à vos bras forts,
Vos pieds vaillants sont les plus beaux du monde,
Respectez-les, fuyez ces chemins tors,
Fermez l’oreille à ce conseil immonde,
Redevenez les Franèais d’autrefois,
Fils de l'Église, et dignes de vos pères!
O s’ils savaient ceux-ci sur vos pavois,
Leurs os sueraient de honte aux cimetières.
—Vous, nos tyrans minuscules d’un jour
(L'ênormitê des actes rend les princes
Surtout de souche impure, et malgrê cour
Et splendeur et le faste, encor plus minces),
Laissez le règne et rentrez dans le rang.
Aussi bien l’heure est proche où la tourmente
Vous va donner des loisirs, et tout blanc
L’avenir flotte avec sa fleur charmante
Sur la Bastille absurde où vous teniez
La France aux fers d’un blasphème et d’un schisme,
Et la chronique en de clêments Têniers
Dêjà vous peint allant au catêchisme.
XIII
Prince mort en soldat à cause de la France,
Ame certes êlue,
Fier jeune homme si pur tombê plein d’espêrance,
Je t’aime et te salue!
Ce monde est si mauvais, notre pauvre patrie
Va sous tant de tênèbres,
Vaisseau dêsemparê dont l'êquipage crie
Avec des voix funèbres,
Ce siècle est un tel ciel tragique où les naufrages
Semblent êcrits d’avance…
Ma jeunesse, êlevêe aux doctrines sauvages,
Dêtesta ton enfance,
Et plus tard, coeur pirate êpris des seules côtes
Où la rêvolte naisse,
Mon âge d’homme, noir d’orages et de fautes,
Abhorrait ta jeunesse.
Maintenant j’aime Dieu, dont l’amour et la foudre
M’ont fait une âme neuve,
Et maintenant que mon orgueil rêduit en poudre,
Humble, accepte l'êpreuve.
J’admire ton destin, j’adore, tout en larmes
Pour les pleurs de ta mère,
Dieu qui te fit mourir, beau prince, sous les armes,
Comme un hêros d’Homère.
Et je dis, rêservant d’ailleurs mon voeu suprême
Au lis de Louis Seize:
Napolêon qui fus digne du diadème,
Gloire à ta mort franèaise!
Et priez bien pour nous, pour cette France ancienne,
Aujourd’hui vraiment „Sire“,
Dieu qui vous couronna, sur la terre païenne,
Bon chrêtien, du martyre!
XIV
Vous reviendrez bientôt les bras pleins de pardons
Selon votre coutume,
O Pères excellents qu’aujourd’hui nous perdons
Pour comble d’amertume.
Vous reviendrez, vieillards exquis, avec l’honneur
Avec sa Fleur chêrie,
Et que de pleurs Joyeux, et quels cris de bonheur
Dans toute la patrie!
Vous reviendrez, après ces glorieux exils,
Après des moissons d'âmes,
Après avoir priê pour ceux-ci, fussent-ils
Encore plus infâmes,
Après avoir couvert les îles et la mer
De votre ombre si douce
Et rêjoui le ciel et consternê l’enfer,
Bêni qui vous repousse,
Bêni qui vous dêpouille au cri de libertê,
Bêni l’impie en armes,
Et l’enfant qu’il vous prend des bras--et rachetê
Nos crimes par vos larmes!
Proscrits des jours, vainqueurs des temps non point adieu
Vous êtes l’espêrance.
A tantôt, Pères saints, qui nous vaudrez de Dieu
Le salut pour la France!
XV
On n’offense que Dieu qui seul pardonne. Mais
On contriste son frère, on l’afflige, on le blesse,
On fait gronder sa haine ou pleurer sa faiblesse,
Et c’est un crime affreux qui va troubler la paix
Des simples, et donner au monde sa pâture,
Scandale, coeurs perdus, gros mots et rire êpais.
Le plus souvent par un effet de la nature
Des choses, ce pêchê trouve son châtiment
Même ici-bas, fêroce et long communêment.
Mais l’Amour tout-puissant donne à la crêature
Le sens de son malheur qui mène au repentir
Par une route lente et haute, mais très sûre.
Alors un grand dêsir, un seul, vient investir
Le pênitent, après les premières alarmes.
Et c’est d’humilier son front devant les larmes
De naguère, sans rien qui pourrait amortir
Le coup droit pour l’orgueil, et de rendre les armes
Comme un soldat vaincu, --triste de bonne foi.
O ma soeur, qui m’avez puni, pardonnez-moi!
XVI
Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire,
Elle est discrète, elle est lêgère:
Un frisson d’eau sur de la mousse!
La voix vous fut connue (et chère!),
Mais à prêsent elle est voilêe
Comme une veuve dêsolêe,
Pourtant comme elle encore fière,
Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d’automne,
Cache et montre au coeur qui s'êtonne
La vêritê comme une êtoile.
Elle dit, la voix reconnue,
Que la bontê c’est notre vie,
Que de la haine et de l’envie
Rien ne reste, la mort venue.
Elle parle aussi de la gloire
D'être simple sans plus attendre,
Et de noces d’or et du tendre
Bonheur d’une paix sans victoire.
Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf êpithalame.
Allez, rien n’est meilleur à l'âme
Que de faire une âme moins triste!
Elle est en peine et de passage
L'âme qui souffre sans colère.
Et comme sa morale est claire!…
Écoutez la chanson bien sage.
XVII
Les chères mains qui furent miennes,
Toutes petites, toutes belles,
Après ces mêprises mortelles
Et toutes ces choses païennes,
Après les rades et les grèves,
Et les pays et les provinces,
Royales mieux qu’au temps des princes,
Les chères mains m’ouvrent les rêves.
Mains en songe, mains sur mon âme,
Sais-je, moi, ce que vous daignâtes,
Parmi ces rumeurs scêlêrates,
Dire à cette âme qui se pâme?
Ment-elle, ma vision chaste
D’affinitê spirituelle,
De complicitê maternelle,
D’affection êtroite et vaste?
Remords si cher, peine très bonne,
Rêves bênits, mains consacrêes,
O ces mains, ces mains vênêrêes.
Faites le geste qui pardonne!
XVIII
Et j’ai revu l’enfant unique: il m’a semblê
Que s’ouvrait dans mon coeur la dernière blessure,
Celle dont la douleur plus exquise m’assure
D’une mort dêsirable en un jour consolê.
La bonne flèche aiguë et sa fraîcheur qui dure!
En ces instants choisis elles ont êveillê
Les rêves un peu lourds du scrupule ennuyê,
Et tout mon sang chrêtien chanta la Chanson pure.
J’entends encor, je vois encor! Loi du devoir
Si douce! Enfin je sais ce qu’est entendre et voir,
J’entends, je vois toujours! Voix des bonnes pensêes,
Innocence, avenir! Sage et silencieux,
Que je vais vous aimer, vous un instant pressêes,
Belles petites mains qui fermerez nos yeux!
XIX
Voix de l’Orgueil; un cri puissant, comme d’un cor.
Des êtoiles de sang sur des cuirasses d’or,
On trêbuche à travers des chaleurs d’incendie…
Mais en somme la voix s’en va, comme d’un cor.
Voix de la Haine: cloche en mer, fausse, assourdie
De neige lente. Il fait si froid! Lourde, affadie,
La vie a peur et court follement sur le quai
Loin de la cloche qui devient plus assourdie.
Voix de la Chair: un gros tapage fatiguê.
Des gens ont bu. L’endroit fait semblant d'être gai.
Des yeux, des noms, et l’air plein de parfums atroces
Où vient mourir le gros tapage fatiguê.
Voix d’Autrui: des lointains dans les brouillards. Des noces
Vont et viennent. Des tas d’embarras. Des nêgoces,
Et tout le cirque des civilisations
Au son trotte-menu du violon des noces.
Colères, soupirs noirs, regrets, tentations
Qu’il a fallu pourtant que nous entendissions
Pour l’assourdissement des silences honnêtes,
Colères, soupirs noirs, regrets, tentations,
Ah! les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes,
Sentences, mots en vain, mêtaphores mal faites,
Toute la rhêtorique en fuite des pêchês,
Ah! les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes!
Nous ne sommes plus ceux que vous auriez cherchês.
Mourez à nous, mourez aux humbles voeux cachês
Que nourrit la douceur de la Parole forte,
Car notre coeur n’est plus de ceux que vous cherchez!
Mourez parmi la voix que la prière emporte
Au ciel, dont elle seule ouvre et ferme la porte
Et dont elle tiendra les sceaux au dernier jour,
Mourez parmi la voix que la prière apporte,
Mourez parmi la voix terrible de l’Amour!
XX
L’ennemi se dêguise en L’Ennui
Et me dit: „A quoi bon, pauve dupe?“
Moi je passe et me moque de lui.
L’ennemi se dêguise en la Chair
Et me dit: „Bah! retrousse une jupe!“
Moi j'êcarte le conseil amer.
L’ennemi se transforme en un Ange
De lumière et dit: „Qu’est ton effort
A côtê des tributs de louange
Et de Foi dus au Père cêleste?
Ton amour va-t-il jusqu'à la mort?“
Je rêponds: „L’Espêrance me reste.“
Comme c’est le vieux logicien,
Il a fait bientôt de me rêduire
A ne plus vouloir rêpliquer rien,
Mais sachant qui c’est, êpouvantê
De ne plus sentir les mondes luire,
Je prierai pour de l’humilitê.
XXI
Va ton chemin sans plus t’inquiêter!
La route est droite et tu n’as qu'à monter,
Portant d’ailleurs le seul trêsor qui vaille
Et l’arme unique au cas d’une bataille,
La pauvretê d’esprit et Dieu pour toi.
Surtout il faut garder toute espêrance,
Qu’importê un peu de nuit et de souffrances?
La route est bonne et la mort est au bout,
Oui, garde toute espêrance surtout,
La mort là-bas te dresse un lit de joie.
Et fais-toi doux de toute la douceur.
La vie est laide, encore c’est ta soeur.
Simple, gravis la côte et même chante.
Pour êcarter la prudence mêchante
Dont la voix basse est pour tenter ta foi.
Simple comme un enfant, gravis la côte,
Humble comme un pêcheur qui hait la faute,
Chante, et même sois gai, pour dêfier
L’ennui que l’ennemi peut t’envoyer
Afin que tu t’endormes sur la voie.
Ris du vieux piège et du vieux sêducteur,
Puisque la Paix est là, sur la hauteur,
Qui luit parmi les fanfares de la gloire,
Monte, ravi, dans la nuit blanche et noire,
Dêjà l’Ange Gardien êtend sur toi
Joyeusement des ailes de victoire.
XXII
Pourquoi triste, ô mon âme,
Triste jusqu'à la mort,
Quand l’effort te rêclame,
Quand le suprême effort
Est là qui te rêclame?
Ah! tes mains que tu tords
Au lieu d'être à la lâche,
Tes lèvres que tu mords
Et leur silence lâche,
Et tes yeux qui sont morts!
N’as-tu pas l’espêrance
De la fidêlitê,
Et, pour plus d’assurance
Dans la sêcuritê,
N’as-tu pas la souffrance?
Mais chasse le sommeil
Et ce rêve qui pleure.
Grand jour et plein soleil!
Vois, il est plus que l’heure:
Le ciel bruit vermeil,
Et la lumière crue
Dêcoupant d’un trait noir
Toute chose apparue,
Te montre le Devoir
Et sa forme bourrue.
Marche à lui vivement.
Tu verras disparaître
Tout aspect inclêment
De sa manière d'être,
Avec l'êloignement.
C’est le dêpositaire
Qui te garde un trêsor
D’amour et de mystère,
Plus prêcieux que l’or,
Plus sûr que rien sur terre:
Les biens qu’on ne voit pas,
Toute joie inouïe,
Votre paix, saints combats,
L’extase êpanouie
Et l’oubli d’ici-bas,
Et l’oubli d’ici-bas!
XXIII
Nê l’enfant des grandes villes
Et des rêvoltes serviles,
J’ai là, tout cherchê, trouvê
De tout appêtit rêvê.
Mais, puisque rien n’en demeure,
J’ai dit un adieu lêger
A tout ce qui peut changer.
Au plaisir, au bonheur même,
Et même à tout ce que j’aime
Hors de vous, mon doux Seigneur!
La Croix m’a pris sur ses ailes
Qui m’emporte aux meilleurs zèles,
Silence, expiation,
Et l'âpre vocation
Pour la vertu qui s’ignore.
Douce, chère Humilitê,
Arrose ma charitê,
Trempe-la de tes eaux vives.
O mon coeur, que tu ne vives
Qu’aux fins d’une bonne mort!
XXIV
L'âme antique êtait rude et vaine
Et ne voyait dans la douleur
Que l’acuitê de la peine
Ou l'êtonnement du malheur.
L’art, sa figure la plus claire
Traduit ce double sentiment
Par deux grands types de la Mère
En proie au suprême tourment.
C’est la vieille reine de Troie:
Tous ses fils sont morts par le fer.
Alors ce deuil brutal aboie
Et glapit au bord de la mer.
Elle court le long du rivage,
Bavant vers le flot êcumant,
Hirsute, criade, sauvage,
La chienne littêralement!…
Et c’est Niobê qui s’effare
Et garde fixement des yeux
Sur les dalles de pierre rare
Ses enfants tuês par les cieux.
Le souffle expire sur sa bouche.
Elle meurt dans un geste fou.
Ce n’est plus qu’un marbre farouche
Là transportê nul ne sait d’où!…
La douleur chrêtienne est immense.
Elle, comme le coeur humain,
Elle souffre, puis elle pense,
Et calme poursuit son chemin.
Elle est debout sur le Calvaire
Pleine de larmes et sans cris.
C’est êgalement une mère,
Mais quelle mère de quel fils!
Elle participe au Supplice
Qui sauve toute nation,
Attendrissant le sacrifice
Par sa vaste compassion.
Et comme tous sont les fils d’elle,
Sur le monde et sur sa langueur
Toute la charitê ruisselle
Des sept blessures de son coeur,
Au jour qu’il faudra, pour la gloire
Des cieux enfin tout grands ouverts,
Ceux qui surent et purent croire,
Bons et doux, sauf au seul Pervers,
Ceux-là vers la joie infinie
Sur la colline de Sion
Monteront d’une aile bênie
Aux plis de son assomption.
I
O mon Dieu, vous m’avez blessê d’amour
Et la blessure est encore vibrante,
O mon Dieu, vous m’avez blessê d’amour!
O mon Dieu, votre crainte m’a frappê
Et la brûlure est encor là qui tonne,
O mon Dieu, votre crainte m’a frappê!
O mon Dieu, j’ai connu que tout est vil
Et votre gloire en moi s’est installêe,
O mon Dieu, j’ai connu que tout est vil!
Noyez mon âme aux flots de votre Vin,
Fondez ma vie au Pain de votre table,
Noyez mon âme aux flots de votre Vin.
Voici mon sang que je n’ai pas versê,
Voici ma chair indigne de souffrance,
Voici mon sang que je n’ai pas versê.
Voici mon front qui n’a pu que rougir
Pour l’escabeau de vos pieds adorables,
Voici mon front qui n’a pu que rougir.
Voici mes mains qui n’ont pas travaillê
Pour les charbons ardents et l’encens rare,
Voici mes mains qui n’ont pas travaillê.
Voici mon coeur qui n’a battu qu’en vain,
Pour palpiter aux ronces du Calvaire,
Voici mon coeur qui n’a battu qu’en vain.
Voici mes pieds, frivoles voyageurs,
Pour accourir au cri de votre grâce,
Voici mes pieds, frivoles voyageurs.
Voici ma voix, bruit maussade et menteur,
Pour les reproches de la Pênitence,
Voici ma voix, bruit maussade et menteur.
Voici mes yeux, luminaires d’erreur,
Pour être êteints aux pleurs de la prière,
Voici mes yeux, luminaires d’erreur.
Hêlas, Vous, Dieu d’offrande et de pardon,
Quel est le puits de mon ingratitude,
Hêlas! Vous, Dieu d’offrande et de pardon!
Dieu de terreur et Dieu de saintetê,
Hêlas! ce noir abîme de mon crime,
Dieu de terreur et Dieu de saintetê,
Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur,
Toutes mes peurs, toutes mes ignorances,
Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur,
Vous connaissez tout cela, tout cela,
Et que je suis plus pauvre que personne,
Vous connaissez tout cela, tout cela,
Mais ce que j’ai, mon Dieu, je vous le donne.
II
Je ne veux plus aimer que ma mère Marie.
Tous les autres amours sont de commandement.
Nêcessaires qu’ils sont, ma mère seulement
Pourra les allumer aux coeurs qui l’ont chêrie.
C’est pour Elle qu’il faut chêrir mes ennemis,
C’est par Elle que j’ai vouê ce sacrifice,
Et la douceur de coeur et le zèle au service,
Comme je la priais, Elle les a permis.
Et comme j'êtais faible et bien mêchant encore,
Aux mains lâches, les yeux êblouis des chemins,
Elle baissa mes yeux et me joignit les mains,
Et m’enseigna les mots par lesquels on adore.
C’est par Elle que j’ai voulu de ces chagrins,
C’est pour Elle que j’ai mon coeur dans les cinq Plaies,
Et tous ces bons efforts vers les croix et les claies,
Comme je l’invoquais, Elle en ceignit mes reins.
Je ne veux plus penser qu'à ma mère Marie,
Siège de la sagesse et source des pardons,
Mère de France aussi, de qui nous attendons
Inêbranlablement l’honneur de la patrie.
Marie Immaculêe, amour essentiel,
Logique de la foi cordiale et vivace,
En vous aimant qu’est-il de bon que je ne fasse,
En vous aimant du seul amour, Porte du ciel?
III
Vous êtes calme, vous voulez un voeu discret,
Des secrets à mi-voix dans l’ombre et le silence,
Le coeur qui se rêpand plutôt qu’il ne s'êlance,
Et ces timides, moins transis qu’il ne paraît.
Vous accueillez d’un geste exquis telles pensêes
Qui ne marchent qu’en ordre et font le moins de bruit.
Votre main, toujours prête à la chute du fruit,
Patiente avec l’arbre et s’abstient de poussêes.
Et si l’immense amour de vos commandements
Embrasse et presse tous en sa sollicitude,
Vos conseils vont dicter aux meilleurs et l'êtude
Et le travail des plus humbles recueillements.
Le pêcheur, s’il prêtend vous connaître et vous plaire,
O vous qui nous aimant si fort parliez si peu,
Doit et peut, à tout temps du jour comme en tout lieu,
Bien faire obscurêment son devoir et se taire.
Se taire pour le monde, un pur sênat de fous,
Se taire sur autrui, des âmes prêcieuses,
Car nous taire vous plaît, même aux heures pieuses,
Même à la mort, sinon devant le prêtre et vous.
Donnez-leur le silence et l’amour du mystère,
O Dieu glorifieur du bien fait en secret,
A ces timides moins transis qu’il ne paraît,
Et l’horreur, et le pli des choses de la terre.
Donnez-leur, ô mon Dieu, la rêsignation,
Toute forte douceur, l’ordre et l’intelligence,
Afin qu’au jour suprême ils gagnent l’indulgence
De l’Agneau formidable en la neuve Sion,
Afin qu’ils puissent dire: „Au moins nous sûmes croire“,
Et que l’Agneau terrible, ayant tout supputê,
Leur rêponde: „Venez, vous avez mêritê,
Pacifiques, ma paix, et, douloureux, ma gloire.“
IV
I
Mon Dieu m’a dit: Mon fils, il faut m’aimer. Tu vois
Mon flanc percê, mon coeur qui rayonne et qui saigne,
Et mes pieds offensês que Madeleine baigne
De larmes, et mes bras douloureux sous le poids
De tes pêchês, et mes mains! Et tu vois la croix,
Tu vois les clous, le fiel, l'êponge et tout t’enseigne
A n’aimer, en ce monde où la chair règne,
Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.
Ne t’ai-je pas aimê jusqu'à la mort moi-même,
O mon frère en mon Père, ô mon fils en l’Esprit,
Et n’ai-je pas souffert, comme c'êtait êcrit?
N’ai-je pas sanglotê ton angoisse suprême
Et n’ai-je pas suê la sueur de tes nuits,
Lamentable ami qui me cherches où je suis?»
II
J’ai rêpondu: Seigneur, vous avez dit mon âme.
C’est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas.
Mais vous aimer! Voyez comme je suis en bas,
Vous dont l’amour toujours monte comme la flamme.
Vous, la source de paix que toute soif rêclame,
Hêlas! Voyez un peu mes tristes combats!
Oserai-je adorer la trace de vos pas,
Sur ces genoux saignants d’un rampement infâme?
