Письма к кн. А. Д. Кантемиру (Кантемир)/ДО

Письма к кн. А. Д. Кантемиру
авторъ Антиох Дмитриевич Кантемир
Опубл.: 1743. Источникъ: az.lib.ru

СОЧИНЕНІЯ, ПИСЬМА И ИЗБРАННЫЕ ПЕРЕВОДЫ
КНЯЗЯ АНТІОХА ДМИТРІЕВИЧА КАНТЕМИРА.
СО СТАТЬЕЮ О КАНТЕМИРѢ И СЪ ПРИМѢЧАНІЯМИ
В. Я. Стоюнина,
(редакція изд. П. А. Ефремова).
II. СОЧИНЕНІЯ И ПЕРЕВОДЫ ВЪ ПРОЗѢ, ПОЛИТИЧЕСКІЯ ДЕПЕШИ И ПИСЬМА.
С.-ПЕТЕРБУРГЪ.
ИЗДАНІЕ ИВАНА ИЛЬИЧА ГЛАЗУНОВА.
1868.
ПИСЬМА КЪ КН. А. Д. КАНТЕМИРУ.
I. Отъ Корфа.

Il у а cependant un article de votre lettre qui me fait de la peine, les circonstances presentes de notre Academie ne me permettent pas d’y engager le savant franèais, que vous me recomandez, mais comme dans le collège de l’admirauté on a établi une espèce d’Academie pour apprendre aux jeunes gens destinés à la marine l’art de la navigation et que l’on y enseigne pour cet effet les principes des mathématiques je pense Monsieur que si le mathématicien franèais trouve un tel emploi à sa bien-séance il pourrait s’adresser à M-eur le comte de Соіолѵіііпе et qu’un mot de recomandation de votre part lui serait d’un grand secours en cette occasion.

II. Отъ Левенвольда, изъ Петербурга.

Je vous suis infiniment obligé, mon prince, de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’ecrire du 19-me passé. Elle m’est précisément parvenue avec le dessein de la Cuvette y joint, qui m’acharme. En effet cette piece doit être une des plus magnifiques et des plus rares en ce genre là vû son invention nullement commune. Je ne doute point qu’elle ne soit heureusement exécuté puisque l’on fait montrer la faèon de deux tiers plus haut, que ne vaut le métal même ce qui pourtant est assez extraordinaire à de si grosses pièces. Jai eu l’honneur d’en présenter très humblement le dessein à Sa Majestée, notre très gracieuse souveraine. Elle Га jugé d’un goût choisi, mais Sa Majesté n’a pas trouvé à propos d’en ordonner l’achat; c’est pourquoi Monsieur je vous renvoyé ci auprès le dessein conformement à votre demande.

Dites moi, s’il vous plait, mon prince, à votre loisir en quel état qu’il se trouve la musique à la cour et dans la capitale de votre résidence? On m’a beaucoup loué une certaine chanteuse, nommée Celestine qui se doit trouver â Londres. Je suis curieux de savoir en quelle estime et réputation qu’elle y est tant par rapport à ses forces daus la musique, qu'à cel les à la méthode de sa voix et si elle y est actuellement engagée ou point. Faites moi le plaisir, mon prince, je vous prie de m’informer sur ces points à votre commodité, mais ayez en même temps la bonté d’excuser ma liberté et de disposer en revange librement de celui qui a l’honneur d'être avec un attachement sincère et toute l’estime inimaginable.

III. Отъ Левенвольда, 22 марта 1735 г.

Il y a longtemps que j’aurais eu l’honneur de vous donner de mes nouvelles, si la réponse que j’attendais d’Italie au sujet de Monsieur Arage fut venue plustôt; elle m’est parvenue à la fin la poste dernière, mais malheureusement pas telle que je la souhaitais; il n’y a pas eu moyen absolument de se deffaire honnestemcnt de ce monsieur, comme son contract était signé il a cru que sa réputation en souffrirait s’il se relâchaitsur la parrolle qu’on luy avait donnée et la chose est sans remède, j’en ay un véritable chagrin parceque cela m’oblige à ne pouvoir plus penser présentement à monsieur Parporo; je vous prie mou cher prince de luy faire savoir d’une manière gracieuse et honneste et en luy faisant mes compliments de l’assurer que je ne l’oubliera y point dès que j’en auray l’occasion favorable, vous savez bien mon cher prince que je vous ay marqué à son sujet dans ma dernière (lettre), j’espère que je seray plus heureux avec monsieur Amigoni et que je recevray dans peu de vos nouvelles à son sujet; je me flatte qu’elles seront favorables par la raison que c’est vous Monsieur qui ménagez cette affaire, indépendamment de cela persuadé je vous prie etc….