Et pourtant je vous cherche en longs tâtonnements,
Je voudrais que votre ombre au moins vêtît ma honte,
Mais vous n’avez pas d’ombre, ô vous dont l’amour monte,
O vous, fontaine calme, amère aux seuls amants
De leur damnation, ô vous toute lumière
Sauf aux yeux dont un lourd baiser tient la paupière!
III
—Il faut m’aimer! Je suis l’universel Baiser,
Je suis cette paupière et je suis cette lèvre
Dont tu parles, ô cher malade, et cette fièvre
Qui t’agite, c’est moi toujours! Il faut oser
M’aimer! Oui, mon amour monte sans biaiser
Jusqu’où ne grimpe pas ton pauvre amour de chèvre,
Et t’emportera, comme un aigle vole un lièvre,
Vers des serpolets qu’un ciel cher vient arroser.
O ma nuit claire! ô tes yeux dans mon clair de lune!
O ce lit de lumière et d’eau parmi la brune!
Toute celle innocence et tout ce reposoir!
Aime-moi! Ces deux mots sont mes verbes suprêmes,
Car êtant ton Dieu tout-puissant, je peux vouloir,
Mais je ne veux d’abord que pouvoir que tu m’aimes.
IV
--Seigneur, c’est trop? Vraiment je n’ose. Aimer qui? Vous?
Oh! non! Je tremble et n’ose. Oh! vous aimer je n’ose,
Je ne veux pas! Je suis indigne. Vous, la Rose
Immense des purs vents de l’Amour, ô Vous, tous
Les coeurs des saints, ô vous qui fûtes le Jaloux
D’Israël, Vous, la chaste abeille qui se pose
Sur la seule fleur d’une innocence mi-close,
Quoi, moi, moi, pouvoir Vous aimer. Êtes-vous fous2
Père, Fils, Esprit? Moi, ce pêcheur-ci, ce lâche,
Ce superbe, qui fait le mal comme sa tâche
Et n’a dans tous ses sens, odorat, toucher, goût,
Vue, ouïe, et dans tout son être--hêlas! dans tout
Son espoir et dans tout son remords que l’extase
D’une caresse où le seul vieil Adam s’embrase?
Note 2: (retour) Saint Augustin.
V
—Il faut m’aimer. Je suis ces Fous que tu nommais,
Je suis l’Adam nouveau qui mange le vieil homme,
Ta Rome, ton Paris, ta Sparte et ta Sodome,
Comme un pauvre ruê parmi d’horribles mets.
Mon amour est le feu qui dêvore à jamais
Toute chair insensêe, et l'êvapore comme
Un parfum, --et c’est le dêluge qui consomme
En son flot tout mauvais germe que je semais,
Afin qu’un jour la Croix où je meurs fût dressêe
Et que par un miracle effrayant de bontê
Je t’eusse un jour à moi, frêmissant et domptê.
Aime. Sors de ta nuit. Aime. C’est ma pensêe
De toute êternitê, pauvre âme dêlaissêe,
Que tu dusses m’aimer, moi seul qui suis restê!
VI
--Seigneur, j’ai peur. Mon âme en moi tressaille toute.
Je vois, je sens qu’il faut vous aimer. Mais comment
Moi, ceci, me ferais-je, ô mon Dieu, votre amant,
O Justice que la vertu des bons redoute?
Oui, comment? Car voici que s'êbranle la voûte
Où mon coeur creusait son ensevelissement
Et que je sens fluer à moi le firmament,
Et je vous dis: de vous à moi quelle est la route?
Tendez-moi votre main, que je puisse lever
Cette chair accroupie et cet esprit malade.
Mais recevoir jamais la cêleste accolade,
Est-ce possible? Un jour, pouvoir la retrouver
Dans votre sein, sur votre coeur qui fut le nôtre,
La place où reposa la tête de l’apôtre?
VII
--Certes, si tu le veux mêriter, mon fils, oui,
Et voici. Laisse aller l’ignorance indêcise
De ton coeur vers les bras ouverts de mon Église,
Comme la guêpe vole au lis êpanoui.
Approche-toi de mon oreille. Épanches-y
L’humiliation d’une brave franchise.
Dis-moi tout sans un mot d’orgueil ou de reprise
Et m’offre le bouquet d’un repentir choisi.
Puis franchement et simplement viens à ma table.
Et je t’y bênirai d’un repas dêlectable
Auquel l’ange n’aura lui-même qu’assistê,
Et tu boiras le Vin de la vigne immuable,
Dont la force, dont la douceur, dont la bontê
Feront germer ton sang à l’immortalitê.
Puis, va! Garde une foi modeste en ce mystère
D’amour par quoi je suis ta chair et ta raison,
Et surtout reviens très souvent dans ma maison,
Pour y participer au Vin qui dêsaltère,
Au Pain sans qui la vie est une trahison,
Pour y prier mon Père et supplier ma Mère
Qu’il te soit accordê, dans l’exil de la terre,
D'être l’agneau sans cris qui donne sa toison,
D'être l’enfant vêtu de lin et d’innocence,
D’oublier ton pauvre amour-propre et ton essence,
Enfin, de devenir un peu semblable à moi
Qui fus, durant les jours d’Hêrode et de Pilate
Et de Judas et de Pierre, pareil à toi
Pour souffrir et mourir d’une mort scêlêrate!
Et pour rêcompenser ton zèle en ces devoirs
Si doux qu’ils sont encore d’ineffables dêlices,
Je te ferai goûter sur terre mes prêmices,
La paix du coeur, l’amour d'être pauvre, et mes soirs
Mystiques, quand l’esprit s’ouvre aux calmes espoirs
Et croit boire, suivant ma promesse, au Calice
Éternel, et qu’au ciel pieux la lune glisse,
Et que sonnent les angêlus roses et noirs,
En attendant l’assomption dans ma lumière,
L'êveil sans fin dans ma charitê coutumière,
La musique de mes louanges à jamais,
Et l’extase perpêtuelle et la science,
Et d'être en moi parmi l’aimable irradiance
De tes souffrances, enfin miennes, que j’aimais!
--Ah! Seigneur, qu’ai-je? Hêlas! me voici tout en larmes
D’une joie extraordinaire: votre voix
Me fait comme du bien et du mal à la fois,
Et le mal et le bien, tout a les mêmes charmes.
Je ris, je pleure, et c’est comme un appel aux armes
D’un clairon pour des champs de bataille où je vois
Des anges bleus et blancs portês sur des pavois,
Et ce clairon m’enlève en de fières alarmes.
J’ai l’extase et j’ai la terreur d'être choisi.
Je suis indigne, mais je sais votre clêmence.
Ah! quel effort, mais quelle ardeur! Et me voici
Plein d’une humble prière, encore qu’un trouble immense
Brouille l’espoir que votre voix me rêvêla,
Et j’aspire en tremblant.
IX
--Pauvre âme, c’est cela!
III
I
Dêsormais le Sage, puni
Pour avoir trop aimê les choses,
Rendu prudent à l’infini,
Mais franc de scrupules moroses,
Et d’ailleurs retournant au Dieu
Qui fit les yeux et la lumière,
L’honneur, la gloire, et tout le peu
Qu’a son âme de candeur fière,
Le Sage peut dorênavant
Assister aux scènes du monde,
Et suivre la chanson du vent,
Et contempler la mer profonde.
Il ira, calme, et passera
Dans la fêrocitê des villes,
Comme un mondain à l’Opêra
Qui sort blasê des danses viles.
Même, --et pour tenir abaissê
L’orgueil, qui fit son âme veuve,
Il remontera le passê,
Ce passê, comme un mauvais fleuve,
Il reverra l’herbe des bords,
Il entendra le flot qui pleure
Sur le bonheur mort et les torts
De cette date et de cette heure!…
Il aimera les cieux, les champs,
La bontê, l’ordre et l’harmonie,
Et sera doux, même aux mêchants,
Afin que leur mort soit bênie.
Dêlicat et non exclusif,
Il sera du jour où nous sommes:
Son coeur, plutôt contemplatif,
Pourtant saura l’oeuvre des hommes.
Mais, revenu des passions,
Un peu mêfiant des «usages»,
A vos civilisations
Prêfêrera les paysages.
II
Du fond du grabat
As-tu vu l'êtoile
Que l’hiver dêvoile?
Comme ton coeur bat,
Comme cette idêe,
Regret ou dêsir,
Ravage à plaisir
Ta tête obsêdêe,
Pauvre tête en feu,
Pauvre coeur sans dieu
L’ortie et l’herbette
Au bas du rempart
D’où l’appel frais part
D’une aigre trompette,
Le vent du coteau,
La Meuse, la goutte
Qu’on boit sur la route
A chaque êcriteau,
Les sèves qu’on hume,
Les pipes qu’on fume!
Un rêve de froid:
«Que c’est beau la neige
Et tout son cortège
Dans leur cadre êtroit!
Oh! tes blancs arcanes,
Nouvelle Archangel,
Mirage êternel
De mes caravanes!
Oh! ton chaste ciel,
Nouvelle Archangel?»
Cette ville sombre!
Tout est crainte ici…
Le ciel est transi
D'êclairer tant d’ombre.
Les pas que tu fais
Parmi ces bruyères
Lèvent des poussières
Au souffle mauvais…
Voyageur si triste,
Tu suis quelle piste?
C’est l’ivresse à mort,
C’est la noire orgie,
C’est l’amer effort
De ton ênergie
Vers l’oubli dolent
De la voix intime,
C’est le seuil du crime,
C’est l’essor sanglant.
--Oh! fuis la chimère:
Ta mère, ta mère!
Quelle est cette voix
Qui ment et qui flatte!
«Ah! la tête plate,
Vipère des bois!»
Pardon et mystère.
Laisse èa dormir,
Qui peut, sans frêmir,
Juger sur la terre?
«Ah! pourtant, pourtant,
Ce monstre impudent!»
La mer! Puisse-t elle
Laver ta rancoeur,
La mer au grand coeur.
Ton aïeule, celle
Qui chante en berèant
Ton angoisse atroce,
La mer, doux colosse
Au sein innocent,
Grondeuse infinie
De ton ironie!
Tu vis sans savoir!
Tu verses ton âme,
Ton lait et ta flamme
Dans quel dêsespoir?
Ton sang qui s’amasse
En une fleur d’or
N’est pas prêt encor
A la dêdicace.
Attends quelque peu,
Ceci n’est que jeu.
Cette frênêsie
T’initie au but.
D’ailleurs, le salut
Viendra d’un Messie
Dont tu ne sens plus,
Depuis bien des lieues,
Les effluves bleues
Sous tes bras perclus,
Naufrage d’un rêve
Qui n’a pas de grève!
Vis en attendant
L’heure toute proche.
Ne sois pas prudent.
Trêve à tout reproche.
Fais ce que tu veux.
Une main te guide
A travers le vide
Affreux de tes voeux.
Un peu de courage,
C’est le bon orage.
Voici le Malheur
Dans sa plênitude.
Mais à sa main rude
Quelle belle fleur!
«La brûlante êpine!»
Un lis est moins blanc,
«Elle m’entre au flanc.»
Et l’odeur divine!
«Elle m’entre au coeur.»
Le parfum vainqueur!
«Pourtant je regrette,
Pourtant je me meurs,
Pourtant ces deux coeurs…»
Lève un peu la tête:
«Eh bien, c’est la Croix.»
Lève un peu ton âme
De ce monde infâme.
«Est-ce que je crois?»
Qu’en sais-tu? La Bête
Ignore sa tête,
La Chair et le Sang
Mêconnaissent l’Acte.
"Mais j’ai fait un pacte
Qui va m’enlaèant
A la faute noire,
Je me dois à mon
Tenace dêmon:
Je ne veux point croire.
Je n’ai pas besoin
De rêver si loin!
«Aussi bien j'êcoute
Des sons d’autrefois.
Vipère des bois,
Encor sur ma route?
Cette fois tu mords.»
Laisse cette bête.
Que fait au poète?
Que sont des coeurs morts?
Ah! plutôt oublie
Ta propre folie.
Ah! plutôt, surtout,
Douceur, patience,
Mi-voix et nuance,
Et paix jusqu’au bout!
Aussi bon que sage,
Simple autant que bon,
Soumets ta raison
Au plus pauvre adage,
Naïf et discret,
Heureux en secret!
Ah! surtout, terrasse
Ton orgueil cruel,
Implore la grâce
D'être un pur Abel,
Finis l’odyssêe
Dans le repentir
D’un humble martyr,
D une humble pensêe.
Regarde au-dessus…
«Est-ce vous, JÉSUS?»
III
L’espoir luit comme un brin de paille dans l'êtable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table?
Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacê,
Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercê.
Midi sonne. De grâce, êloignez-vous, madame.
Il dort. C’est êtonnant comme les pas de femme
Rêsonnent au cerveau des pauvres malheureux.
Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah! quand refleuriront les roses de septembre!
IV
Gaspard Hauser chante:
Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes:
Ils ne m’ont pas trouvê malin.
A vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d’amoureuses flammes
M’a fait trouver belles les femmes:
Elles ne m’ont pas trouvê beau.
Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l'êtant guère,
J’ai voulu mourir à la guerre:
La mort n’a pas voulu de moi.
Suis-je nê trop tôt ou trop lard?
Qu’est-ce que je fais en ce monde?
O vous tous, ma peine est profonde;
Priez pour le pauvre Gaspard!
V
Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie:
Dormez, tout espoir,
Dormez, toute envie!
Je ne vois plus rien,
Je perds la mêmoire
Du mal et du bien…
O la triste histoire!
Je suis un berceau
Qu’une main balance
Au creux d’un caveau:
Silence, silence!
VI
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme!
Un arbre, par-dessus le toit
Berce sa palme.
La cloche dans le ciel qu’on voit
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
--Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse?
VII
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer,
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi?
Mouette à l’essor mêlancolique.
Elle suit la vague, ma pensêe,
A tous les vents du ciel balancêe
Et biaisant quand la marêe oblique,
Mouette à l’essor mêlancolique.
Ivre de soleil
Et de libertê,
Un instinct la guide à travers cette immensitê.
La brise d'êtê
Sur le flot vermeil
Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.
Parfois si tristement elle crie
Qu’elle alarme au lointain le pilote,
Puis au grê du vent se livre et flotte
Et plonge, et l’aile toute meurtrie
Revole, et puis si tristement crie!
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi,
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi?
VIII
Parfums, couleurs, systèmes, lois!
Les mots ont peur comme des poules.
La Chair sanglote sur la croix.
Pied, c’est du rêve que tu foules,
Et partout ricane la voix,
La voix tentatrice des foules.
Cieux bruns où nagent nos desseins,
Fleurs qui n'êtes pas le calice,
Vin et ton geste qui se glisse,
Femme et l’oeillade de tes seins,
Nuit câline aux frais traversins,
Qu’est-ce que c’est que ce dêlice,
Qu’est-ce que c’est que ce supplice,
Nous les damnês et vous les Saints?
IX
Le son du cor s’afflige vers les bois
D’une douleur on veut croire orpheline
Qui vient mourir au bas de la colline
Parmi la bise errant en courts abois.
L'âme du loup pleure dans cette voix
Qui monte avec le soleil qui dêcline,
D’une agonie on veut croire câline
Et qui ravit et qui navre à la fois.
Pour faire mieux cette plainte assoupie
La neige tombe à longs traits de charpie
A travers le couchant sanguinolent,
Et l’air a l’air d'être un soupir d’automne,
Tant il fait doux par ce soir monotone
Où se dorlote un paysage lent.
X
La tristesse, langueur du corps humain
M’attendrissent, me flêchissent, m’apitoient,
Ah! surtout quand des sommeils noirs le foudroient.
Quand les draps zèbrent la peau, foulent la main!
Et que mièvre dans la fièvre du demain,
Tiède encor du bain de sueur qui dêcroît,
Comme un oiseau qui grelotte sous un toit!
Et les pieds, toujours douloureux du chemin,
Et le sein, marquê d’un double coup de poing,
Et la bouche, une blessure rouge encor,
Et la chair frêmissante, frêle dêcor,
Et les yeux, les pauvres yeux si beaux où point
La douleur de voir encore du fini!…
Triste corps! Combien faible et combien puni!
XI
La bise se rue à travers
Les buissons tout noirs et tout verts,
Glaèant la neige êparpillêe,
Dans la campagne ensoleillêe,
L’odeur est aigre près des bois,
L’horizon chante avec des voix,
Les coqs des clochers des villages
Luisent crûment sur les nuages.
C’est dêlicieux de marcher
A travers ce brouillard lêger
Qu’un vent taquin parfois retrousse.
Ah! fi de mon vieux feu qui tousse!
J’ai des fourmis plein les talons.
Debout, mon âme, vite, allons!
C’est le printemps sêvère encore,
Mais qui par instant s'êdulcore
D’un souffle tiède juste assez
Pour mieux sentir les froids passês
Et penser au Dieu de clêmence…
Va, mon âme, à l’espoir immense!
XII
Vous voilà, vous voilà, pauvres bonnes pensêes!
L’espoir qu’il faut, regret des grâces dêpensêes,
Douceur de coeur avec sêvêritê d’esprit,
Et cette vigilance, et le calme prescrit,
Et toutes! --Mais encor lentes, bien êveillêes,
Bien d’aplomb, mais encor timides, dêbrouillêes
A peine du lourd rêve et de la tiède nuit.
C’est à qui de vous va plus gauche, l’une suit
L’autre, et toutes ont peur du vaste clair de lune.
«Telles, quand des brebis sortent d’un clos. C’est une,
Puis deux, puis trois. Le reste est là, les yeux baissês,
La tête à terre, et l’air des plus embarrassês,
Faisant ce que fait leur chef de file: il s’arrête,
Elles s’arrêtent tour à tour, posant leur tête
Sur son dos, simplement et sans savoir pourquoi3.»
Votre pasteur, ô mes brebis, ce n’est pas moi,
C’est un meilleur, un bien meilleur, qui sait les causes,
Lui qui vous tint longtemps et si longtemps là closes,
Mais qui vous dêlivra de sa main au temps vrai.
Suivez-le. Sa houlette est bonne.
Et je serai,
Sous sa voix toujours douce à votre ennui qui bêle,
Je serai, moi, par vos chemins, son chien fidèle.
Note 3: (retour) DANTE, le Purgatoire.
XIII
L'êchelonnement des haies
Moutonne à l’infini, mer
Claire dans le brouillard clair
Qui sent bon les jeunes baies.
Des arbres et des moulins
Sont lêgers sous le vert tendre
Où vient s'êbattre et s'êtendre
L’agilitê des poulains.
Dans ce vague d’un Dimanche
Voici se jouer aussi
De grandes brebis aussi
Douces que leur laine blanche.
Tout à l’heure dêferlait
L’onde, roulêe en volutes,
De cloches comme des flûtes
Dans le ciel comme du lait.
XIV
L’immensitê de l’humanitê,
Le temps passê vivace et bon père,
Une entreprise à jamais prospère:
Quelle puissante et calme citê!
Il semble ici qu’on vit dans l’histoire,
Tout est plus fort que l’homme d’un jour,
De lourds rideaux d’atmosphère noire
Font richement la nuit alentour.
O civilisês que civilise
L’Ordre obêi, le Respect sacrê!
O dans ce champ si bien prêparê
Cette moisson de la Seule Eglise!
XV
La mer est plus belle
Que les cathêdrales,
Nourrice fidèle,
Berceuse de râles,
La mer qui prie
La Vierge Marie!
Elle a tous les dons
Terribles et doux.
J’entends ses pardons
Gronder ses courroux.
Cette immensitê
N’a rien d’entêtê.
O! si patiente,
Même quand mêchante!
Un souffle ami hante
La vague, et nous chante:
«Vous sans espêrance,
Mourez sans souffrance!»
Et puis sous les cieux
Qui s’y rient plus clairs,
Elle a des airs bleus,
Rosês, gris et verts…
Plus belle que tous,
Meilleure que nous!
XVI
La «grande ville». Un tas criard de pierres blanches
Où rage le soleil comme en pays conquis.
Tous les vices ont leur tanière, les exquis
Et les hideux, dans ce dêsert de pierres blanches.
Des odeurs! Des bruits vains! Où que vague le coeur,
Toujours ce poudroiement vertigineux de sable,
Toujours ce remuement de la chose coupable
Dans cette solitude où s'êcoeure le coeur!
De près, de loin, le Sage aura sa thêbaïde
Parmi le fade ennui qui monte de ceci,
D’autant plus âpre et plus sanctifiante aussi
Que deux parts de son âme y pleurent, dans ce vide!