IV. Отъ Христіана Гросса, изъ Петербурга, іюля 16/27.

Votre Altesse m’a honoré de ses ordres du 21 juin, suivant lesquels je me suis incessament informé à la Chancelerie de l’Academie sur les effets de feu monsieur Ilinski. On m’a donné là une copie de la requete de son neuveu, par laquelle on voit que c’est lui qui s’approprie les dits effets. Je tacherai, de retirer les deux globes de 'Votre Altesse et de les garder chez moi suivant l’intention de Votre Altesse. Je ne manquerai pas de rechercher chez lui aussi et d’acheter pour Votre Altesse la Bible russe et le dictionaire russe et latin, dont il lui a plu de faire mention. Cependant j’ai l’honneur de joindre ici la copie de la dite requete aussi bien que la lettre de Votre Altesse qu’elle m’a envoié dans ce temps là dans la Chancelerie de l’Academie, où l’on me la rendue apresent. Pour ce qui a été imprimé dans la librairie de l’Academie depuis six mois je l’ai envoyé à Votre Altesse suivant ses ordres avec les estampes, qui doivent être joint au 4-me tome de Centurice Buxbaumie.

J’ai donné le paquet à un marchand d’ici nomé Rothlingk qui me dira au plutôt le nom du batelier qu’il chargera de la comission pour la porter à Votre Altesse; j’aurai soin aussi de marquer à Votre Altesse le prix des livres russes, qu’elle souhaite qu’on acheté ici autant que je le pourrai apprendre, car il y en a quelques uns marqués dans la listre qu’on ne peut trouver pour aucun prix comme par exemple Табели военныя. Rien ne me sera plus de plaisir que d'être honoré des ordres de Votre Altesse que j’accomplirai toujours avec toute l’exactitude possible autant que ma faible santé me le permettra; reconnaissant parfaitement bien les obligations infinies que j’ai à Votre Allesse pour tour toutes les grâces qu’elle daigne de faire à mon frère…. (Приложенъ листъ посланныхъ книгъ: Уложеніе, deux tomes von Gamlung zur Ruffichen Historie, les estampes pour les IV tomes de Centurice Buxbaumie).

V. Отъ Гросса, 6-го мая 1734 г.

Madame la comtesse Matuef m’a envoyé cette lettre, étant en peine par raport à son fils, dont elle n’a reèu aucune lettre depuis deux mois. Peut être que Votre Altesse aura la bonté de la consoler et de lui procurer de nouvelles désirées. Pour moi je souhaite de tout mon coeur, que Votre Altesse jouisse toujours d’une santé parfaite et me garde tant soit peu de part dans son cher souvenir. On a célébré à la cour d’ici la semaine passée l’aniversaire du couronement de Sa Majesté et le jeune comte Biron fils cadet de son E-ce le grand Chambellan a eu l’honneur de chanter pendant que Sa Majesté dinait en public, l’aire que j’ai l’honneur de vous envoyer ici. Il s’en acquittait avec tant de bonne grâce, qu’il méritât beaucoup d’approbation…. Notre Academie a fait traduire et imprimer un livre contenant l’histoire de Japon. C’est le premier livre russe que nous avons de cette faèon. La carte générale de Russie que M-r Ivan Kiriloff a fait graver est achevée. Elle a été présentée à Sa Majesté l’Imperatrice la semaine passée. On n’en peut pas encore avoir de telles cartes illuminées autrement; je vous enverai un exemplaire avec S. E. M-rd Farbes qui m’a honoré de sa bienveillance et de son amitié pendant qu’il était ici. Je tacherai pourtant de profiter d’une autre occasion pour vous renvoyer. Quoique pour dire la vérité je préfère la carte générale de Russie de M-r Strahlenberg beaucoup à celle-ci, puisqu’elle est plus pleine. Cependant quand celle de M-r de l’Isle sera achevée, elle sera sans doute parfaite que toutes les deux.