XVII
Toutes les amours de la terre
Laissant au coeur du dêlêtère
Et de l’affreusement amer,
Fraternelles et conjugales,
Paternelles et filiales,
Civiques et nationales,
Les charnelles, les idêales,
Toutes ont la guêpe et le ver.
La mort prend ton père et ta mère,
Ton frère trahira son frère,
Ta femme flaire un autre êpoux,
Ton enfant, on te l’aliène,
Ton peuple, il se pille ou s’enchaîne
Et l'êtranger y pond sa haine,
Ta chair s’irrite et tourne obscène,
Ton âme flue en rêves fous.
Mais, dit Jêsus, aime, n’importe!
Puis de toute illusion morte
Fais un cortège, forme un choeur,
Va devant, tel aux champs le pâtre,
Tel le coryphêe au thêâtre,
Tel le vrai prêtre ou l’idolâtre,
Tels les grands-parents près de l'âtre,
Oui, que devant aille ton coeur!
Et que toutes ces voix dolentes
S'êlèvent rapides ou lentes,
Aigres ou douces, composant
A la gloire de Ma souffrance
Instrument de ta dêlivrance,
Condiment de ton espêrance
Et mets de la propre navrance.
L’hymne qui te sied à prêsent!
XVIII
Sainte Thêrèse veut que la Pauvretê soit
La reine d’ici-bas, et littêralement!
Elle dit peu de mots de ce gouvernement
Et ne s’arrête point aux dêtails de surcroît;
Mais le Point, à son sens, celui qu’il faut qu’on voie
Et croie, est ceci dont elle la complimente:
Le libre arbitre pèse, arguë et parlemente,
Puis le pauvre-de-coeur dêcide et suit sa voie.
Qui l’en empêchera? De voeux il n’en a plus
Que celui d'être un jour au nombre des êlus,
Tout-puissant serviteur, tout-puissant souverain,
Prodigue et dêdaigneux, sur tous, des choses eues,
Mais accumulateur des seules choses sues,
De quel si fier sujet, et libre, quelle reine!
XIX
Parisien, mon frère à jamais êtonnê,
Montons sur la colline où le soleil est nê
Si glorieux qu’il fait comprendre l’idolâtre,
Sous cette perspective inconnue au thêâtre,
D’arbres au vent et de poussière d’ombre et d’or.
Montons. Il est si frais encor, montons encor.
Là! nous voilà placês comme dans une «loge
De face», et le dêcor vraiment tire un êloge.
La cathêdrale ênorme et le beffroi sans fin,
Ces toits de tuile sous ces verdures, le vain
Appareil des remparts pompeux et grands quand même,
Ces clochers, cette tour, ces autres, sur l’or blême
Des nuages à l’ouest rêverbêrant l’or dur
De derrière chez nous, tous ces lourds joyaux sur
Ces ouates, n’est-ce pas, l'êcrin vaut le voyage,
Et c’est ce qu’on peut dire un brin de paysage?
--Mais descendons, si ce n’est pas trop abuser
De vos pieds las, à fin seule de reposer
Vos yeux qui n’ont jamais rien vu que Montmartre,
--«Campagne» vert de plaie et ville blanc de dartre
(Et les sombres parfums qui grimpent de Pantin!)--
Donc, par ce lent sentier de rosêe et de thym,
Cheminons vers la ville au long de la rivière,
Sous les frais peupliers, dans la fine lumière.
L’une des portes ouvre une rue, entrons-y.
Aussi bien, c’est le point qu’il faut, l’endroit choisi:
Si blanches, les maisons anciennes, si bien faites,
Point hautes, èa et là des bronches sur leurs faîtes,
Si doux et sinueux le cours de ces maisons,
Comme un ruisseau parmi de vagues frondaisons,
Profilant la lumière et l’ombre en broderies
Au lieu du long ennui de vos haussmanneries,
Et si gentil l’accent qui confine au patois
De ces passants naïfs avec leurs yeux matois!…
Des places ivres d’air et de cris d’hirondelles
Où l’histoire proteste en formules fidèles
A la crête des toits comme au fer des balcons,
Des portes ne tournant qu'à regret sur leurs gonds,
Jalouses de garder l’honneur et la famille…
Ici tout vit et meurt calme, rien ne fourmille,
Le «Thêâtre» fait four, et ce dieu des brouillons.
Le «Journal» n’en est plus à compter ses bouillons,
L’amour même prêtend conserver ses noblesses
Et le vice se gobe en de rares drôlesses.
Enfin rien de Paris, mon frère «dans nos murs».
Que les modes… d’hier, et que les fruits bien mûrs
De ce fameux progrès que vous mangez en herbe.
Du reste on vit à l’aise. Une chère superbe,
La raison raisonnable et l’esprit des aïeux,
Beaucoup de sain travail, quelques loisirs joyeux,
Et ce besoin d’avoir peur de la grande route!
Avouez, la province est bonne, somme toute,
Et vous regrettez moins que tantôt la «splendeur»
Du vieux monstre, et son pouls fêbrile, et cette odeur!
XX
C’est la fête du blê, c’est la fête du pain
Aux chers lieux d’autrefois revus après ces choses!
Tout bruit, la nature et l’homme, dans un bain
De lumière si blanc que les ombres sont roses.
L’or des pailles s’effondre au vol siffleur des faux
Dont l'êclair plonge, et va luire, et se rêverbère.
La plaine, tout au loin couverte de travaux,
Change de face à chaque instant, gaie et sêvère.
Tout halète, tout n’est qu’effort et mouvement
Sous le soleil, tranquille auteur des moissons mûres,
Et qui travaille encore imperturbablement
A gonfler, à sucrer là-bas les grappes sures.
Travaille, vieux soleil, pour le pain et le vin,
Nourris l’homme du lait de la terre, et lui donne
L’honnête verre où rit un peu d’oubli divin.
Moissonneurs, vendangeurs là-bas votre heure est bonne!
Car sur la fleur des pains et sur la fleur des vins,
Fruit de la force humaine en tous lieux rêpartie,
Dieu moissonne, et vendange, et dispose à ses fins
La Chair et le Sang pour le calice et l’hostie!
JADIS ET NAGUÈRE
JADIS
PROLOGUE
En route, mauvaise troupe!
Partez, mes enfants perdus!
Ces loisirs vous êtaient dus!
La Chimère tend sa croupe.
Partez, grimpês sur son dos,
Comme essaime un vol de rêves
D’un malade dans les brèves
Fleurs vagues de ses rideaux.
Ma main tiède qui s’agite
Faible encore, mais enfin
Sans fièvre, et qui ne palpite
Plus que d’un effort divin,
Ma main vous bênit, petites
Mouches de mes soleils noirs
Et de mes nuits blanches. Vites,
Partez, petits dêsespoirs,
Petits espoirs, douleurs, joies,
Que dès hier renia
Mon coeur quêtant d’autres proies…
Allez, aeigri somnia.
SONNETS ET AUTRES VERS
A la louange de Laure et de Pêtrarque.
Chose italienne où Shakspeare a passê
Mais que Ronsard fit superbement franèaise,
Fine basilique au large diocèse,
Saint-Pierre-des-Vers, immense et condensê,
Elle, ta marraine, et Lui qui t’a pensê,
Dogme entier toujours debout sous l’exêgèse
Même edmondschêresque ou francisquesarceyse,
Sonnet, force acquise et trêsor amassê,
Ceux-là sont très bons et toujours vênêrables,
Ayant procurê leur luxe aux misêrables
Et l’or fou qui sied aux pauvres glorieux,
Aux poètes fiers comme les gueux d’Espagne,
Aux vierges qu’exalte un rythme exact, aux yeux
Épris d’ordre, aux coeurs qu’un voeu chaste accompagne.
PIERROT
A Lêon Valade.
Ce n’est plus le rêveur lunaire du vieil air
Qui riait aux aïeux dans les dessus de portes;
Sa gaîtê, comme sa chandelle, hêlas! est morte,
Et son spectre aujourd’hui nous hante, mince et clair.
Et voici que parmi l’effroi d’un long êclair
Sa pâle blouse à l’air, au vent froid qui l’emporte,
D’un linceul, et sa bouche est bêante, de sorte
Qu’il semble hurler sous les morsures du ver.
Avec le bruit d’un vol d’oiseaux de nuit qui passe,
Ses manches blanches font vaguement par l’espace
Des signes fous auxquels personne ne rêpond.
Ses yeux sont deux grands trous où rampe du phosphore,
Et la farine rend plus effroyable encore
Sa face exsangue au nez pointu de moribond.
KALÉIDOSCOPE
A Germain Nouveau.
Dans une rue, au coeur d’une ville de rêve,
Ce sera comme quand on a dêjà vêcu:
Un instant à la fois très vague et très aigu…
O ce soleil parmi la brume qui se lève!
O ce cri sur la mer, celle voix dans les bois!
Ce sera comme quand on ignore des causes:
Un lent rêveil après bien des mêtempsycoses:
Les choses seront plus les mêmes qu’autrefois
Dans cette rue, au coeur de la ville magique
Où des orgues moudront des gigues dans les soirs,
Où les cafês auront des chats sur les dressoirs,
Et que traverseront des bandes de musique.
Ce sera si fatal qu’on en croira mourir:
Des larmes ruisselant douces le long des joues,
Des rires sanglotês dans le fracas des roues,
Des invocations à la mort de venir,
Des mots anciens comme des bouquets de fleurs fanêes!
Les bruits aigres des bals publics arriveront,
Et des veuves avec du cuivre après leur front,
Paysannes, fendront la foule des traînêes
Qui flânent là, causant avec d’affreux moutards
Et des vieux sans sourcils que la dartre enfarine,
Cependant qu'à deux pas, dans des senteurs d’urine,
Quelque fête publique enverra des pêtards.
Ce sera comme quand on rêve et qu’on s'êveille!
Et que l’on se rendort et que l’on rêve encor
De la même fêerie et du même dêcor,
L'êtê, dans l’herbe, au bruit moirê d’un vol d’abeille.
INTÉRIEUR
A grands plis sombres une ample tapisserie
De haute lice, avec emphase descendrait
Le long des quatre murs immenses d’un retrait
Mystêrieux où l’ombre au luxe se marie.
Les meubles vieux, d'êtoffe êclatante flêtrie,
Le lit entr’aperèu vague comme un regret,
Tout aurait l’attitude et l'âge du secret,
Et l’esprit se perdrait en quelque allêgorie.
Ni livres, ni tableaux, ni fleurs, ni clavecins;
Seule, à travers les fonds obscurs, sur des coussins,
Une apparition bleue et blanche de femme
Tristement sourirait--inquiêtant têmoin--
Au lent êcho d’un chant lointain d'êpithalame.
Dans une obsession de musc et de benjoin.
DIZAIN MIL HUIT CENT TRENTE
Je suis nê romantique et j’eusse êtê fatal
En un frac très êtroit aux boutons de mêtal,
Avec ma barbe en pointe et mes cheveux en brosse.
Hablant español, très loyal et très fêroce,
L’oeil idoine à l’oeillade et chargê de dêfis.
Beautês mises à mal et bourgeois dêconfits
Eussent bondê ma vie et soûlê mon coeur d’homme.
Pâle et jaune, d’ailleurs, et taciturne comme
Un enfant scrofuleux dans un Escurial…
Et puis j’eusse êtê si fêroce et si loyal!
A HORATIO
Ami, le temps n’est plus des guitares, des plumes,
Des crêanciers, des duels hilares à propos
De rien, des cabarets, des pipes aux chapeaux
Et de cette gaîtê banale où nous nous plûmes.
Voici venir, ami très tendre, qui t’allumes
Au moindre dê pipê, mon doux briseur de pots,
Horatio, terreur et gloire des tripots,
Cher diseur de jurons à remplir cent volumes,
Voici venir parmi les brumes d’Elseneur
Quelque chose de moins plaisant, sur mon honneur,
Qu’Ophêlia, l’enfant aimable qui s'êtonne.
C’est le spectre, le spectre impêrieux! Sa main
Montre un but et son oeil êclaire et son pied tonne,
Hêlas! et nul moyen de remettre à demain!
SONNET BOITEUX
A Ernest Delahaye.
Ah! vraiment c’est triste, ah! vraiment èa finit trop mal.
Il n’est point permis d'être à ce point infortunê.
Ah! vraiment c’est trop la mort du naïf animal
Qui voit tout son sang couler sous son regard fanê.
Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible!
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles.
Et les maisons dans leur ratatinement terrible
Épouvantent comme un sênat de petites vieilles.
Tout l’affreux passê saute, piaule, miaule et glapit
Dans le brouillard rose et jaune et sale des sohos
Avec des indeeds et des all rights et des hâos.
Non vraiment c’est trop un martyre sans espêrance,
Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c’est triste:
O le feu du ciel sur cette ville de la Bible!
LE CLOWN
A Laurent Tailhade.
Bobèche, adieu! bonsoir, Paillasse! arrière, Gille!
Place, bouffons vieillis, au parfait plaisantin,
Place! très grave, très discret et très hautain,
Voici venir le maître à tous, le clown agile.
Plus souple qu’Arlequin et plus brave qu’Achille,
C’est bien lui, dans sa blanche armure de satin;
Vides et clairs ainsi que des miroirs sans tain,
Ses yeux ne vivent pas dans son masque d’argile.
Ils luisent bleus parmi le fard et les onguents,
Cependant que la tête et le buste, êlêgants,
Se balancent par l’arc paradoxal des jambes.
Puis il sourit. Autour le peuple bête et laid,
La canaille puante et sainte des Iambes,
Acclame l’histrion sinistre qui la hait.
Écrit sur l’Album de Mme N. de V.
Des yeux tout autour de la tête
Ainsi qu’il est dit dans Murger.
Point très bonne, un esprit d’enfer
Avec des rires d’alouette.
Sculpteur, musicien, poète
Sont ses hôtes. Dieux, quel hiver
Nous passâmes! Ce fut amer
Et doux. Un sabbat! Une fête!
Ses cheveux, noir tas sauvage où
Scintille un barbare bijou,
La font reine et la font fantoche.
Ayant vu cet ange pervers,
«Oùsqu’est mon sonnet?» dit Arvers
Et Chilpêric dit: «Sapristoche!»
LE SQUELETTE
A Albert Mêrat.
Deux reîtres saouls, courant les champs, virent parmi
La fange d’un fossê profond une carcasse
Humaine dont la faim torve d’un loup fugace
Venait de disloquer l’ossature à demi.
La tête, intacte, avait ce rictus ennemi
Qui nous attriste, nous ênerve et nous agace.
Or, peu mystiques, nos capitaines Fracasse
Songèrent (John Falstaff lui-même en eût frêmi)
Qu’ils avaient bu, que tout vin bu filtre et s'êgoutte,
Et qu’en outre ce mort avec son chef bêant
Ne serait pas fâchê dêboire aussi, sans doute.
Mais comme il ne faut pas insulter au Nêant,
Le squelette s'êtant dressê sur son sêant
Fit signe qu’ils pouvaient continuer leur route.
A Albert Mêrat.
Et nous voilà très doux à la bêtise humaine,
Lui pardonnant vraiment et même un peu touchês
De sa candeur extrême et des torts très lêgers
Dans le fond qu’elle assume et du train qu’elle mène.
Pauvres gens que les gens! Mourir pour Cêlimène,
Épouser Angêlique ou venir de nuit chez
Agnès et la briser, et tous les sots pêchês,
Tel est l’Amour encor plus faible que la Haine!
L’Ambition, l’Orgueil, des tours dont vous tombez,
Le Vin, qui vous imbibe et vous tord imbibês,
L’Argent, le Jeu, le Crime, un tas de pauvres crimes!
C’est pourquoi, mon très cher Mêrat, Mêrat et moi,
Nous êtant dêpouillês de tout banal êmoi,
Vivons clans un dandysme êpris des seules Rimes!
ART POÉTIQUE
A Charles Morice.
De la musique avant toute chose,
Et pour cela prêfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque mêprise:
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indêcis au Prêcis se joint.
C’est des beaux yeux derrière les voiles,
C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est, par un ciel d’automne attiêdi,
Le bleu fouillis des claires êtoiles!
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance!
Oh! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor!
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L’Esprit cruel et le rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine!
Prends l'êloquence et tords-lui son cou!
Tu feras bien, en train d'ênergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où?
O qui dira les torts de la Rime!
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgê ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime?
De la musique encore et toujours!
Que ton vers soit la chose envolêe
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allêe
Vers d’autres cieux à d’autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispê du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littêrature.
LE PITRE
Le trêteau qu’un orchestre emphatique secoue
Grince sous les grands pieds du maigre baladin
Qui harangue non sans finesse et sans dêdain
Les badauds piêtinant devant lui dans la boue.
Le plâtre de son front et le fard de sa joue
Font merveille. Il pêrore et se tait tout soudain,
Reèoit des coups de pieds au derrière, badin
Baise au cou sa commère ênorme, et fait la roue.
Ses boniments de coeur et d'âme, approuvons-les.
Son court pourpoint de toile à fleurs et ses mollets
Tournants jusqu'à l’abus valent que l’on s’arrête.
Mais ce qui sied à tous d’admirer, c’est surtout
Cette perruque d’où se dresse sur la tête,
Preste, une queue avec un papillon au bout.
ALLÉGORIE
A Jules Valadon.
Despotique, pesant, incolore, l'Étê,
Comme un roi fainêant prêsidant un supplice,
S'êtire par l’ardeur blanche du ciel complice
Et bâille. L’homme dort loin du travail quittê.
L’alouette, au matin, lasse n’a pas chantê.
Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse.
Ou ride cet azur implacablement lisse
Où le silence bout dans l’immobilitê.
L'âpre engourdissement a gagnê les cigales
Et sur leur lit êtroit de pierres inêgales
Les ruisseaux à moitiê taris ne sautent plus.
Une rotation incessante de moires
Lumineuses êtend ses flux et ses reflux…
Des guêpes, èa et là volent, jaunes et noires.
L’AUBERGE
A Jean Morêas.
Murs blancs, toit rouge, c’est l’Auberge fraîche au bord
Du grand chemin poudreux où le pied brûle et saigne,
L’Auberge gaie avec le Bonheur pour enseigne.
Vin bleu, pain tendre, et pas besoin de passeport.
Ici l’on fume, ici l’on chante, ici l’on dort.
L’hôte est un vieux soldat, et l’hôtesse, qui peigne
Et lave dix marmots roses et pleins de teigne,
Parle d’amour, de joie et d’aise, et n’a pas tort!
La salle au noir plafond de poutres, aux images
Violentes, Maleck Adel et les Rois Mages,
Vous accueille d’un bon parfum de soupe aux choux.
Entendez-vous? C’est la marmite qu’accompagne
L’horloge du tic-tac allêger de son pouls.
Et la fenêtre s’ouvre au loin sur la campagne.
CIRCONSPECTION
A Gaston Sênêchal.
Donne ta main, retiens ton souffle, asseyons-nous
Sous cet arbre gêant où vient mourir la brise
En soupirs inêgaux sous la ramure grise
Que caresse le clair de lune blême et doux.
Immobiles, baissons nos yeux vers nos genoux.
Ne pensons pas, rêvons. Laissons faire à leur guise
Le bonheur qui s’enfuit et l’amour qui s'êpuise,
Et nos cheveux frôlês par l’aile des hiboux.
Oublions d’espêrer. Discrète et contenue,
Que l'âme de chacun de nous deux continue
Ce calme et cette mort sereine du soleil.
Restons silencieux parmi la paix nocturne:
Il n’est pas bon d’aller troubler dans son sommeil
La nature, ce dieu fêroce et taciturne.
VERS POUR ÊTRE CALOMNIÉ
A Charles Vignier.
Ce jour je m'êtais penchê sur ton sommeil.
Tout ton corps dormait chaste sur l’humble lit,
Et j’ai vu, comme un qui s’applique et qui lit,
Ah! j’ai vu que tout est vain sous le soleil!
Qu’on vive, ô quelle dêlicate merveille,
Tant notre appareil est une fleur qui plie!
O pensêe aboutissant à la folie!
Va, pauvre, dors, moi, l’effroi pour toi m'êveille.
Ah! misère de t’aimer, mon frêle amour
Qui vas respirant comme on respire un jour!
O regard fermê que la mort fera tel!
O bouche qui ris en songe sur ma bouche,
En attendant l’autre rire plus farouche!
Vite, êveille-toi! Dis, l'âme est immortelle?
LUXURES
A Lêor Trêzenik.