VI. Отъ неизвѣстнаго.

1736 г. Авг. 10, изъ Петербурга. О прибавкѣ жалованья хотя тысячу рублей чаялъ-было, однакоже воспрепятствовало тому дѣло брата вашего съ мачихою вашею, по которому вы всѣ обвинены и на вашу персону положено иску 21 тысяча слишкомъ кромѣ того, что впредь прибавится, да съ того иску пошлины, однакоже во извѣстіе вамъ данному, что мачиха съ вашей персоны и съ князя Сергѣя ничего брать не намѣрена, а говоритъ, что ежели-де онъ отпишетъ ко мнѣ, да пришлетъ какую галантерею, то на томъ-де у насъ и сдѣлка будетъ и крѣпость какую-де хочетъ дамъ. Того ради не соизволите-ли отписать къ ней въ почтительныхъ и благопріятныхъ терминахъ и притомъ прислать ей изъ галантереи какую нибудь, ефимковъ десятка 2 или 3, а паче такую, какая къ уборамъ женщины прилична или шитыхъ или тканыхъ, что только-бъ курьозно и новомодно было. Дай Боже, чтобъ сія тягость съ васъ благополучно сошла, а о снятіи пошлины въ покорныхъ терминахъ изволите черезъ письмо просить оберъ-камергера притомъ напомяиуть прошеніемъ о прибавкѣ жалованья. Сія прошу изодрать.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Приложенная похвальная пѣснь трудами вашего сіятельства сочиненная, о ученыхъ людяхъ, заслуживаетъ себѣ полную похвалу; мнѣ только видится два слова перемѣнить надлежитъ, что я и учиню, сыскавъ къ тому надежнаго человѣка …. а какъ переправлю пришлю къ вашему сіятельству, почему сами изволите уразумѣть, для чего перемѣнено. (Имя не разобрано).

VII. Отъ Ильинскаго.

18 іюня 1736 г. нынѣ работаю по домамъ, а наипаче тридневною по вся недѣли и по утру и по полудни въ Академіи броднею весьма отягощены: работа состоитъ въ переводахъ розданныхъ намъ россійскихъ старинныхъ лѣтописцевъ на латинской языкъ, а бродня въ уставленныхъ конференціяхъ, гдѣ всякъ свой русской переводъ читаетъ, а прочіе всѣ обще для лучшей чистоты разсуждать и исправлять должны, и потому малѣйшее насъ число собраніемъ нарѣчено . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Въ доплату за собакъ денегъ его свѣтлость князь Константинъ Дмитріевичи не отрицается, только я не смѣю докучать, понеже великое и безпокойное принужденіе отъ полиціи происходитъ о достройкѣ каменнаго двора, чтобъ и по задней линіи двойны аппартаменты построены были и внутри двора чтобы ничего деревяннаго не было.

Требуемыя свѣтлостью вашею книги я отъ г. Шумахера на щотъ получилъ и для отсылки вручилъ здѣшнему купцу ВульФсу; онъ обѣщался на первомъ кораблѣ отправить къ кореспонденту своему г. Голдену. Въ зачетъ оныхъ книгъ отдалъ я г-ну Шумахеру 13 портретовъ по 60 к., также и 25 шеленговъ за математическіе инструменты обѣщалъ онъ въ щотъ принять. Атласъ Ивана Кирилова, который нынѣ на Уфѣ въ рангѣ бригадира, еще долго… сказывалъ мнѣ Шумахеръ, свѣта не увидитъ. Г. Хрипуновъ сказалъ, что книга его умерла, попавши въ нѣкоторыя руки а въ чьи того не объявилъ. О двухъ свѣтлости вашей книгахъ Исторіи Россійской, его свѣтлость кн. Константинъ Дмитріевичи сказалъ, что оставлены въ Москвѣ и съ прочими вещами въ сундукахъ запечатаны, которыя безъ ихъ прибытія камерашу вынуть не можно . . . . . . . . . . . . .