Chair! ô seul fruit mordu des vergers d’ici-bas,
Fruit amer et sucrê qui jutes aux dents seules
Des affamês du seul amour, bouches ou gueules,
Et bon dessert des forts, et leurs joyeux repas,
Amour! le seul êmoi de ceux que n'êmeut pas
L’horreur de vivre, Amour qui presses sous tes meules
Les scrupules des libertins et des bêgueules
Pour le pain des damnês qu'êlisent les sabbats,
Amour, tu m’apparais aussi comme un beau pâtre
Dont rêve la fileuse assise auprès de l'àtre
Les soirs d’hiver dans la chaleur d’un sarment clair,
Et la fileuse, c’est la Chair et l’heure tinte
Où le rêve êteindra la rêveuse, --heure sainte
Ou non! qu’importe à votre extase, Amour et Chair?
VENDANGES
A Gorges Rall.
Les choses qui chantent dans la tête
Alors que la mêmoire est absente,
Écoutez! c’est notre sang qui chante…
O musique lointaine et discrète!
Écoutez! c’est notre sang qui pleure
Alors que notre âme s’est enfuie
D’une voix jusqu’alors inouïe
Et qui va se taire tout à l’heure.
Frère du sang de la vigne rose,
Frère du vin de la veine noire,
O vin, ô sang, c’est l’apothêose!
Chantez, pleurez! Chassez la mêmoire
Et chassez l'âme, et jusqu’aux tênèbres
Magnêtisez nos pauvres vertèbres.
IMAGES D’UN SOU
A Lêon Dierx.
De toutes les douleurs douces
Je compose mes magies!
Paul, les paupières rougies,
Erre seul aux Pamplemousses.
La Folle-par-amour chante
Une ariette touchante.
C’est la mère qui s’alarme
De sa fille fiancêe.
C’est l'êpouse dêlaissêe
Qui prend un sêvère charme
A s’exagêrer l’attente
Et demeure palpitante.
C’est l’amitiê qu’on nêglige
Et qui se croit mêconnue.
C’est toute angoisse ingênue,
Cest tout bonheur qui s’afflige:
L’enfant qui s'êveille et pleure,
Le prisonnier qui voit l’heure,
Les sanglots des tourterelles,
La plainte des jeunes filles.
C’est l’appel des Inêsilles,
--Que gardent dans des tourelles
De bons vieux oncles avares--
A tous sonneurs de guitares.
Voici Damon qui soupire
La tendresse à Geneviève
De Brabant qui fait ce rêve
D’exercer un chaste empire
Dont elle-même se pâme
Sur la veuve de Pyrame
Tout exprès ressuscitêe,
Et la forêt des Ardennes
Sent circuler dans ses veines
La flamme persêcutêe
De ces princesses errantes
Sous les branches murmurantes,
Et madame Malbrouck monte
A sa tour pour mieux entendre
La viole et la voix tendre
De ce cher trompeur de Comte
Ory qui vient d’Espagne
Sans qu’un doublon l’accompagne.
Mais il s’est couvert de gloire
Aux gorges des Pyrênêes
Et combien d’infortunêes
Au teint de lis et d’ivoire
Ne fit-il pas à tous risques
Là-bas, parmi les Morisques!…
Toute histoire qui se mouille
De dêlicieuses larmes,
Fût-ce à travers, des chocs d’armes,
Aussitôt chez moi s’embrouille,
Se mêle à d’autres encore,
Finalement s'êvapore
En capricieuses nues,
Laissant à travers des filtres
Subtiles talismans et philtres
Au fin fond de mes cornues
Au feu de l’amour rougies.
Accourez à mes magies!
C’est très beau. Venez d’aucunes
Et d’aucuns. Entrez, bagasse!
Cadet-Roussel est paillasse
Et vous dira vos fortunes.
C’est Crêdit qui tient la caisse.
Allons vite qu’on se presse!
LES UNS ET LES AUTRES
COMÉDIE DÉDIÉE A
Thêodore de Banville.
PERSONNAGES:
MYRTIL
SYLVANDRE
ROSALINDE
CHLORIS
MEZZETIN
GORYDON
AMINTE
BERGERS, MASQUES.
La scène se passe dans un parc de Wateau, vers une fin d’après-midi d'êtê.
Une nombreuse compagnie d’hommes et de femmes est groupêe, en de nonchalantes attitudes, autour d’un chanteur costumê en Mezzetin, qui s’accompagne doucement sur une mandoline.
SCÈNE I
MEZZETIN, chantant.
Puisque tout n’est rien que fables,
Hormis d’aimer ton dêsir,
Jouis vite du loisir
Que te font des dieux affables.
Puisqu'à ce point se trouva
Facile ta destinêe,
Puisque vers toi ramenêe
L’Arcadie est proche, --va!
Va! le vin dans les feuillages
Fait êclater les beaux yeux
Et battre les coeurs joyeux
A l'êtroit sous les corsages…
CORYDON
A l’exemple de la cigale nous avons
Chantê…
AMINTE
Si nous allions danser?
Tous, moins Myrtil, Rosalinde, Sylvandre et Chloris.
Nous vous suivons!
(Ils sortent à l’exception des mêmes.)
SCÈNE II
MYRTIL, ROSALINDE, SYLVANDRE, CHLORIS
ROSALINDE, à Myrtil.
Restons.
CHLORIS, à Sylvandre.
Favorisê, vous pouvez dire l'être:
J’aime la danse à m’en jeter par la fenêtre,
Et si je ne vais pas sur l’herbette avec eux,
C’est bien pour vous!
(Sylvandre la presse.)
Paix là! Que vous êtes fougueux!
(Sortent Sylvandre et Chloris.)
SCÈNE III
MYRTIL, ROSALINDE
ROSALINDE
Parlez-moi.
MYRTIL
De quoi voulez-vous donc que je cause?
Du passê? Cela vous ennuierait, et pour cause.
Du prêsent? A quoi bon, puisque nous y voilà?
De l’avenir? Laissons en paix ces choses-là!
ROSALINDE
Parlez-moi du passê.
MYRTIL
Pourquoi?
ROSALINDE
C’est mon caprice.
Et fiez-vous à la mêmoire adulatrice
Qui va teinter d’azur les plus mornes jadis
Et masque les enfers anciens en paradis.
MYRTIL
Soit donc! J'êvoquerai, ma chère, pour vous plaire,
Ce morne amour qui fut, hêlas! notre chimère,
Regrets sans fin, ennuis profonds, poignants remords,
Et toute la tristesse atroce dos jours morts;
e dirai nos plus beaux espoirs dêèus sans cesse,
Ces deux coeurs dêvouês jusques à la bassesse
Et soumis l’un à l’autre, et puis, finalement,
Pour toute rêcompense et tout remerciement,
Navrês, martyrisês, bafouês l’un par l’autre,
Ma folle jalousie êtreinte par la vôtre,
Vos soupèons complêtant l’horreur de mes soupèons,
Toutes vos trahisons, toutes mes trahisons!
Oui, puisque ce passê vous flatte et vous agrêe.
Ce passê que je lis tracê comme à la craie
Sur le mur tênêbreux du souvenir, je veux,
Ce passê tout entier, avec ses dêsaveux
Et ses explosions de pleurs et de colère,
Vous le redire, afin, ma chère, de vous plaire!
ROSALINDE
Savez-vous que je vous trouve admirable, ainsi
Plein d’indignation êlêgante?
MYRTIL, irritê.
Merci!
ROSALINDE
Vous vous exagêrez aussi par trop les choses.
Quoi! pour un peu d’ennui, quelques heures moroses,
Vous lamenter avec ce courroux enfantin!
Moi je rends grâce au dieu qui me fit ce destin
D’avoir aimê, d’aimer l’ingrat, d’aimer encore
L’ingrat qui tient de sots discours, et qui m’adore
Toujours, ainsi, qu’il sied d’ailleurs en ce pays
De Tendre. Oui! Car malgrê vos regards êbahis
Et vos bras de poupêe inerte, je suis sûre
Que vous gardez toujours ouverte la blessure
Faite par ces yeux-ci, boudeur, à ce coeur-là.
MYRTIL, attendri.
Pourtant le jour où cet amour m’ensorcela
Vous fut autant qu'à moi funeste, mon amie.
Croyez-moi, rêveiller la tendresse endormie,
C’est têmêraire, et mieux vaudrait pieusement
Respecter jusqu’au bout son assoupissement
Qui ne peut que finir par la mort naturelle.
ROSALINDE
Fou! par quoi pouvons-nous vivre, sinon par elle?
MYRTIL, sincère.
Alors, mourons!
ROSALINDE
Vivons plutôt! Fût-ce à tout prix!
Quant à moi, vos aigreurs, vos fureurs, vos mêpris,
Qui ne sont, je le sais, qu’un dêpit êphêmère,
Et cet orgueil qui rend votre parole amère,
J’en veux faire litière à mon amour têtu,
Et je vous aimerai quand même, m’entends-tu?
MYRTIL
Vous êtes mutinêe…
ROSALINDE
Allons, laissez-vous faire!
MYRTIL, cêdant.
Donc, il le faut!
ROSALINDE
Venez cueillir la primevère
De l’amour renaissant timide après l’hiver.
Quittez ce front chagrin, souriez comme hier
A ma tendresse entière et grande, encor qu’ancienne!
MYRTIL
Ah! toujours tu m’auras menê, magicienne!
(Ils sortent. Rentrent Sylvandre et Chloris.)
SCÈNE IV
SYLVANDRE, CHLORIS
CHLORIS, courant.
Non!
SYLVANDRE
Si!
CHLORIS
Je ne veux pas…
SYLVANDRE, la baisant sur la nuque.
Dites: je ne veux plus!
(La tenant embrassêe.)
Mais voici, j’ai fixê vos voeux irrêsolus
Et le milan affreux tient la pauvre hirondelle.
CHLORIS
Fi! l’action vilaine! Au moins rougissez d’elle!
Mais non! Il rit, il rit!
(Pleurnichant pour rire.)
Ah, oh, hi, que c’est mal!
SYLVANDRE
Tarare! mais le seul êtat vraiment normal,
C’est le nôtre, c’est, fous l’un de l’autre, gais, libres,
Jeunes, et mêprisant tous autres êquilibres
Quelconques, qui ne sont que cloche-pieds piteux,
D’avoir deux coeurs pour un, et, chère âme, un pour deux!
CHLORIS
Que voilà donc, Monsieur l’amant, de beau langage!
Vous êtes procureur ou poète, je gage,
Pour ainsi discourir, sans rire, obscurêment.
SYLVANDRE
Vous vous moquez avec un babil très charmant,
Et me voici deux fois êpris de ma conquête:
Tant d'êclat en vos yeux jolis, et dans la tête
Tant d’esprit! Du plus fin encore, s’il vous plaît.
CHLORIS
Et si je vous trouvais par hasard bête et laid,
Fier conquêrant fictif, grand vainqueur en peinture?
SYLVANDRE
Alors, n’eussiez-vous pas arrêtê l’aventure
De tantôt, qui semblait exclure tout dêgoût
Conèu par vous, à mon dêtriment, après tout?
CHLORIS
O la fatuitê des hommes qu’on n'êvince
Pas sur-le-champ! Allez, allez, la preuve est mince
Que vous invoquez là d’un penchant prêsumê
De mon coeur pour le vôtre, aspirant bien-aimê.
--Au fait, chacun de nous vainement dêblatère
Et, tenez, je vais dire mon caractère,
Pour qu'êtant à la fin bien au courant de moi
Si vous souffrez, du moins vous connaissiez pourquoi,
Sachez donc…
SYLVANDRE
Que je meure ici, ma toute belle,
Si j’exige…
CHLORIS
--Sachez d’abord vous taire. —Or celle
Qui vous parle est coquette et folle. Oui, je le suis.
J’aime les jours lêgers et les frivoles nuits;
J’aime un ruban qui m’aille, un amant qui me plaise,
Pour les bien dêtester après tout à mon aise.
Vous, par exemple, vous, Monsieur, que je n’ai pas
Naguère tout à fait traitê de haut en bas,
Me dussiez-vous tenir pour la pire pêcore,
Eh bien, je ne sais pas si je vous souffre encore!
SYLVANDRE, souriant.
Dans le doute…
CHLORIS, coquette, s’enfuyant.
«Abstiens-toi», dit l’autre. Je m’abstiens.
SYLVANDRE, presque naïf.
Ah! c’en est trop, je souffre et je m’en vais pleurer.
CHLORIS, touchêe, mais gaie.
Viens,
Enfant, mais souviens-toi que je suis infidèle
Souvent, ou bien plutôt, capricieuse. Telle
Il faut me prendre. Et puis, voyez-vous, nous voici
Tous deux bien amoureux, --car je vous aime aussi, —
Là! voilà le gros mot lâchê! Mais…
SYLVANDRE
O cruelle
Rêticence!
CHLORIS
Attendez la fin, pauvre cervelle.
Mais, dirai-je, malgrê tous nos transports et tous
Nos serments mutuels, solennels, et jaloux
D'être êternels, un dieu malicieux prêside
Aux autels de Paphos--
(Sur un geste de dênêgation de Sylvandre.)
C’est un fait--et de Gnide.
Telle est la loi qu’Amour à nos coeurs rêvêla.
L’on n’a pas plutôt dit ceci qu’on fait cela.
Plus tard on se repend, c’est vrai, mais le parjure
A des ailes, et comme il perdrait sa gageure
Celui qui poursuivrait un mensonge envolê!
Qu’y faire? Promener son souci dêsolê,
Bras ballants, yeux rougis, la têle dêcoiffêe,
A travers monts et vaux, ainsi qu’une autre Orphêe,
Gonfler l’air de soupirs et l’Ocêan de pleurs
Par l’indiscrêtion de bavardes douleurs?
Non, cent fois non! Plutôt aimer à l’aventure
Et ne demander pas l’impossible à Nature!
Nous voici, venez-vous de dire, bien êpris
L’un et l’autre, soyons heureux, faisons mêpris
De tout ce qui n’est pas notre douce folie!
Deux coeurs pour un, un coeur pour deux… je m’y rallie,
Me voici vôtre, tienne!… Êtes-vous rassurê?
Tout à l’heure j’avais mille fois tort, c’est vrai,
D’ainsi bouder un coeur offert de bonne grâce,
Et c’est moi qui reviens à vous, de guerre lasse.
Donc aimons-nous. Prenez mon coeur avec ma main,
Mais, pour Dieu, n’allons pas songer au lendemain,
Et si ce lendemain doit ne pas être aimable,
Sachons que tout bonheur repose sur le sable,
Qu’en amour il n’est pas de malhonnêtes gens,
Et surtout soyons-nous l’un à l’autre indulgents.
Cela vous plaît?
SYLVANDRE
Cela me plairait si…
SCÈNE V
LES PRÉCÉDENTS, MYRTIL
MYRTIL, survenant.
Madame
A raison. Son discours serait l'êpithalame
Que j’eusse profêrê si…
CHLORIS
Cela fait deux «si»,
C’est un de trop.
MYRTIL, à Chloris.
Je pense absolument ainsi
Que vous.
CHLORIS, à Sylvandre.
Et vous, Monsieur?
SYLVANDRE
La vêritê m’oblige…
CHLORIS, au même.
Et quoi, monsieur, dêjà si tiède!
MYRTIL, à Chloris.
L’homme-lige
Qu’il vous faut, ô Chloris. c’est moi…
SCÈNE VI
LES PRÉCÉDENTS, ROSALINDE
ROSALINDE, survenant.
Salut! je suis
Alors, puisqu’il le faut dêcidêment, depuis
Tous ces êtonnements où notre coeur se joue,
A votre chariot la cinquième roue.
(A Myrtil.)
Je vous rends vos serments anciens et les nouveaux
Et les rêcents, les vrais aussi bien-que les faux.
MYRTIL, au bras de Chloris et protestant comme par manière d’acquit.
Chère!
ROSALINDE
Vous n’avez pas besoin de vous dêfendre,
Car me voici l’amie intime de Sylvandre.
SYLVANDRE, ravi, surpris et lêger.
O doux Charybde après un aimable Scylla!
Mais celle-ci va faire ainsi que celle-là
Sans doute, et toutes deux, adorables coquettes
Dont les caprices sont bel et bien des raquettes,
Joueront avec mon coeur, je le crains, au volant.
CHLORIS, à Sylvandre.
Fat!
ROSALINDE, au même.
Ingrat!
MYRTIL, au même.
Insolent!
SYLVANDRE, à Myrtil.
Quand à cet «insolent»,
Ami cher, mes griefs sont au moins rêciproques,
Et, s’il est vrai que nous te vexions, tu nous choques.
(A Rosalinde et à Chloris.)
Mesdames, je suis votre esclave à toutes deux,
Mais mon coeur qui se cabre aux chemins hasardeux
Est un mêchant cheval rêfractaire à la bride,
Qui devant tout pêril connu s’enfuit, rapide,
A tous crins, s’allât-il rompre le col plus loin.
(A Rosalinde.)
Or, donc, si vous avez, Rosalinde, besoin
Pour un voyage au bleu pays des fantaisies
D’un franc coursier, gourmand de provendes choisies
Et quelque peu fringant, mais jamais rebutê,
Chevauchez à loisir ma bonne volontê.
MYRTIL
La dêclaration est un tant soit peu roide,
Mais, bah! chat êchaudê craint l’eau, fût-elle froide,
(A Rosalinde)
N’est-ce pas, Rosalinde, et vous le savez bien,
Que ce chat-là surtout, c’est moi.
ROSALINDE
Je ne sais rien.
MYRTIL
Et puisqu’en ce conflit où chacun se rebiffe
Chloris aussi veut bien m’avoir pour hippogriffe
De ses rêves devers la lune ou bien ailleurs,
Me voici tout bridê, couvert d’ailleurs de fleurs
Charmantes aux odeurs puissantes et divines
Dont je sentirai tôt ou lard les êpines,
(A Chloris)
Madame, n’est-ce pas?
CHLORIS
Taisez-vous et m’aimez.
Adieu, Sylvandre!
ROSALINDE
Adieu, Myrtil!
MYRTIL, à Rosalinde.
Est-ce à jamais?
SYLVANDRE, à Chloris.
C’est pour toujours!
ROSALINDE
Adieu, Myrtil!
CHLORIS
Adieu, Sylvandre!
(Sortent Sylvandre et Rosalinde).
SCÈNE VII
MYRTIL, CHLORIS
CHLORIS
C’est donc que vous avez de l’amour à revendre
Pour, le joug d’une amante irritêe êcartê,
Vous tourner aussitôt vers ma faible beautê?
MYRTIL
Croyez-vous qu’elle soit à ce point offensêe?
CHLORIS
Qui? ma beautê?
MYRTIL
Non. L’autre…
CHLORIS
Ah! --J’avais la pensêe
Bien autre part, je vous l’avoue, et m’attendais
A quelque madrigal un peu compliquê, mais
Sans doute, vous voulez parler de Rosalinde
Et de courroux auquel son coeur crispê se guinde…
N’en doutez pas, elle est vexêe horriblement.
MYRTIL
En êtes-vous bien sûre?
CHLORIS
Ah! èa, pour un amant
Tout rêcemment êlu, sur sa chaude supplique
Encore! et clans un tel concours mêlancolique
Malgrê qu’un tant soit peu plaisant d'êvênements,
Ne pouvez-vous pas mieux employer les moments
Premiers de nos premiers amours, ô cher Thêsêe,
Qu'à vous prêoccuper d’Ariane laissêe?
--Mais taisons cela, quitte à plus lard en parler. —
Eh oui, là je vous jure, à ne vous rien cêler,
Que Rosalinde êprise encor d’un infidèle,
Trêpigne, peste, enrage, et sa rancoeur est telle
Qu’elle m’en a pris mon Sylvandre de dêpit.
MYRTIL
Et vous regrettez fort Sylvandre?
CHLORIS
Mal lui prit,
Que je crois, de tomber sur votre ancienne amie?
MYRTIL
Et pourquoi?
CHLORIS
Faux naïf! je ne le dirai mie,
MYRTIL
Mais regrettez-vous fort Sylvandre?
CHLORIS
M’aimez-vous,
Vous?
MYRTIL
Vos yeux sont si beaux, votre…
CHLORIS
Êtes-vous jaloux
De Sylvandre?
MYRTIL, très vivement.
O oui!
(Se reprenant.)
Mais au passê, chère belle.
CHLORIS
Allons, un tel aveu, bien que tardif, s’appelle
Une galanterie, et je l’admets ainsi
Donc vous m’aimez?
MYRTIL, distrait, après un silence.
O oui!
CHLORIS.
Quel amoureux transi
Vous seriez si d’ailleurs vous l'êtiez de moi!
MYRTIL, même jeu que prêcêdemment.
Douce
Amie!
CHLORIS
Ah! que c’est froid! «Douce amie!» Il vous trousse
Un compliment banal et prend un air vainqueur!
J’aurai longtemps vos «oui» de tantôt sur le coeur.
MYRTIL, indolemment.
Permettez…
CHLORIS
Mais voici Rosalinde et Sylvandre.
MYRTIL, comme rêveillê en sursaut.
Rosalinde!
CHLORIS
Et Sylvandre. Et quel besoin de fendre
Ainsi l’air de vos bras en faèon de moulin?
Ils dêbusquent. Tournons vite le terre-plein
Et vidons, s’il vous plaît, ailleurs celle querelle.
(Ils sortent.)
SCÈNE VIII
SYLVANDRE, ROSALINDE
SYLVANDRE
Et voilà mon histoire en deux mots.
ROSALINDE
Elle est telle
Que j’y lis à l’envers l’histoire de Myrtil.
Par un pressentiment inquiet et subtil
Vous redoutez l’amour qui venait et sa lèvre
Aux baisers inconnus encore, et lui qu’enfièvre
Le souvenir d’un vieil amour dêsenlacê,
Stupide autant qu’ingrat, il a peur du passê,
Et tous deux avez tort, allez Sylvandre.
SYLVANDRE
Dites
Qu’il a tort…
ROSALINDE
Non, tous deux, et vous n'êtes pas quittes,
Et tous deux souffrirez, et ce sera bien fait.
SYLVANDRE
Après tout je ne vois que très mal mon forfait,
Et j’ignore très bien quel sera mon martyre.
(Minaudant.)
A moins que votre coeur…
ROSALINDE
Vous avez tort de rire.
SYLVANDRE
Je ne ris pas, je dis posêment d’une part
Que je ne crois point tant criminel mon dêpart
D’avec Chloris, coquette aimable mais sujette
A caution, et puis, d’autre part, je projette
D'être heureux avec vous qui m’avez bien voulu
Recueillir quand brisê, dêsemparê, moulu,
Bernê par ma maîtresse et plantê là par elle
J’allais probablement me brûler la cervelle
Si j’avais eu quelque arme à feu sous mes dix doigts.
Oui je vais vous aimer, je le veux (je le dois
En outre), je vais vous aimer à la folie…
Donc, arrière regrets, dêpit, mêlancolie!
Je serai votre chien fêal, ton petit loup
Bien doux…
ROSALINDE
Vous avez tort de rire, encore un coup.
SYLVANDRE
Encore un coup, je ne ris pas. Je vous adore,
J’idolâtre ta voix si tendrement sonore;
J’aime vos pieds, petits à tenir dans la main,
Qui font un bruit mignard et gai sur le chemin
Et luisent, rêves blancs, sous les pompons des mules.
Quand les grands yeux, de qui les astres sont êmules,
Abaissent jusqu'à nous leurs aimables rayons,
Comparable à ces fleurs d'êtê que nous voyons
Tourner vers le soleil leur fidèle corolle,
Lors je tombe en extase et reste sans parole,
Sans vie et sans pensêe, êperdu, fou, hagard,
Devant l'êclat charmant et fier de ton regard.
Je frêmis à ton souffle exquis comme au veut l’herbe,
O ma charmante, ô ma divine, ô ma superbe,
Et mon âme palpite au bout de tes cils d’or…
--A propos, croyez-vous que Chloris m’aime encor?
ROSALINDE
Et si je le pensais?
SYLVANDRE
Question saugrenue
En effet!
ROSALINDE
Voulez-vous la vêritê bien nue?
SYLVANDRE
Non! Que me fait? Je suis un sot, et me voici
Confus, et je vous aime uniquement.
ROSALINDE
Ainsi,
Cela vous est êgal qu’il soit patent, palpable,
Évident que Chloris vous adore…
SYLVANDRE
Du diable
Si c’est possible! Elle! Elle! Allons donc!
(Soucieux, tout à coup, à part.)
Hêlas!
ROSALINDE
Quoi,
Vous en doutez?
SYLVANDRE
Ce coeur volage suit sa loi,
Elle leurre à prêsent, Myrtil…
ROSALINDE, passionnêment.
Elle le leurre.
Dites-vous? Mais alors il l’aime!…
SYLVANDRE
Que je meure
Si je comprends ce cri jaloux!
ROSALINDE
Ah! taisez-vous!
SYLVANDRE
Un trompeur! une folle!
ROSALINDE
Es-tu donc pas jaloux
De Myrtil, toi, hein, dis?
SYLVANDRE, comme frappê subitement d’une idêe douloureuse.
Tiens! la fâcheuse idêe
Mais c’est qu’oui! me voici l'âme tout obsêdêe…
ROSALINDE, presque joyeuse
Ah! vous êtes jaloux aussi, je savais bien!
SYLVANDRE, à part.
Feignons encor.
(A Rosalinde.)
Je vous jure qu’il n’en est rien
Et si vraiment je suis jaloux de quelque chose,
Le seul Myrtil du temps jadis en est la cause.
ROSALINDE
Trêve de compliments fastidieux. Je suis
Très triste, et vous aussi. Le but que je poursuis
Est le vôtre. Causons de nos deuils identiques.
Des malheureux ce sont, il paraît, les pratiques,
Cela, dit-on, console. Or nous aimons toujours
Vous Chloris, moi Myrtil, sans espoir de retours
Apparents. Entre nous la seule diffêrence
C’est que l’on m’a trahie, et que votre souffrance
A vous vient de vous-même et n’est qu’un châtiment.
Ai-je tort?
SYLVANDRE
Vous lisez dans mon coeur couramment,
Chère Chloris, je t’ai mêchamment mêconnue!
Qui me rendra jamais la malice ingênue,
Et la gaîtê si bonne, et ta grâce, et ton coeur?
ROSALINDE
Et moi, par un destin bien autrement moqueur,
Je pleure après Myrtil infidèle…
SYLVANDRE
Infidèle!
Mais c’est qu’alors Chloris l’aimerait. O mort d elle!
J’enrage et je gêmis! Mais ne disiez-vous pas
Tantôt qu’elle m’aimait encore. —O cieux, là-bas,
Regardez, les voilà!
ROSALINDE
Qu’est-ce qu’ils vont se dire?
(Ils remontent le thêâtre.)
SCÈNE IX
LES PRÉCÉDENTS, CHLORIS, MYRTIL
CHLORIS
Allons, encore un peu de franchise, beau sire
Tênêbreux. Avouez votre cas tout à fait.
Le silence, n’est-il pas vrai? vous êtouffait,
Et l’obligation banale où vous vous crûtes
D’imiter à tout bout de champ la voix des flûtes
Pour quelque madrigal bien fade à mon endroit
Vous êtouffait, ainsi qu’un pourpoint trop êtroit?
Votre coeur qui battait pour elle dut me taire
Par politesse et par prudence son mystère;
Mais à prêsent que j’ai presque tout devinê,
Pourquoi continuer ce mutisme obstinê?
Parlez d’elle, cela d’abord sera sincère.
Puis vous souffrirez moins, et, s’il est nêcessaire
De vous intêresser aux souffrances d’autrui,
J’ai besoin en retour de vous parler de lui.
MYRTIL
Et quoi, vous aussi, vous?
CHLORIS
Moi-même, hêlas! moi-même,
Puis-je encore espêrer que mon bien-aimê m’aime?
Nous êtions tous les deux, Sylvandre, si bien faits
L’un pour l’autre! Quel sort jaloux, quel dieu mauvais
Fit ce malentendu cruel qui nous sêpare?
Hêlas! il fut frivole encor plus que barbare,
Et son esprit surtout fit que son coeur pêcha.
MYRTIL
Espêrez, car peut-être il se repent dêjà,
Si j’en juge d’après mes remords…
(Il sanglote.)
Et mes larmes.
(Sylvandre et Rosine se pressent la main.)
ROSALINDE, survenant.
Les pleurs dêlicieux! Cher instant plein de charmes!
MYRTIL
C’est affreux!
CHLORIS
O douleur!
ROSALINDE, sur la pointe du pied et très bas.
Chloris!
CHLORIS
Vous êtiez là?
ROSALINDE
Le sort capricieux qui nous dêsassembla
A remis, faisant trêve à son ire inhumaine,
Sylvandre en bonnes mains, et je vous le ramène
Jurant son grand serment qu’on ne l’y prendrait plus.
Est-il trop tard?
SYLVANDRE, à Chloris.
O point de refus absolus!
De grâce ayez pitiê quelque peu. La vengeance
Suprême, c’est d’avoir un aspect d’indulgence,
Punissez-moi sans trop de justice et daignez
Ne me point accabler de traits plus indignês
Que n’en mêritent, --non mes crimes, --mais ma tête
Folle, mais mon coeur faible et lâche…
(Il tombe à genoux.).
CHLORIS
Êtes-vous bête?
Relevez-vous, je suis trop heureuse à prêsent
Pour vous dire quoi que ce soit de dêplaisant,
Et je jette à ton cou mes bras de lierre.
Nous nous expliquerons plus tard (Et ma première
Querelle et mon premier reproche seront pour
L’air de doute dont tu reèus mon pauvre amour
Qui, s’il a quelques tours êtourdis et frivoles,
N’en est pas moins, par ses apparences folles,
Quelque chose de tout dêvouê pour toujours).
Donc, chassons ce nuage, et reprenons le cours
De la charmante ivresse où s’exalta notre âme.
(A Rosalinde.)
Et quant à vous, soyez sûre, bonne Madame,
De notre amitiê franche, et baisez votre soeur.
(Les deux femmes s’embrassent.)
SYLVANDRE
O si joyeuse avec toute douceur!
ROSALINDE, à Myrtil.
Que diriez-vous, Myrtil, si je faisais comme elle?
MYRTIL
Dieu! elle a pardonnê, clêmente autant que belle.
(A Rosalinde.)
O laissez-moi baiser vos mains pieusement!
ROSALINDE
Voilà qui finit bien et c’est un cher moment
Que celui-ci. Sans plus parler de ces tristesses,
Soyons heureux.
(A Chloris et à Sylvandre.)
Sachez enlacer vos jeunesses.
Doux amis, et joyeux que vous êtes, cueillez
La fleur rouge de vos baisers ensoleillês.
(Se tournant vers Myrtil.)
Pour nous, amants anciens sur qui gronde la vie,
Nous vous admirerons sans vous porter envie,
Ayant, nous, nos bonheurs discrets d’après-midi,
(Tous les personnages de la scène 1ère reviennent
se grouper comme au lever du rideau)
Et voyez, aux rayons du soleil attiêdi,
Voici tous nos amis qui reviennent des danses
Comme pour recevoir nos belles confidences.
SCÈNE X
Tous, groupês comme ci-dessus.
MEZZETIN, chantant.
Va! sans nul autre souci
Que de conserver ta joie!
Fripe les jupes de soie
Et goûte les vers aussi.
La morale la meilleure,
En ce monde où les plus fous
Sont les plus sages de tous,
C’est encor d’oublier l’heure.
Il s’agit de n'être point
Mêlancolique et morose.
La vie est-elle une chose
Grave et ruelle à ce point?
(La toile tombe.)
VERS JEUNES
LE SOLDAT LABOUREUR
A Edmond Lepelletier.
Or ce vieillard êtait horrible: un de ses yeux,
Crevê, saignait, tandis que l’autre, chassieux,
Brutalement luisait sous son sourcil en brosse;
Les cheveux se dressaient d’une faèon fêroce,
Blancs, et paraissaient moins des cheveux que des crins;
Le vieux torse solide encore sur les reins,
Comme au ressouvenir des balles affrontêes,
Cambrê, contrariait les êpaules voûtêes;
La main gauche avait l’air de chercher le pommeau
D’un sabre habituel et dont le long fourreau
Semblait, s’embarrassant avec la sabretache,
Gêner la marche et vers la tombante moustache
La main droite parfois montait, la rebroussant.
Il êtait grand et maigre et jurait en toussant.
Fils d’un garèon de ferme et d’une lavandière,
Le service à seize ans le prit. Il fit entière
La campagne d'Égypte. Austerlitz, Iêna,
Le virent. En Espagne un moine l'êborgna:
—Il tua le bon père et lui vola sa bourse, —
Par trois fois traversa la Prusse au pas de course,
En Hesse eut une entaille êpouvantable au cou,
Passa brigadier lors de l’entrêe à Moscou,
Obtint la croix et fut de toutes les dêfaites
D’Allemagne et de France, et gagna dans ces fêtes
Trois blessures, plus un brevet de lieutenant
Qu’il rêsigna bientôt, les Bourbons revenant,
A Mont-Saint-Jean, bravant la mort qui l’environne.
Dit un mot analogue à celui de Cambronne;
Puis, quand pour un second exil et le tombeau,
La Redingote grise et le petit Chapeau
Quittèrent à jamais leur France tant aimêe
Et que l’on eut, hêlas! dissout la grande armêe,
Il revint au village, êtonnê du clocher.
Presque forcê pendant un an de se cacher,
Il braconna pour vivre, et quand des temps moins rudes
L’eurent, sans le rêduire à trop de platitudes,
Mis à même d'êcrire en hauts lieux à l’effet
D’obtenir un secours d’argent qui lui fut fait,
Logea moyennant deux cents francs par an chez une
Parente qu’il avait, dont toute la fortune
Consistait en un champ cultivê par ses fieux,
L’un mariê depuis longtemps et l’autre vieux
Garèon encore, et là notre foudre de guerre
Vivait, et bien qu’il fût tout le jour sans rien faire
Et qu’il eût la charrue et la terre en horreur,
C'êtait ce qu’on appelle un soldat laboureur.
Toujours levê des l’aube et la pipe à la bouche
Il allait et venait, engloutissait, farouche,
Des verres d’eau-de-vie et parfois s’enivrait,
Les dimanches tirait à l’arc au cabaret,
Après dîner faisait un quart d’heure sans faute
Sauter sur ses genoux les garèons de son hôte
Ou bien leur apprenait l’exercice et comment
Un bon soldat ne doit songer qu’au fourniment.
Le soir il voisinait, tantôt pinèant les filles,
Habitude un peu trop commune aux vieux sondrilles,
Tantôt, geste ample et voix forte qui dominait
Le grillon incessant derrière le chenêt,
Assis auprès d’un feu de sarments qu’on entoure
Confusêment disait l’Elster, l’Estramadoure,
Smolensk, Dresde, Lutzen et les ravins vosgeois
Devant quatre ou cinq gars attentifs et narquois
S’exclamant et riant très fort aux endroits farces.
Canonnade compacte et fusillade êparse,
Chevaux êventrês, coups de sabre, prisonniers
Mis à mal entre deux batailles, les derniers
Moments d’un officier ajustê par derrière,
Qui se souvient et qu’on insulte, la barrière
Clichy, les alliês jetês au fond des puits,
La fuite sur la Loire et la maraude, et puis
Les femmes que l’on force après les villes prises,
Sans choix souvent, si bien qu’on a des mèches grises
Aux mains et des dêgoûts au coeur après l'êbat
Quand passe le marchef ou que le rappel bat,
Puis encore, les camps levês et les dêroutes.
Toutes ces gaîtês, tous ces faits d’armes et toutes
Ces gloires dêfilaient en de longs entretiens,
Entremêlês de gros jurons très peu chrêtiens
Et de grands coups de poing sur les cuisses voisines.
Les femmes cependant, soeurs, mères et cousines,
Pleuraient et frêmissaient un peu, conformêment
A l’usage, tout en se disant: «Le vieux ment.»
Et les hommes fumaient et crachaient dans la cendre.
Et lui qui quelquefois voulait bien condescendre
A parler discipline avec ces bons lourdauds
Se levait, à grands pas marchait, les mains au dos,
Et racontait alors quelque fait politique
Dont il se proclamait le têmoin authentique,
La distribution des Aigles, les Adieux,
Le Sacre et ce Dix-huit Brumaire radieux,
Beau jour où le soldat qu’un bavard importune
Brisa du même coup orateurs et tribune,
Où le dieu Mars mis par la Chambre hors la Loi
Mit la Loi hors la Chambre et, sans dire pourquoi,
Balaya du pouvoir tous ces ergoteurs glabres,
Tous ces lêgislateurs qui n’avaient pas de sabres!
Tel parlait et faisait le grognard prêcitê
Qui mourut centenaire à peu près l’autre êtê.
Le maire conduisit le deuil au cimetière.
Un feu de peloton fut tirê sur la bière
Par le garde champêtre et quatorze pompiers,
Dont sept revinrent plus ou moins estropiês
A cause des mauvais fusils de la campagne.
Un tertre qu’une pierre assez grande accompagne
Et qu’orne un saule en pleurs est l’humble monument
Où notre hêros dort perpêtuellement.
De plus, suivant le voeu dernier du camarade,
On grava sur la pierre, après ses noms et grade,
Ces mots que tout Franèais doit lire en tressaillant:
«Amour à la plus belle et gloire au plus vaillant.»
LES LOUPS
Parmi l’obscur champ de bataille
Rôdant sans bruit sous le ciel noir,
Les loups obliques font ripaille
Et c’est plaisir que de les voir,
Agiles, les yeux verts, aux pattes
Souples sur les cadavres mous,
--Gueules vastes et têtes plates--
Joyeux, hêrisser leurs poils roux.
Un rauquement rien moins que tendre
Accompagne les dents mâchant,
Et c’est plaisir que de l’entendre,
Cet hosannah vil et mêchant:
--"Chair entaillêe et sang qui coule,
Les hêros ont du bon vraiment.
La faim repue et la soif soûle
Leur doivent bien ce compliment.
"Mais aussi, soit dit sans reproche,
Combien de peines et de pas
Nous a coûtês leur seule approche,.
On ne l’imaginerait pas.
"Dès que, sans pitiê ni relâches,
Sonnèrent leurs pas fanfarons,
Nos coeurs de fauves et de lâches,
A la fois gourmands et poltrons,
"Pressentant la guerre et la proie
Pour maintes nuits et pour maints jours
Battirent de crainte et de joie
A l’unisson de leurs tambours.
"Quand ils apparurent ensuite
Tout êtincelants de mêlai,
Oh! quelle peur et quelle fuite
Vers la femelle, au bois natal!
"Ils allaient fiers, les jeunes hommes,
Calmes sous leur drapeau flottant,
Et plus forts que nous ne le sommes
Ils avaient l’air très doux pourtant.
"Le fer terrible de leurs glaives
Luisait moins encor que leurs yeux,
Où la candeur d’augustes rêves
Éclatait en regards joyeux.
"Leurs cheveux que le vent fouette
Sous leurs casques battaient, pareils
Aux ailes de quelque mouette,
Pales avec des tons vermeils.
"Ils chantaient des choses hautaines!
Ça parlait de libres combats,
D’amour, de brisements de chaînes
Et de mauvais dieux mis à bas. —
"Ils passèrent. Quand leur cohorte
Ne fut plus là-bas qu’un point bleu,
Nous nous arrangeâmes en sorte
De les suivre en nous risquant peu.
"Longtemps, longtemps rasant la terre,
Discrets, loin derrière eux, tandis
Qu’ils allaient au pas militaire,
Nous marchâmes par rang de dix.
"Passant les fleuves à la nage
Quand ils avaient rompu les ponts,
Quelques herbes pour tout carnage,
N’avanèant que par faibles bonds,
"Perdant à tout moment haleine…
Enfin une nuit ces dêmons
Campèrent au fond d’une plaine
Entre des forêts et des monts,
"Là nous les guettâmes à l’aise,
Car ils dormaient pour la plupart.
Nos yeux pareils à de la braise
Brillaient autour de leur rempart,
"Et le bruit sec de nos dents blanches
Qu’attendaient des festins si beaux
Faisait cliqueter dans les branches
Le bec avide des corbeaux.
"L’aurore êclate. Une fanfare
Épouvantable met sur pied
La troupe entière qui s’effare.
Chacun s'êquipe comme il sied.
"Derrière les hautes futaies
Nous nous sommes dissimulês
Tandis que les prochaines haies
Cachent les corbeaux affolês.
"Le soleil qui monte commence
A brûler. La terre a frêmi.
Soudain une clameur immense
A retenti. C’est l’ennemi!
"C’est lui, c’est lui! Le sol rêsonne
Sous les pas durs des conquêrants.
Les polêmarques en personne
Vont et viennent le long des rangs.
"Et les lances et les êpêes
Parmi les plis des êtendards
Flambent entre les êchappêes
De lumières et de brouillards.
"Sur ce, dans ses courroux êpiques.
La jeune bande s’avanèa,
Gaie et sereine sous les piques,
Et la bataille commenèa.
"Ah! ce fut une chaude affaire:
Cris confus, choc d’armes, le tout
Pendant une journêe entière,
Sous l’ardeur rouge d’un ciel d’août.