VIII. Два письма Вольтера.

Оба приводимыя нами письма напечатаны въ «Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire 1860», съ слѣдующимъ поясненіемъ:

Grâce à des récentes découvertes, la correspondance de Voltaire, qu’on peut considérer comme le monument le plus curieux de l’esprit fran-èois au dix-huitième siècle, a reèu, dans ces dernières années, de précieuses additions. Nous y apportons aujourd’hui un modeste contingent de deux nouvelles lettres, et les lecteurs du Bulletin nous sauront gré de leur offrir la primeur de cette friandise littéraire. Ces deux lettres, dont nous garantissons l’authenticité[1], ont un intérêt qui semble s’accroître de cette cirsonstance qu'étant toutes deux adressées au même personnage, le prince Antiochus Cantemir, et écrites à des intervalles assez rapprochés, elles se complètent Tune par l’autre; elles sont d’une grande clarté, comme tout ce qui émane de la plume du célèbre écrivain, mais les cent vingt années qui nous séparent de leur date, ont pu amener l’oubli de quelques-uns des faits qui y sont tou chés, et l’obscurcissement de certaines allusions: aussi avons-nous pensé qu’il ne seroit pas hors de propos de les faire précéder d’une courte explication. Dans son Histoire de Charles XII, dont la première édition parut en 1731, Voltaire apprécie en ces termes la défection du prince Démétrius Cantemir qui, pendant la guerre de 1710, abandonna la parti du sultan pour celui du czar: «Un Grec nommé Cantemir, fait prince de Moldavie par les Turcs, se jeta dans le parti du czar qu’il regardoit déjà comme un conquérant, et ne fit point de difficulté, de trahir le sultan dont il tenoit sa principauté, en faveur d’un chrétien dont il espéroit de plus grands avantages. Le czar ayant donc fait un traité secret avec ce prince et l’ayant reèu dans son armée, s’avanèa dans ce pays et arriva, au mois de juin 1711, sur le bord septentrional du fleuve Hérase, aujourd’hui le Pruth, près d’Yassi, capitale de la Moldavie»[2].

Le prince Démétrius étoit mort dès 1723, mais son fils Antiochus Cantemir se trouvant à Paris en 1739, en qualité d’ambassadeur de Bussie, y vit Voltaire et réclama contre le passage que nous venons de citer, insistans surtout; à ce qu’il semble, sur l’erreur où etoit tombé l'écrivain franèois, en attribuant à sa famille une origine grecque, tandis qu’elle descendoit des princes tartares. Voltaire, qui alors préparoit un nouvelle édition de l’Histoire de Charles XII, promit de faire droit aux justes réclamations du prince; il mit même sous ses yeux la copie d’un nouveau passage rectifié, l’assurant qu’il ne lVnverroit à son imprimeur en Hollande qu’avec sa permission; quoi qu’il en soit, ces changements, approuvés selon toute vraisemblance par le prince, 11e furent pas insérés dans la nouvelle édition; on verra dans la seconde lettre comment Voltaire s’en excusa. Le prince Cantemir renouvella sans nul doute ses plaintes; sans doute aussi Voltaire prit de nouveaux engagements pour une prochaine édition, mais la mort du jeune prince, arrivée prématurément à Paris en 1744,[3] mit fin à des réclamations qui ne dévoient jamais être satisfaites d’un côté, et d’autre part à des promesses dont nous croyons avoir lieu de suspecter la sincérité. Cependant Voltaire substitua plus tard au passage qui avait si légitimiment offusqué le prince Antiochus Cantemir une rédaction nouvelle et définitive, dans laquelle il est vrai qu’il tint compte, dans une certaine mesure, des observations de celui-ci, mais la forme en est telle que peut-être Voltaire n’eût pas osé la publier de son vivant. A défaut les modifications primitivement projetées, qui ne virent jamais le jour et que connut seul, sans doute, le prince Cantemir, nous croyons qu’il ne sera pas sans intérêt de reproduire la nouvelle version et de la rapprocher de ces deux lettres avec lesquelles elle contraste d’une faèon si piquante par le ton et par la forme.