"Le soir. —Silence et calme. A peine
Un vague moribond tardif
Crachant sa douleur et sa haine
Dans un hoquet dêfinitif;
"A peine, au lointain gris, le triste
Appel d’un clairon êgarê.
Le couchant d’or et d’amêthyste
S'êteint et brunit par degrê.
"La nuit tombe. Voici la lune!
Elle cache et montre à moitiê
Sa face hypocrite comme une
Complice feignant la pitiê.
"Nous autres qu’un tel souci laisse
Et laissera toujours très cois,
Nous n’avons pas cette faiblesse,
Car la faim nous chasse du bois,
"Et nous avons de quoi repaître
Cet impêrial appêtit,
Le champ de bataille sans maître
N'êtant ni vide ni petit.
«Or, sans plus perdre en phrases vaines
Dont quelque sot serait jaloux
Cette faèon de grasses aubaines,
Buvons et mangeons, nous, les Loups!»
LA PUCELLE
A Robert Caze.
Quand dêjà pêtillait et flambait le bûcher,
Jeanne qu’assourdissait le chant brutal des prêtres,
Sous tous ces yeux dardês de toutes ces fenêtres
Sentit frêmir sa chair et son âme broncher.
Et semblable aux agneaux que revend au boucher
Le pâtour qui s’en va sifflant des airs champêtres,
Elle considêra les choses et les êtres
Et trouva son seigneur bien ingrat et lêger.
«C’est mal, gentil Bâtard, doux Charles, bon Xaintrailles,
De laisser les Anglais faire ces funêrailles
A qui leur fit lever le siège d’Orlêans.»
Et la Lorraine, au seul penser de cette injure,
Tandis que l'êtreignait la mort des mêcrêants,
Las! pleura comme eût fait une autre crêature.
L’ANGELUS DU MATIN
A Lêon Vanier.
Fauve avec des tons d'êcarlate,
Une aurore de fin d'êtê
Tempêtueusement êclate
A l’horizon ensanglantê.
La nuit rêveuse, bleue et bonne,
Pâlit, scintille et fond en l’air,
Et l’ouest dans l’ombre qui frissonne
Se teinte au bord de rose clair.
La plaine brille au loin et fume.
Un oblique rayon venu
Du soleil surgissant allume
Le fleuve comme un sabre nu.
Le bruit des choses rêveillêes
Se marie aux brouillards lêgers
Que les herbes et les feuillêes
Ont subitement dêgagês.
L’aspect vague du paysage
S’accentue et change à foison.
La silhouette d’un village
Paraît. —Parfois une maison
Illumine sa vitre et lance
Un grand êclair qui va chercher
L’ombre du bois plein de silence.
Ça et là se dresse un clocher.
Cependant, la lumière accrue
Frappe dans les sillons les socs
Et voici que claire, bourrue,
Despotique, la voix des coqs
Proclamant l’heure froide et grise
Du pain mangê sans faim, des yeux
Frottês que flagelle la bise
Et du grincement des moyeux,
Fait sortir des toits la fumêe,
Aboyer les chiens en fureur,
Et par la pente accoutumêe
Descendre le lourd laboureur,
Tandis qu’un choeur de cloches dures,
Dans le grandissement du jour,
Monte, aubade franche d’injures,
A l’adresse du Dieu d’amour!
LA SOUPE DU SOIR
A J.-K. Huysmans.
Il fait nuit dans la chambre êtroite et froide où l’homme
Vient de rentrer, couvert de neige, en blouse, et comme
Depuis trois jours il n’a pas prononcê deux mots,
La femme a peur et fait des signes aux marmots.
Un seul lit, un bahut disloquê, quatre chaises,
Des rideaux jadis blancs conchiês des punaises,
Une table qui va s'êcroulant d’un côtê, —
Le tout navrant avec un air de saletê.
L’homme, grand front, grands yeux pleins d’une sombre flamme,
A vraiment des lueurs d’intelligence et d'âme,
Et c’est ce qu’on appelle un solide garèon.
La femme, jeune encore, est belle à sa faèon.
Mais la Misère a mis sur eux sa main funeste,
Et perdant par degrês rapides ce qui reste
En eux de tristement vênêrable et d’humain,
Ce seront la femelle et le mâle, demain.
Tous se sont attablês pour manger de la soupe
Et du boeuf, et ce tas sordide forme un groupe
Dont l’ombre à l’infini s’allonge tout autour
De la chambre, la lampe êtant sans abat-jour.
Les enfants sont petits et pâles, mais robustes
En dêpit des maigreurs saillantes de leurs bustes,
Qui disent les hivers passês sans feu souvent
Et les êtês subits dans un air êtouffant.
Non loin d’un vieux fusil rouillê qu’un clou supporte
Et que la lampe fait luire d'êtrange sorte,
Quelqu’un qui chercherait longtemps dans ce retrait
Avec l’oeil d’un agent de police verrait
Empilês dans le fond de la boiteuse armoire
Quelques livres poudreux de «science» et «d’histoire»,
Et, sous le matelas, cachês avec grand soin,
Des romans capiteux cornês à chaque coin.
Ils mangent cependant. L’homme, morne et farouche,
Porte la nourriture êcoeurante à sa bouche
D’un air qui n’est rien moins nonobstant que soumis,
Et son euslache semble à d’autres soins promis.
La femme pense à quelque ancienne compagne,
Laquelle a tout, voiture et maison de campagne,
Tandis que les enfants, leurs poings dans leurs yeux clos,
Ronflant sur leur assiette, imitent des sanglots.
LES VAINCUS
A Louis-Xavier de Ricard.
I
La Vie est triomphante et l’Idêal est mort,
Et voilà que, criant sa joie au vent qui passe,
Le cheval enivrê du vainqueur broie et mord
Nos frères, qui du moins tombèrent avec grâce,
Et nous que la dêroute a fait survivre, hêlas!
Les pieds meurtris, les yeux troublês, la tête lourde,
Saignants, veules, fangeux, dêshonorês et las,
Nous allons, êtouffant mal une plainte sourde,
Nous allons, au hasard du soir et du chemin,
Comme les meurtriers et comme les infâmes,
Veufs, orphelins, sans toit, ni fils, ni lendemain,
Aux lueurs des forêts familières en flammes!
Ah! puisque notre sort est bien complet, qu’enfin
L’espoir est aboli, la dêfaite certaine,
Et que l’effort le plus ênorme serait vain,
Et puisque c’en est fait, de notre haine,
Nous n’avons plus, à l’heure où tombera la nuit,
Abjurant tout risible espoir de funêrailles,
Qu'à nous laisser mourir obscurêment, sans bruit,
Comme il sied aux vaincus des suprêmes batailles.
II
Une faible lueur palpite à l’horizon
Et le vent glacial qui s'êlève redresse
Le feuillage des bois elles fleurs du gazon;
C’est l’aube! tout renaît sous sa froide caresse.
De fauve l’Orient devient rose, et l’argent
Des astres va bleuir dans l’azur qui se dore;
Le coq chante, veilleur exact et diligent;
L’alouette a volê stridente: c’est l’aurore!
Éclatant, le soleil surgit: c’est le matin!
Amis, c’est le matin splendide dont la joie
Heurte ainsi notre lourd sommeil, et le festin
Horrible des oiseaux et des bêtes de proie.
O prodige! en nos coeurs le frisson radieux
Met à travers l'êclat subit de nos cuirasses,
Avec un violent dêsir de mourir mieux,
La colère et l’orgueil anciens des bonnes races.
Allons, debout! allons, allons! debout, debout!
Assez comme cela de hontes et de trêves!
Au combat, au combat! car notre sang qui bout
A besoin de fumer sur la pointe des glaives!
III
Les vaincus se sont dit dans la nuit de leurs geôles:
Ils nous ont enchaînês, mais nous vivons encor.
Tandis que les carcans font ployer nos êpaules,
Dans nos veines le sang circule, bon trêsor.
Dans nos têtes nos yeux rapides avec ordre
Veillent, fins espions, et derrière nos fronts
Notre cervelle pense, et s’il faut tordre ou mordre,
Nos mâchoires seront dures et nos bras prompts.
Lêgers, ils n’ont pas vu d’abord la faute immense
Qu’ils faisaient, et ces fous qui s’en repentiront
Nous ont jetê le lâche affront de la clêmence.
Bon! la clêmence nous vengera de l’affront.
Ils nous ont enchaînês! Mais les chaînes sont faites
Pour tomber sous la lime obscure et pour frapper
Les gardes qu’on dêsarme, et les vainqueurs en fêtes
Laissent aux êvadês le temps de s'êchapper.
Et de nouveau bataille! Et victoire peut-être,
Mais bataille terrible et triomphe inclêment,
Et comme cette fois le Droit sera le maître,
Cette fois-là sera la dernière, vraiment!
IV
Car les morts, en dêpit des vieux rêves mystiques,
Sont bien morts, quand le fer a bien fait son devoir,
Et les temps ne sont plus des fantômes êpiques
Chevauchant des chevaux spectres sous le ciel noir,
La jument de Roland et Roland sont des mythes
Dont le sens nous êchappe et rêclame un effort
Qui perdrait notre temps, et si vous vous promîtes
D'être êpargnês par nous vous vous trompâtes fort.
Vous mourrez de nos mains, sachez-le, si la chance
Est pour nous. Vous mourrez, suppliants, de nos mains.
La justice le veut d’abord, puis la vengeance,
Puis le besoin pressant d’importuns lendemains.
Et la terre, depuis longtemps aride et maigre,
Pendant longtemps boira joyeuse votre sang
Dont la lourde vapeur savoureusement aigre
Montera vers la nue et rougira son flanc,
Et les chiens et les loups et les oiseaux de proie
Feront vos membres nets et fouilleront vos troncs,
Et nous rirons, sans rien qui trouble notre joie,
Car les morts sont bien morts et nous vous l’apprendrons.
A LA MANIÈRE DE PLUSIEURS
LA PRINCESSE BÉRÉNICE
A Jacques Madeleine.
Sa tête fine dans sa main toute petite,
Elle êcoute le chant des cascades lointaines,
Et dans la plainte langoureuse des fontaines,
Perèoit comme un êcho bêni du nom de Tite.
Elle a fermê ses yeux divins de clêmatite
Pour bien leur peindre, au coeur des batailles hautaines,
Son doux hêros, le mieux aimant des capitaines,
Et, Juive, elle se sent au pouvoir d’Aphrodite.
Alors un grand souci la prend d'être amoureuse.
Car dans Rome une loi bannit, barbare, affreuse,
Du trône impêrial toute femme êtrangère.
Et sous le noir chagrin dont sanglote son âme,
Entre les bras de sa servante la plus chère,
La reine, hêlas! dêfaille et tendrement se pâme.
II
LANGUEUR
A Georges Courteline.
Je suis l’Empire à la fin de la dêcadence,
Qui regarde passer les grands Barbares blancs
En composant des acrostiches indolents
D’un style d’or où la langueur du soleil danse.
L'âme seulette a mal au coeur d’un ennui dense.
Là-bas on dit qu’il est de longs combats sanglants.
O n’y pouvoir, êtant si faible aux voeux si lents,
O n’y vouloir fleurir un peu de cette existence!
O n’y vouloir, ô n’y pouvoir mourir un peu!
Ah! tout est bu! Bathylle, as-tu fini de rire?
Ah! tout est bu, tout est mangê! Plus rien à dire!
Seul, un poème un peu niais qu’on jette au feu,
Seul, un esclave un peu coureur qui vous nêglige,
Seul, un ennui d’on ne sait quoi qui vous afflige!
III
PANTOUM NÉGLIGÉ
Trois petits pâtês, ma chemise brûle.
Monsieur le curê n’aime pas les os.
Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,
Que n'êmigrons-nous vers les Palaiseaux.
Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,
On dirait d’un cher glaïeul sur les eaux
Vivent le muguet et la campanule!
Dodo, l’enfant do, chantez, doux fuseaux.
Que n'êmigrons-nous vers les Palaiseaux.
Trois petits pâtês, un point et virgule;
On dirait d’un cher glaïeul sur les eaux;
Vivent le muguet et la campanule.
Trois petits pâtês, un point et virgule;
Dodo, l’enfant do, chantez, doux fuseaux.
La libellule erre parmi des roseaux.
Monsieur le Curê, ma chemise brûle.
IV
PAYSAGE
Vers Saint-Denis c’est bête et sale la campagne.
C’est pourtant là qu’un jour j’emmenai ma compagne.
Nous êtions de mauvaise humeur et querellions.
Un plat soleil d'êtê tartinait ses rayons
Sur la plaine sêchêe ainsi qu’une rôtie.
C'êtait pas trop après le Siège: une partie
Des «maisons de campagne» êtait à terre encor,
D’autre se relevaient comme on hisse un dêcor,
Et des obus tout neufs encastrês aux pilastres
Portaient êcrit autour: SOUVENIR DES DÉSASTRES.
V
CONSEIL FALOT
A Raoul Ponchon.
Brûle aux yeux des femmes
Et garde ton coeur,
Mais crains la langueur
Des êpithalames.
Bois pour oublier!
L’eau-de-vie est une
Qui porte la lune
Dans son tablier.
L’injure des hommes,
Qu’est-ce que èa fait?
Va, notre coeur sait
Seul ce que nous sommes.
Ce que nous valons
Notre sang le chante!
L'êpine mêchante
Te mord aux talons?
Le vent taquin ose
Te gifler souvent?
Chante dans le vent
Et cueille la rose!
Va, tout est au mieux
Dans ce monde!
Surtout laisse dire,
Surtout sois joyeux
D'être une victime
A ces pauvres gens:
Les dieux indulgents
Ont aimê ton crime!
Tu refleuriras
Dans un êlysêe.
Ame mêprisêe,
Tu rayonneras!
Tu n’es pas de celles
Qu’un coup du Destin
Dissipe soudain
En mille êtincelles.
Mêtal dur et clair,
Chaque coup t’affine
En arme divine
Pour un destin fier.
Arrière la forge!
Et tu vas frêmir
Vibrer et jouir
Au poing de saint George
Et de saint Michel,
Dans des gloires calmes,
Au vent pur des palmes
Sur l’aile du ciel!…
C’est d'être un sourire
Au milieu des pleurs,
C’est d'être des fleurs,
Au champ du martyre,
C’est d'être le feu
Qui dort dans la pierre,
C’est d'être en prière,
C’est d’attendre un peu!
VI
LE POÈTE ET LA MUSE
La chambre, as-tu gardê leurs spectres ridicules,
O pleine de jour sale et de bruits d’araignêes?
La chambre, as-tu gardê leurs formes dêsignêes
Par ces crasses au mur et par quelles virgules?
Ah fi! Pourtant, chambre en garni qui te recules
En ce sec jeu d’optique aux mines renfrognêes
Du souvenir de trop de choses destinêes,
Comme ils ont donc regret aux nuits, aux nuits d’Hercules?
Qu’on l’entende comme on voudra, ce n’est pas èa:
Vous ne comprenez rien aux choses, bonnes gens.
Je vous dis que ce n’est pas ce que l’on pensa.
Seule, ô chambre qui fuis en cônes affligeants,
Seule, tu sais! mais sans doute combien de nuits
De noce auront dêvirginê leurs nuits depuis!
VII
L’AUBE A L’ENVERS
A Louis Dumoulin.
Le Point-du-Jour avec Paris au large,
Des chants, des tirs, les femmes qu’on «rêvait»,
La Seine claire et la foule qui fait
Sur ce poème un vague essai de charge.
On danse aussi, car tout est dans la marge
Que fait le fleuve à ce livre parfait,
Et si parfois l’on tuait ou buvait,
Le fleuve est sourd et le vin est litharge.
Le Point-du-Jour, mais c’est l’Ouest de Paris!
Un calembour a bêni son histoire
D’affreux baisers et d’immondes paris.
En attendant que sonne l’heure noire
Où les bateaux-omnibus et les trains
Ne partent plus, tirez, tirs, fringuez, reins!
VIII
UN POUACRE
A Jean Morêas.
Avec les yeux d’une tête de mort
Que la lune encore dêcharne,
Tout mon passê, disons tout mon remord
Ricane à travers ma lucarne.
Avec la voix d’un vieillard très cassê,
Comme l’on n’en voit qu’au thêâtre,
Tout mon remords, disons tout mon passê
Fredonne un tralala folâtre.
Avec les doigts d’un pendu dêjà vert
Le drôle agace une guitare
Et danse sur l’avenir grand ouvert,
D’un air d'êlasticitê rare.
«Vieux turlupin, je n’aime pas cela.
Tais ces chants et cesse ces danses.»
Il me rêpond avec la voix qu’il a:
«C’est moins farce que tu ne penses.»
«Et quant au soin frivole, ô doux morveux,
De te plaire ou de te dêplaire,
Je m’en soucie au point que, si tu veux,
Tu peux t’aller faire lanlaire.»
IX
MADRIGAL
Tu m’as, ces pâles jours d’automne blanc, fait mal
A cause de tes yeux où fleurit l’animal,
Et tu me rongerais, en princesse Souris,
Du bout fin de la quenotte de ton souris.
Fille auguste qui fis flamboyer ma douleur
Avec l’huile rancie encor de ton vieux pleur!
Oui, folle, je mourrais de ton regard damnê.
Mais va (veux-tu?) l'êtang là dort insoupèonnê
Dont du lis, nef qu’il eût fallu qu’on acclamât,
L’eau morte a bu le vent qui coule du grand mât
T’y jeter, palme! et d’avance mon repentir
Parle si bas qu’il faut être sourd pour l’ouïr.
NAGUÈRE
PROLOGUE
Ce sont choses crêpusculaires.
Des visions de fui de nuit.
O Vêritê, tu les êclaires
Seulement d’une aube qui luit
Si pâle dans l’ombre abhorrêe
Qu’on doute encore par instants
Si c’est la lune qui les crêe
Sous l’horreur des rameaux flottants,
Ou si ces fantômes moroses
Vont tout à l’heure prendre corps
Et se mêler au choeur des choses
Dans les harmonieux dêcors
Du soleil et de la nature
Doux à l’homme et proclamant Dieu
Pour l’extase de l’hymne pure
Jusqu'à la douceur du ciel bleu.
CRIMEN AMORIS
A Villiers de l’Isle-Adam.
Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
De beaux dêmons, des satans adolescents,
Au son d’une musique mahomêtane
Font litière aux Sept Pêchês de leurs cinq sens.
C’est la fête aux Sept Pêchês: ô qu’elle est belle!
Tous les Dêsirs rayonnaient en feux brutaux;
Les Appêtits, pages prompts que l’on harcèle,
Promenaient des vins roses dans des cristaux.
Des danses sur des rythmes d'êpithalames
Bien doucement se pâmaient en longs sanglots
Et de beaux choeurs de voix d’hommes et de femmes
Se dêroulaient, palpitaient comme des flots,
Et la bontê qui s’en allait de ces choses
Était puissante et charmante tellement
Que la campagne autour se fleurit de roses
Et que la nuit paraissait en diamant.
Or le plus beau d’entre tous ces mauvais anges
Avait seize ans sous sa couronne de fleurs.
Les bras croisês sur les colliers et les franges,
Il rêve, l’oeil plein de flammes et de pleurs.
En vain la fête autour se faisait plus folle,
En vain les satans, ses frères et ses soeurs,
Pour l’arracher au souci qui le dêsole,
L’encourageaient d’appels de bras caresseurs.
Il rêsistait à toutes câlineries,
Et le chagrin mettait un papillon noir
A son cher front tout brûlant d’orfèvreries:
O l’immortel et terrible dêsespoir!
Il leur disait: "O vous, laissez-moi tranquille!
Puis, les ayant baisês tous bien tendrement,
Il s'êvada d’avec eux d’un geste agile,
Leur laissant aux mains des pans de vêtement.
Le voyez-vous sur la tour la plus cêleste
Du haut palais avec une torche au poing?
Il la brandit comme un hêros fait d’un ceste:
D’en bas on croit que c’est une aube qui point.
Qu’est-ce qu’il dit de sa voix profonde et tendre
Qui se marie au claquement clair du feu
Et que la lune est extatique d’entendre?
"Oh! je serai celui-là qui crêera Dieu!
"Nous avons tous trop souffert, anges et hommes,
De ce conflit entre le Pire et le Mieux.
Humilions, misêrables que nous sommes,
Tous nos êlans dans le plus simple des voeux,
"O vous tous, ô nous tous, ô les pêcheurs tristes,
O les gais Saints! Pourquoi ce schisme têtu?
Que n’avons-nous fait, en habiles artistes,
De nos travaux la seule et même vertu!
"Assez et trop de ces luttes trop êgales!
Il va falloir qu’enfin se rejoignent les
Sept Pêchês aux Trois Vertus Thêologales!
Assez et trop de ces combats durs et laids!
«Et pour rêponse à Jêsus qui crut bien faire
En maintenant l'êquilibre de ce duel,
Par moi l’enfer dont c’est ici le repaire
Se sacrifie à l’Amour universel!»
La torche tombe de sa main êployêe,
Et l’incendie alors hurla s'êlevant,
Querelle ênorme d’aigles rouges noyêe
Au remous noir de la fumêe et du vent.
L’or fond et coule à flots et le marbre êclate;
C’est un brasier tout splendeur et tout ardeur;
La soie en courts frissons comme de l’ouate
Vole à flocons tout ardeur et tout splendeur.
Et les satans mourants chantaient dans les flammes
Ayant compris, comme s’ils êtaient rêsignês!
Et de beaux choeurs de voix d’hommes et de femmes
Montaient parmi l’ouragan des bruits ignês.
Et lui, les bras croisês d’une sorte fière,
Les yeux au ciel où le feu monte en lêchant,
Il fit tout bas une espèce de prière
Qui va mourir dans l’allêgresse du chant.
Il dit tout bas une espèce de prière,
Les yeux au ciel où le feu monte en lêchant…
Quand retentit un affreux coup de tonnerre,
Et c’est la fin de l’allêgresse et du chant.
On n’avait pas agrêê le sacrifice:
Quelqu’un de fort et de juste assurêment
Sans peine avait su dêmêler la malice
Et l’artifice en un orgueil qui se ment.
Et du palais aux cent tours aucun vestige,
Rien ne resta dans ce dêsastre inouï,
Afin que par le plus effrayant prodige
Ceci ne fût qu’un vain rêve êvanoui…
Et c’est la nuit, la nuit bleue aux mille êtoiles;
Une campagne êvangêlique s'êtend
Sêvère et douce, et, vagues comme des voiles,
Les branches d’arbres ont l’air d’ailes s’agitant.
De froids ruisseaux courent sur un lit de pierre;
Les doux hiboux nagent vaguement dans l’air
Tout embaumê de mystère et de prière;
Parfois un flot qui saute lance un êclair.
La forme molle au loin monte des collines
Comme un amour mal dêfini,
Et le brouillard qui s’essore des ravines
Semble un effort vers quelque but rêuni.
Et tout cela comme un coeur et comme une âme,
Et comme un verbe, et d’un amour virginal
Adore, s’ouvre en une extase et rêclame
Le Dieu clêment qui nous gardera du mal.
LA GRACE
A Armand Silvestre.
Un cachot. Une femme à genoux, en prière.
Une tête de mort est gisante par terre,
Et parle, d’un ton aigre et douloureux aussi.
D’une lampe au plafond tombe un rayon transi.
«Dame Reine… —Encor toi, Satan! --Madame Reine…
--„O Seigneur, faites mon oreille assez sereine
Pour ouïr sans l'êcouter ce que dit le Malin!“
--„Ah! ce fut un vaillant et galant châtelain
Que votre êpoux! Toujours en guerre ou bien en fête;
(Hêlas! j’en puis parler puisque je suis sa tête),
Il vous aima, mais moins encore qu’il n’eût dû.
Que de vertu gâtêe et que de temps perdu
En vains tournois, en cours d’amour loin de sa dame
Qui belle et jeune prit un amant, la pauvre âme!“
--„O Seigneur, êcartez ce calice de moi!“
--„Comme ils s’aimèrent! Ils s'êtaient jurê leur foi
De s'êpouser sitôt que serait mort le maître,
Et le tuèrent dans son sommeil d’un coup traître.“
--Seigneur, vous le savez, dès le crime accompli,
J’eus horreur, et prenant ce jeune homme en oubli,
Vins au roi, dêvoilant l’attentat effroyable,
Et pour mieux dêjouer la malice du diable,
J’obtins qu’on m’apportât en ma juste prison
La tête de l'êpoux occis en trahison:
Par ainsi le remords, devant ce triste reste,
Me met toujours aux yeux mon action funeste.
Et la ferveur de mon repentir s’en accroît,
O Jêsus! Mais voici: le Malin qui se voit
Dupe et qui voudrait bien ressaisir sa conquête,
S’en vient-il pas loger dans cette pauvre tête
Et me tenir de faux propos insidieux?
O Seigneur, tendez-moi vos secours prêcieux!»
--«Ce n’est pas le dêmon, ma Reine, c’est moi-même,
Votre êpoux, qui vous parle en ce moment suprême,
Votre êpoux qui, damnê (car j'êtais en mourant
En êtat de pêchê mortel), vers vous se rend,
O Reine, et qui, pauvre âme errante, prend la tête
Qui fut la sienne aux jours vivants pour interprète
Effroyable de son amour êpouvantê.»
--«O blasphème hideux, mensonge dêtestê!
Monsieur Jêsus, mon maître adorable, exorcise
Ce chef horrible et le vide de la hantise
Diabolique qui n’en fait qu’un instrument
Où souffle Belzêbuth fallacieusement,
Comme dans une flûte on joue un air perfide!»
--«O douleur, une erreur lamentable te guide,
Reine, je ne suis pas Satan, je suis Henry!»
--«Oyez, Seigneur, il prend la voix de mon mari!
A mon secours, les Saints, à l’aide, Notre-Dame!»
--«Je suis Henry, du moins, Reine, je suis son âme,
Qui, par sa volontê, plus forte que l’enfer,
Ayant su transgresser toute porte de fer
Et de flamme, et braver leur impure cohorte,
Hêlas! vient pour te dire avec cette voix morte
Qu’il est d’autres amours encor que ceux d’ici.
Tout immatêriels et sans autre souci
Qu’eux-mêmes, des amours d'âmes et de pensêes.
Ah! que leur fait le Ciel ou l’Enfer. Enlacêes,
Les âmes, elles n’ont qu’elles-mêmes pour but!
L’enfer pour elles, c’est que leur amour mourût,
Et leur amour de son essence est immortelle!
Hêlas! moi, je ne puis te suivre aux deux, cruelle
Et seule peine en ma damnation. Mais toi,
Damne-toi! Pousserons heureux à deux, la loi
Des âmes, je le dis, c’est l’alme indiffêrence
Pour la fêlicitê comme pour la souffrance
Si l’amour partagê leur fait d’intimes cieux.
Viens afin que l’enfer, jaloux, voie, envieux,
Deux damnês ajouter, comme on double un dêlice,
Tous les feux de l’amour à tous ceux du supplice,
Et se sourire en un baiser perpêtuel!»
--Ame de mon êpoux, tu sais qu’il est rêel
Le repentir qui fait qu’en ce moment j’espère
En la misêricorde ineffable du Père
Et du Fils et du Saint-Esprit! Depuis un mois
Que j’expie, attendant la mort que je te dois,
En ce cachot trop doux encor, nue et par terre,
Le crime monstrueux et l’infâme adultère,
N’ai-je pas, repassant ma vie en sanglotant,
O mon Henry, pleurê des siècles cet instant
Où j’ai pu mêconnaître en toi celui qu’on aime?
Va, j’ai revu, superbe et doux, toujours le même,
Ton regard qui parlait dêlicieusement,
Et j’entends, et c’est là mon plus dur châtiment,
Ta noble voix, et je me souviens des caresses!
Or si tu m’as absous et si tu t’intêresses
A mon salut, du haut des cieux, ô cher souci,
Manifeste-toi, parle, et dêmens celui-ci
Qui blasphème et vomit d’affreuses hêrêsies!."
--«Je te dis que je suis damnê! Tu t’extasies
En terreurs vaines, ô ma Reine. Je te dis
Qu’il te faut rebrousser chemin du Paradis,
Vain sêjour du bonheur banal et solitaire
Pour l’amour avec moi! Les amours de la terre
Ont, tu le sais, de ces instants chastes et lents:
L'âme veille, les sens se taisent somnolents,
Le coeur qui se repose et le sang qui s’affaire
Font dans tout l'être comme une douce faiblesse.
Plus de dêsirs fiêvreux, plus d'êlans ênervants,
On est des frères et des soeurs et des enfants,
On pleure d’une intime et profonde allêgresse,
On est les cieux, on est la terre, enfin on cesse
De vivre et de sentir pour s’aimer au delà,
Et c’est l'êternitê que je t’offre, prends-la!
Au milieu des tourments nous serons dans la joie,
Et le Diable aura beau meurtrir sa double proie,
Nous rirons, et plaindrons ce Satan sans amour.
Non, les Anges n’auront dans leur morne sêjour
Rien de pareil à ces dêlices inouïes!» —
La Comtesse est debout, paumes êpanouies.
Elle fait le grand cri des amours surhumains,
Puis se penche et saisit avec pâles mains
La tête qui, merveille! a l’aspect de sourire.
Un fantôme de vie et de chair semble luire
Sur le hideux objet qui rayonne à prêsent
Dans un nimbe languissamment phosphorescent.
Un halo clair, semblable à des cheveux d’aurore,
Tremble au sommet et semble au vent flotter encore
Parmi le chant des cors à travers la forêt.
Les noirs orbites ont des êclairs, on dirait
De grands regrets de flamme et noirs. Le trou farouche
Au rire affreux, qui fut, Comte Henry, ta bouche,
Se transfigure rouge aux deux arcs palpitants
De lèvres qu’aurêole un duvet de vingt ans,
Et qui pour un baiser se tendent savoureuses…
Et la Comtesse à la faèon des amoureuses
Tient la tête terrible amplement, une main
Derrière et l’autre sur le front, pâle, en chemin
D’aller vers le baiser spectral, l'âme tendue,
Hoquetant, dilatant sa prunelle perdue
Au fond de ce regard vague qu’elle a devant…
Soudain elle recule, et d’un geste rêvant
(O femmes, vous avez ces allures de faire!)
Elle laisse tomber la tête qui profère
Une plainte, et, roulant, sonnant creux et longtemps:
--«Mon Dieu, mon Dieu, pitiê! Mes pêchês pênitents
Lèvent leurs pauvres bras vers ta bênêvolence,
O ne les souffre pas criant en vain! O lance
L'êclair de ton pardon qui tuera ce corps vil!
Vois que mon âme est faible en ce dolent exil!
Et ne la laisse pas au Mauvais qui la guette!
O que je meure!»
Avec le bruit d’un corps qu’on jette,
La Comtesse à l’instant tombe morte, et voici:
Son âme en blanc linceul, par l’espace êclairci
D’une douce clartê d’or blond qui flue et vibre
Monte au plafond ouvert dêsormais à l’air libre
Et d’une ascension lente va vers les cieux.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La tête est là, et dardant en l’air ses sombres yeux
Et sautèle dans des attitudes êtranges:
Telles dans les Assomptions des têtes d’anges,
Et la bouche vomit un gêmissement long,
Et des orbites vont coulant de pleurs de plomb.
L’IMPÉNITENCE FINALE
A Catulle Mendès.
La petite marquise Osine est toute belle,
Elle pourrait aller grossir la ribambelle
Des folles de Watteau sous leur chapeau de fleurs
Et de soleil, mais comme on dit, elle aime ailleurs.
Parisienne en tout, spirituelle et bonne
Et mauvaise à ne rien redouter de personne,
Avec cet air mi-faux qui fait que l’on vous croit,
C’est un ange fait pour le monde qu’elle voit,
Un ange blond, et même on dit qu’il a des ailes.
Vingt soupirants, brûlês du feu des meilleurs zèles
Avaient en vain quêtê leur main à ses seize ans,
Quand le pauvre marquis, quittant ses paysans
Comme il avait quittê son escadron, vint faire
Escale au Jockey; vous connaissez son affaire
Avec la grosse Emma de qui--l’eussions-nous cru?
Le bon garèon êtait absolument fêru,
Son dêsespoir après le dêpart de la grue,
Le duel avec Contran, c’est vieux comme la rue;
Bref il vit la petite un jour dans un salon,
S’en êprit tout d’un coup comme un fou; même l’on
Dit qu’il en oublia si bien son infidèle
Qu’on le voyait le jour d’ensuite avec Adèle.
Temps et moeurs! La petite (on sait tout aux Oiseaux)
Connaissait le roman du cher, et jusques aux
Moindres chapitres: elle en conèut de l’estime.
Aussi quand le marquis offrit sa lêgitime
Et sa main contre sa menotte, elle dit: Oui,
Avec un franc parler d’allêgresse inouï.
Les parents, voyant sans horreur ce mariage
(Le marquis êtait riche et pouvait passer sage),
Signèrent au contrat avec laisser-aller.
Elle qui voyait là quelqu’un à consoler
Ouït la messe dans une ferveur profonde.
Elle le consola deux ans. Deux ans du monde!
Mais tout passe!
Si bien qu’un jour elle attendait
Un autre et que cet autre atrocement tardait,
De dêpit la voilà soudain qui s’agenouille
Devant l’image d’une Vierge à la quenouille
Qui se trouvait là, dans cette chambre en garni,
Demandant à Marie, en un trouble infini,
Pardon de son pêchê si grand, si cher encore,
Bien qu’elle croie au fond du coeur qu’elle l’abhorre.
Comme elle relevait son front d’entre ses mains,
Elle vit Jêsus-Christ avec les traits humains
Et les habits qu’il a dans les tableaux d'êglise.
Sêvère, il regardait tristement la marquise,
La vision flottait blanche dans un jour bleu
Dont les ondes, voilant l’apparence du lieu,
Semblaient envelopper d’une atmosphère êlue
Osine qui semblait d’extase irrêsolue
Et qui balbutiait des exclamations.
Des accords assoupis de harpe de Sions
Cêlestes descendaient et montaient par la chambre,
Et des parfums d’encens, de cinnamome et d’ambre.
Fluaient, et le parquet retentissait des pas
Mystêrieux de pieds que l’on ne voyait pas,
Tandis qu’autour c'êtait, en dêcadences soyeuses,
Un grand frêmissement d’ailes mystêrieuses
La marquise restait à genoux, attendant,
Toute admiration peureuse, cependant.
Et le Sauveur parla:
«Ma fille, le temps passe,
Et ce n’est pas toujours le moment de la grâce.
Profitez de cette heure, ou c’en est fait de vous.»
La vision cessa.
Oui certes, il est doux
Le roman d’un premier amant. L'âme s’essaie,
C’est un jeune coureur à la première haie.
C’est si mignard qu’on croit à peine que c’est mal.
Quelque chose d'êtonnamment matutinal.
On sort du mariage habitueux. C’est comme
Qui dirait la fleur aurorale de l’homme,
Et les baisers parmi cette fraîche clartê
Sonnent comme des cris d’alouette en êtê,
O le premier amant! Souvenez-vous, mesdames?
Vagissant et timide êlancement des âmes
Vers le fruit dêfendu qu’un soupir rêvêla…
Mais le second amant d’une femme, voilà!
Ou a tout su. La faute est bien dêlibêrêe
Et c’est bien un nouvel êtat que l’on se crêe,
Un autre mariage à soi-même avouê.
Plus de retour possible au foyer bafouê.
Le mari, dêbonnaire ou non, fait bonne garde
Et dissimule mal. Dêjà rit et bavarde
Le monde hostile et qui sêvirait au besoin.
Ah! que l’aise de l’autre intrigue se fait loin,
Mais aussi cette fois comme on vit, comme on aime.
Tout le coeur est êclos en une fleur suprême.
Ah! c’est bon! Et l’on jette à ce feu tout remords,
On ne vit que pour lui, tous autres soins sont morts.
On est à lui, on n’est qu'à lui, c’est pour la vie,
Ce sera pour après la vie, et l’on dêfie
Les lois humaines et divines, car on est
Folle de corps et d'âme, et l’on ne reconnaît
Plus rien, et l’on ne sait plus rien, sinon qu’on l’aime!
Or cet amant êtait justement le deuxième
De la marquise, ce qui fait qu’un jour après,
--O sans malice et presque avec quelques regrets, —
Elle le revoyait pour le revoir encore.
Quant au miracle, comme une odeur s'êvapore
Elle n’y pensa plus bientôt que vaguement.
Un matin, elle êtait dans son jardin charmant,
Un matin de printemps, un jardin de plaisance.
Les fleurs vraiment semblaient saluer sa prêsence,
Et frêmissaient au vent lêger, et s’inclinaient
Et les feuillages, verts tendrement, lui donnaient
L’aubade d’un timide et dêlicat ramage
Et les petits oiseaux volant à son passage,
Pêpiaient à plaisir dans l’air tout embaumê
Des feuilles, des bourgeons et des gommes de mai.
Elle pensait à lui; sa vue errait, distraite,
A travers l’ombre jeune et la pompe discrète
D’un grand rosier bercê d’un mouvement câlin,
Quand elle vit Jêsus en vêtement de lin
Qui marchait, êcartant les branches de l’arbuste
Et la couvait d’un long regard triste. Et le Juste
Pleurait. Et en tout un instant s'êvanouit.
Elle se recueillait
Soudain un petit bruit
Se fit. On lui portait en secret une lettre,
Une lettre de lui, qui lui marquait peut-être
Un rendez-vous.
Elle ne put la dêchirer.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Marquis, pauvre marquis, qu’avez-vous à pleurer
Au chevet de ce lit de blanche mousseline?
Elle est malade, bien malade.
«Soeur Aline,
A-t-elle un peu dormi?»
--«Mal, Monsieur le marquis.»
Et le marquis pleurait.
«Elle est ainsi depuis
Deux heures, somnolente et calme. Mais que dire
De la nuit? Ah! Monsieur le marquis, quel dêlire?
Elle vous appelait, vous demandait pardon
Sans cesse, encor, toujours, et tirait le cordon
De sa sonnette.»
Et le marquis frappait sa tête
De ses deux poings et, fou dans sa douleur muette,
Marchait à grands pas sourds sur les tapis êpais.
(Dès qu’elle fut malade, elle n’eut pas de paix
Qu’elle n’eût avouê ses fautes au pauvre homme
Qui pardonna.) La soeur reprit pâle: «Elle eut comme
Un rêve, un rêve affreux, Elle voyait Jêsus,
Terrible sur la nue et qui marchait dessus,
Un glaive dans la main droite et du la main gauche
Qui ramait lentement comme une faux qui fauche,
Écartant sa prière, et passait furieux.»
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un prêtre saluant les assistants des yeux,
Entre.
Elle dort.
O ses paupières violettes!
O ses petites mains qui tremblent maigrelettes!
O tout son corps perdu dans des draps êtouffants!
Regardez, elle meurt de la mort des enfants.
Et le prêtre anxieux se penche à son oreille.
Elle s’agite un peu, la voilà qui s'êveille,
Elle voudrait parler, la voilà qui s’endort
Plus pâle.
Et le marquis: «Est-ce dêjà la mort?»
Et le docteur lui prend les deux mains et sort vite,
On l’enterrait hier matin. Pauvre petite!
DON JUAN PIPÉ
A Franèois Coppêe.
Don Juan qui fut grand Seigneur en ce monde
Est aux enfers ainsi qu’un pauvre immonde
Pauvre, sans la barbe faite, et pouilleux,
Et si ce n'êtaient la lueur de ses yeux
Et la beautê de sa maigre figure,
En le voyant ainsi quiconque jure
Qu’il est un gueux et non ce hêros fier
Aux dames comme aux poètes si cher
Et dont l’auteur de ces humbles chroniques
Vous va parler sur des faits authentiques.
Il a son front dans ses mains et paraît
Penser beaucoup à quelque grand secret.
Il marche à pas douloureux sur la neige,
Car c’est son châtiment que rien n’allège
D’habiter seul et vêtu de lêger
Loin de tout lieu où fleurit l’oranger
Et de mener ses tristes promenades
Sous un ciel veuf de toutes sêrênades
Et qu’une lune morte êclaire assez
Pour expier tous ses soleils passes.
Il songe. Dieu peut gagner, car le Diable
S’est vu rêduire à l'êtat pitoyable
De tourmenteur et de geôlier gagê
Pour être las trop tôt, et trop âgê.
Du Rêvoltê de jadis il ne reste
Plus qu’un bourreau qu’on paie et qu’on moleste
Si bien qu’enfin la cause de l’Enfer
S’en va tombant comme un fleuve à la mer,
Au sein de l’alliance primitive.
Il ne faut pas que cette honte arrive.
Mais lui, don Juan, n’est pas mort et se sent
Le coeur vif comme un coeur d’adolescent
Et dans sa tête une jeune pensêe
Couve et nourrit une force amassêe;
S’il est damnê, c’est qu’il le voulut bien,
Il avait tout pour être un bon chrêtien,
La foi, l’ardeur au ciel, et le baptême,
Et ce dêsir de voluptê lui-même,
Mais s'êtant dêcouvert meilleur que Dieu,
Il rêsolut de se mettre en son lieu.
A cet effet, pour asservir les âmes
Il rendit siens d’abord les coeurs des femmes.
Toutes pour lui laissèrent là Jêsus,
Et son orgueil jaloux monta dessus
Comme un vainqueur foule un champ de bataille.
Seule la mort pouvait être à sa taille
Il l’insulta, la dêfit. C’est alors
Qu’il vint à Dieu sans peur et sans remords
Il vint à Dieu, lui parla face à face
Sans qu’un instant hêsitât son audace.
Le dêfiant, Lui, son Fils et ses saints?
L’affreux combat! Très calme et les reins ceints
D’impiêtê cynique et de blasphème,
Ayant volê son verbe à Jêsus même,
Il voyagea, funeste pèlerin,
Prêchant en chaire et chantant au lutrin,
Et le torrent amer de sa doctrine,
Parallèle à la parole divine,
Troublait la paix des simples et noyait
Toute croyance, et, grossi, s’enfuyait.
Il enseignait: «Juste, prends patience.
Ton heure est proche. Et mets ta confiance
En ton bon coeur. Sois vigilant pourtant,
Et ton salut en sera sûr d’autant.
Femmes, aimez vos maris et les vôtres
Sans cependant abandonner les autres…
L’amour est un dans tous et tous dans un,
Afin qu’alors que tombe le soir brun
L’ange des nuits n’abrite sous ses ailes
Que coeurs mi-clos dans la paix fraternelle.»
Au mendiant errant dans la forêt
Il ne donnait un sol que s’il jurait.
Il ajoutait: «De ce que l’on invoque
Le nom de Dieu celui-ci ne s’en choque,
Bien au contraire, et tout est pour le mieux.
Tiens, prends, et bois à ma santê, bon vieux.»
Puis il disait: «Celui-là prêvarique
Qui de sa chair faisant une bourrique
La subordonne au soin de son salut
Et lui dêsigne un trop servile but.
La chair est sainte! Il faut qu’on la vênère.
C’est notre fille, enfants, et notre mère,
Et c’est la fleur du jardin d’ici-bas!
Malheur à ceux qui ne l’adorent pas!
Car, non contents de renier leur être,
Ils s’en vont reniant le divin maître,
Jêsus fait chair qui mourut sur la croix,
Jêsus fait chair qui de sa douce voix
Ouvrait le coeur de la Samaritaine,
Jêsus fait chair qu’aima Madeleine!»
A ce blasphème effroyable, voilà
Que le ciel de tênèbres se voila.
Et que la mer entre-choqua les îles.
On vit errer des formes dans les villes,
Les mains des morts sortirent des cercueils,
Ce ne fut plus que terreurs et que deuils.
Et Dieu voulant venger l’injure affreuse
Prit sa foudre en sa droite furieuse
Et maudissant don Juan, lui jeta bas
Son corps mortel, mais son âme, non pas!
Non pas son âme, on l’allait voir! Et pâle
De mâle joie et d’audace infernale,
Le grand damnê, royal sous ses haillons,
Promène autour son oeil plein de rayons,
Et crie: "A moi l’Enfer! ô vous qui fûtes
Par moi guidês en vos sublimes chutes,
Disciples de don Juan, reconnaissez
Ici la voix qui vous a redressês.
Satan est mort, Dieu mourra dans la fête,
Aux armes pour la suprême conquête!
«Apprêtez-vous, vieillards et nouveau-nês,
C’est le grand jour pour le tour des damnês.»
Il dit. L'êcho frêmit et va rêpandre
L’appel altier, et don Juan croit entendre
Un grand frêmissement de tous côtês.
Ses ordres sont à coup sûr êcoutês:
Le bruit s’accroît des clameurs de victoire,
Disant son nom et racontant sa gloire.
«A nous deux, Dieu stupide, maintenant!»
Et don Juan a foulê d’un pied tonnant
Le sol qui tremble et la neige glacêe
Qui semble fondre au feu de sa pensêe…
Mais le voilà qui devient glace aussi
Et dans son coeur horriblement transi
Le sang s’arrête, et son geste se fige.
Il est statue, il est glace. O prodige
Vengeur du Commandeur assassinê!
Tout bruit s'êteint et l’Enfer rêfrênê
Rentre à jamais dans ses mornes cellules.
«O les rodomontades ridicules»,
Dit du dehors Quelqu’un qui ricanait,
«Contes prêvus! farces que l’on connaît!
Morgue espagnole et fougue italienne!
Don Juan, faut-il afin qu’il t’en souvienne,
Que ce vieux Diable, encor que radoteur,
Ainsi te prenne en dêlit de candeur?
Il est êcrit de ne tenter… personne.
L’Enfer ni ne se prend ni ne se donne.
Mais avant tout, ami, retiens ce point:
On est le Diable, on ne le devient point.»
AMOUREUSE DU DIABLE
A Stêphane Mallarmê.
Il parle italien avec un accent russe.
Il dit: «Chère, il serait prêcieux que je fusse
Riche, et seul, tout demain et tout après-demain.
Mais riche à paver d’or monnayê le chemin
De L’Enfer, et si seul qu’il vous va falloir prendre
Sur vous de m’oublier jusqu'à ne plus entendre
Parler de moi sans vous dire de bonne foi:
Qu’est-ce que ce monsieur Fêlice? Il vend de quoi?»
Cela s’adresse à la plus blanche des comtesses.
Hêlas! toute grandeur, toutes dêlicatesses,
Coeur d’or, comme l’on dit, âme de diamant,
Riche, belle, un mari magnifique et charmant
Qui lui rêalisait toute chose rêvêe,
Adorêe, adorable, une Heureuse, la Fêe,
La Reine, aussi la Sainte, elle êtait tout cela,
Elle avait tout cela.
Cet homme vint, vola
Son coeur, son âme, en fit sa maîtresse et sa chose
Et ce que la voilà dans ce doux peignoir rose
Avec ses cheveux d’or êpars comme du feu,
Assise, et ses grands yeux d’azur tristes un peu.
Ce fut une banale et terrible aventure
Elle quitta de nuit l’hôtel. Une voiture
Attendait. Lui dedans. Ils restèrent six mois
Sans que personne sût où ni comment. Parfois
On les disait partis à toujours. Le scandale
Fut affreux. Cette allure êtait par trop brutale
Aussi pour que le monde ainsi mis au dêfi
N’eût pas frêmi d’une ire ênorme et poursuivi
De ses langues les plus agiles l’insensêe.
Elle, que lui faisait? Toute à cette pensêe,
Lui, rien que lui, longtemps avant qu’elle s’enfuit,
Ayant rêalisê son avoir (sept ou huit
Millions en billets de mille qu’on liasse
Ne pèsent pas beaucoup et tiennent peu de place).
Elle avait tassê tout dans un coffret mignon
Et le jour du dêpart, lorsque son compagnon
Dont du rhum bu de trop rendait la voix plus tendre
L’interrogea sur ce colis qu’il voyait pendre
A son bras qui se lasse, elle rêpondit: «Ça,
C’est notre bourse.»
O tout ce qui se dêpensa!
Il n’avait rien que sa beautê problêmatique
(D’autant pire) et que cet esprit dont il se pique
Et dont nous parlerons, comme de sa beautê,
Quand il faudra… Mais quel bourreau d’argent! Prêtê,
Gagnê, volê! Car il volait à sa manière,
Excessive, partant respectable en dernière
Analyse, et d’ailleurs respectêe, et c'êtait
Prodigieux la vie ênorme qu’il menait
Quand au bout de six mois ils revinrent.
Le coffre
Aux millions (dont plus que quatre) est là qui s’offre
A sa main. Et pourtant cette fois--une fois
N’est pas coutume--il a gargarisê sa voix
Et remplacê son geste ordinaire de prendre
Sans demander, par ce que nous venons d’entendre.
Elle s'êtonne avec douceur et dit: «Prends tout
Si tu veux.»
Il prend tout et sort.
Un mauvais goût
Qui n’avait de pareil que sa dêsinvolture
Semblait pêtrir le fond même de sa nature,
Et dans ses moindres mots, dans ses moindres clins d’yeux,
Faisait luire et vibrer comme un charme odieux.
Ses cheveux noirs êtaient trop bouclês pour un homme
Ses yeux très grands, très verts, luisaient comme à Sodome.
Dans sa voix claire et lente, un serpent s’avanèait,
Et sa tenue êtait de celles que l’on sait:
Du vernis, du velours, trop de linge, et des bagues.
D’antêcêdents, il en avait de vraiment vagues
Ou, pour mieux dire, pas. Il parut un beau soir,
L’autre hiver, à Paris, sans qu’aucun pût savoir
D’où venait ce petit monsieur, fort bien du reste
Dans son genre et dans son outrecuidance leste.
Il fit rage, eut des duels cêlèbres et causa
Des morts de femmes par amour dont on causa.
Comment il vint à bout de la chère comtesse,
Par quel philtre ce gnome insuffisant qui laisse
Une odeur de cheval et de femme après lui
A-t-il fait d’elle cette fille d’aujourd’hui?
Ah! èa, c’est le secret perpêtuel que berce
Le sang des dames dans son plus joli commerce,
A moins que ce ne soit celui du DIABLE aussi.
Toujours est-il que quand le tour eut rêussi
Ce fut du propre!
Absent souvent trois jours sur quatre,
Il rentrait ivre, assez lâche et vil pour la battre,
Et quand il voulait bien rester près d’elle un peu,
Il la martyrisait, en matière de jeu,
Par êtalage de doctrines impossibles.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
«Mia, je ne suis pas d’entre les irascibles,
Je suis le doux par excellence, mais tenez
Ça m’exaspère, et je le dis à votre nez,
Quand je vous vois l’oeil blanc et la lèvre pincêe
Avec je ne sais quoi d'êtroit dans la pensêe
Parce que je reviens un peu soûl quelquefois.
Vraiment, en seriez-vous à croire que je bois
Pour boire, pour licher, comme vous autres chattes,
Avec vos vins sucrês dans vos verres à pattes
Et que l’Ivrogne est une forme du Gourmand?
Alors l’instinct qui vous dit èa ment plaisamment
Et d’y prêter l’oreille un instant, quel dommage!
Dites, dans un bon Dieu de bois est-ce l’image
Que vous voyez et vers qui vos voeux vont monter?
L’Eucharistie est-elle un pain à cacheter
Pur et simple, et l’amant d’une femme, si j’ose
Parler ainsi, consiste-t-il en cette chose
Unique d’un monsieur qui n’est pas son mari
Et se voit de ce chef tout spêcial chêri!
Ah! si je bois, c’est pour me soûler, non pour boire.
Être soûl, vous ne savez pas quelle victoire
C’est qu’on remporte sur la vie, et quel don c’est!
On oublie, on revoit, on ignore et l’on sait;
C’est des mystères pleins d’aperèus, c’est du rêve
Qui n’a jamais eu de naissance et ne s’achève
Pas, et ne se meut pas dans l’essence d’ici;
C’est une espèce d’autre vie en raccourci,
Un espoir actuel, un regret qui „rapplique“,
Que sais-je encore? Et quand la rumeur publique.
Au prêjugê qui hue un homme dans ce cas,
C’est hideux, parce que bête, et je ne plains pas
Ceux ou celles qu’il bat à travers son extase,
O que nenni!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Voyons, l’amour, c’est une phrase
Sous un mot, --avouez, un êcoute-s’il-pleut,
Un calembour dont un chacun prend ce qu’il veut,
Un peu de plaisir fin, beaucoup de grosse joie
Selon le plus ou moins de moyens qu’il emploie,
Ou, pour mieux dire, au grê de son tempêrament,
Mais, entre nous, le temps qu’on y perd! Et comment!
Vrai, c’est honteux que des personnes sêrieuses
Comme nous deux, avec ces vertus prêcieuses
Que nous avons, du coeur, de l’esprit, --de l’argent,
Dans un siècle que l’on peut dire intelligent
Aillent!…»
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ainsi de suite, et sa fade ironie
N'êpargnait rien de rien dans sa blague infinie.
Elle êcoutait le tout avec les yeux baissês
Des coeurs aimants à qui tous torts sont effacês,
Hêlas!
L’après-demain et le lendemain se passent.
Il rentre et dit: «Altro! Que voulez-vous que fassent
Quatre pauvres petits millions contre un sort?
Ruinês, ruinês, je vous dis! C’est la mort
Dans l'âme que je vous le dis.»
Elle frissonne
Un peu, mais sait que c’est arrivê.
--«Ça, personne,
Même vous, diletta, ne me croit assez sot
Pour demeurer ici dedans le temps d’un saut
De puce.»
Elle pâlit très fort et frêmit presque,
Et dit: «Va, je sais tout.» --«Alors c’est trop grotesque
Et vous jouer là sans atouts avec le feu.»
--«Qui dit non?» --«Mais JE SUIS SPÉCIAL à ce jeu.»
--«Mais si je veux, exclame-t-elle, être damnêe?»
--«C’est diffêrent, arrange ainsi ta destinêe,
Moi je sors.» --«Avec moi!» --«Je ne puis aujourd’hui.»
Il a disparu sans autre trace de lui
Qu’une odeur de soufre et qu’un aigre êclat de rire.
Elle tire un petit couteau.
Le temps de luire
Et la lame est entrêe à deux lignes du coeur.
Le temps de dire, en renfonèant l’acier vainqueur;
«A toi, je t’aime!» et la JUSTICE la recense.
Elle ne savait pas que l’Enfer c’est l’absence.
TABLE
POÈMES SATURNIENS
PROLOGUE
MELANCHOLIA
I. Rêsignation.
II. Nevermore.
III. Après trois ans.
IV. Voeu.
V. Lassitude.
VI. Mon rêve familier.
VII. A une femme.
VIII. L’angoisse.
EAUX-FORTES
I. Croquis parisien.
II. Cauchemar.
III. Marine.
IV. Effet de nuit.
V. Grotesques.
PAYSAGES TRISTES
I. Soleils couchants.
II. Crêpuscule du soir mystique.
III. Promenade sentimentale.
IV. Nuit de Walpurgis classique.
V. Chanson d’automne.
VI. L’heure du berger.
VII. Le rossignol.
CAPRICES
I. Femme et chatte.
II. Jêsuitisme.
III. La chanson des ingênues.
IV. Une grande dame.
V. Monsieur Prudhomme.
INITIUM
ÇAVITRI
SUB URBE
SÉRÉNADE
UN DAHLIA
NEVERMORE
IL BACIO
DANS LES BOIS
NOCTURNE PARISIEN
MARCO
CÉSAR BORGIA
LA MORT DE PHILIPPE II
EPILOGUE
FÊTES GALANTES
CLAIR DE LUNE
PANTOMIME
SUR L’HERBE
L’ALLÉE
A LA PROMENADE
DANS LA GROTTE
LES INGÉNUS
CORTÈGE
LES COQUILLAGES
EN PATINANT
FANTOCHES
CYTHÈRES
EN BATEAU
LE FAUNE
MANDOLINE
A CLYMÈNE
LETTRE
LES INDOLENTS
COLOMBINE
L’AMOUR PAR TERRE
EN SOURDINE
COLLOQUE SENTIMENTAL
LA BONNE CHANSON
I Le soleil du matin doucement chauffe et dore.
II Toute grâce et toutes nuances.
III En robe grise et verte avec des ruches.
IV Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore.
V Avant que tu ne t’en ailles.
VI La lune blanche.
VII Le paysage dans le cadre des portières.
VIII Une sainte en son aurêole.
IX Son bras droit, dans un geste aimable de douceur.
X Quinze longs jours encore et plus de six semaines.
XI La dure êpreuve va finir.
XII Va, chanson, à tire-d’aile.
XIII Hier, on parlait de choses et d’autres.
XIV Le foyer, la lueur êtroite de la lampe.
XV J’ai presque peur en vêritê.
XVI Le bruit des cabarets, la fange des trottoirs.
XVII N’est-ce pas? en dêpit des sots et des mêchants.
XVIII Nous sommes en des temps infâmes.
XIX Donc, ce sera pour un clair jour d'êtê.
XX J’allais par des chemins perfides.
XXI L’hiver a cessê: la lumière est tiède.
ROMANCES SANS PAROLES
I C’est l’extase langoureuse.
II Je devine, à travers un murmure.
III Il pleure dans mon coeur.
IV Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses.
V Le piano que baise une main frêle.
VI C’est le chien de Jean Nivelle.
VII O triste, triste êtait mon âme.
VIII Dans l’interminable.
IX L’ombre des arbres dans la rivière embrumêe.
PAYSAGES BELGES
Walcourt.
Charleroi.
Bruxelles (Simples fresques).
(Chevaux de bois).
Malines.
BIRDS IN THE NIGHT
AQUARELLES
Green.
Spleen.
Streets.
Child Wife.
A poor young shepherd.
Beams.
SAGESSE
I. Bon chevalier masquê qui chevauche en silence.
II. J’avais peinê comme Sisyphe.
III. Qu’en dis-tu, voyageur, des pays et des gares?
IV. Malheureux! Tous les dons, la gloire du baptême.
V. Beautê des femmes, leur faiblesse, et ces mains pâles.
VI. O vous, comme un qui boite au loin. Chagrins et Joies.
VII. Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme.
VIII. La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles.
IX. Sagesse d’un Louis Racine, je t’envie.
X. Non. Il fut gallican, ce siècle, et jansêniste.
XI. Petits amis, qui sûtes nous prouver.
XII. Or, vous voici promus, petits amis.
XIII. Prince mort en soldat, à cause de la France.
XIV. Vous reviendrez bientôt, les bras pleins de pardons.
XV. On n’offense que Dieu qui seul pardonne.
XVI. Écoutez la chanson bien douce.
XVII. Les chères mains qui furent miennes.
XVIII. Et j’ai revu l’enfant unique: il m’a semblê.
XIX. Voix de l’Orgueil; un cri puissant comme d’un cor.
XX. L’ennemi se dêguise en l’Ennui.
XXI. Va ton chemin sans plus t’inquiêter!
XXII. Pourquoi triste, ô mon âme.
XXIII. Nê l’enfant des grandes villes.
XXIV. L'âme antique êtait rude et vaine.
I. O mon Dieu, vous m’avez blessê d’amour.
II. Je ne veux plus aimer que ma mère Marie.
III. Vous êtes calme, vous voulez un voeu discret.
IV. Mon Dieu m’a dit: Mon fils, il faut m’aimer.
I. Dêsormais le Sage, puni.
II. Du fond du grabat.
III. L’espoir luit comme un brin de paille dans l'êtable.
IV. Je suis venu, calme orphelin.
V. Un grand sommeil noir.
VI. Le ciel est par-dessus le toit.
VII. Je ne sais pourquoi.
VIII. Parfums, couleurs, systèmes, lois!
IX. Le son du cor s’afflige vers les bois.
X. La tristesse, langueur du corps humain.
XI. La bise se rue à travers.
XII. Vous voilà, vous voilà, pauvres bonnes pensêes!
XIII. L'êchelonnement des haies.
XIV. L’immensitê de l’humanitê.
XV. La mer est plus belle.
XVI. La «grande ville». Un tas criard de pierres blanches.
XVII. Toutes les amours de la terre.
XVIII. Sainte Thêrèse veut que la Pauvretê soit.
XIX. Parisien, mon frère à jamais êtonnê.
XX. C’est la fête du blê, c’est la fête du pain.
JADIS ET NAGUÈRE
JADIS
Prologue.
SONNETS ET AUTRES
Pierrot.
Kalêidoscope.
Intêrieur.
Dizain mil huit cent trente.
A Horatio.
Sonnet boiteux.
Le clown.
Des yeux tout autour de la tête.
Le squelette.
Et nous voilà très doux à la bêtise humaine.
Art poêtique.
Le pitre.
Allêgorie.
L’Auberge.
Circonspection.
Vers pour être calomniê.
Luxures.
Vendanges.
Images d’un sou.
LES UNS ET LES AUTRES
VERS JEUNES
Le soldat laboureur.
Les loups.
La pucelle.
L’angêlus du matin.
La soupe du soir.
Les vaincus.
A LA MANIÈRE DE PLUSIEURS
I. La princesse Bêrênice.
II. Langueur.
III. Pantoum nêgligê.
IV. Paysage.
V. Conseil Falot.
VI. Le poète et la muse.
VII. L’aube à l’envers.
VIII. Un pouacre.
IX. Madrigal.
NAGUÈRE
Prologue.
Crimen amoris.
La grâce.
L’impênitence finale.
Don Juan Pipê.
Amoureuse du Diable.
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Vol. 1, by Paul Verlaine
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