"La Moldavie étoit alors gouvernée par le prince Cantemir, Grec d’origine, qui réunissoit les talents de anciens Grecs, la science des lettres et celle des armes. On le faisoit descendre du fameux Timur, connu sous le nom de Tamerlan. Cette origine paraissoit plus belle qu’une grecque; on prouvoit cette descendance par le nom de ce conquérant. Timur, dit-on, ressemble à Témir; le titre de kan, que possédoit Timur avant de conquérir l’Asie, se retrouve dans le nom de Cantemir: ainsi le prince Cantemir est descendant de Tamerlan. Voilà le fondement de la plupart des généalogies. De quelqu lunaison que fût Cantemir, il devoit toute la fortune à la Porte ottomane. A peine avoit-il reèu l’investiture de la principauté qu’il trahit l’empereur turc, son bienfaiteur, pour le czar dont il espéroit davantage. Il se flattoit que le vainqueur de Charles XII triompher oit aisément d’un vizir peu estimé, qui n’avoit jamais fait la guerre et qui avoit choisi pour son lieutenant l’intendant des douanes de Turquie. Il comp"toit que tous les Grecs se rangeroient de son parti; les patriarches grecs l’encouragèrent à cette défection. Le czar ayant donc fait un traité secret avec ce prince, etc., etc."[4]. J. E. G.

Monseigneur, — J’ai à Votre Altesse bien des obligations. Elle daigne me faire connoître plus d’une vérité dont j'étois assez mal informé, et elle m’instruit d’une manière pleine de bonté qui vaut bien autant que la vérité même. Je lis actuellement l’histoire ottomane de feu M. le prince Cantemir votre père, que j’auray l’honneur de vous renvoyer incessament et dont je ne puis trop remercier Votre Altesse[5]. Vous me pardonnerez, s’il vous plaît, d’avoir été trompé sur Votre origigine. La multiplicité des talents de monsieur le prince votre père, et des vôtres, m’avoit fait penser que vous deviez descendre des anciens Grecs; et je vous aurois soupèonné de la race de Périclès plutôt que de celle de Tamerlan. Quoi qu’il en soit, ayant toujours fait profession de rendre hommage au mérite personnel plus qu'à la naissance, je prends la liberté de vous envoyer la copie de ce que j’insère sur votre illustre père dans mon histoire de Charles douze qu’on réimprime actuellement, et je ne l’enverrai en Hollande que quand j’auray appris d’un de vos secrétaires que-vous m’en donnez la permission.

Je trouve dans l’Histoire ottomane écrite par le prince Démétrius Cantemir[6], ce que je vois avec douleur dans toutes les histoires: elles sont les annales des crimes du genre humain; je vous avoue surtout que le gouvernement turc me paroît absurde et affreux. Je félicite votre maison d’avoir quitté ces barbares en faveur de Pierre le Grand qui cherchoit au moins à extirper la barbarie, et j’espère que ceux de votre sang qui sont en Moscovie serviront à y faire fleurir les arts que toute votre maison semble cultiver; vous n’avez pas peu contribué sans doute à introduire la politesse qui s'établit chez, ces peuples, et vous leur avez fait plus de bien que vous n’en avez reèu. Ne seroit-ce pas trop abuser de vos bontés, Monseigneur, que d’oser prendre la liberté de vous faire quelques questions sur ce vaste empire qui joue actuellement un si beau rôle dans l’Europe et dont voi>: augmentez la glaire parmi nous?

On me mande que la Russie est trente fois moins peuplée qu’elle ne l'étoit il y a sept ou huit cents ans. On m'écrit qu’il n’y a qu’environ cinq cent mille gentilshommes, dix millions d’hommes payant la taille, en comptant les femmes et les enfants, environ cent cinquante mille ecclésiastiques, et c’est en ce dernier point que la Russie diffère de bien d’autres pays de l’Europe, où il y a plus de prêtres que de nobles: on m’assure que les cosaques de l’Ukraine, du Don, etc., ne montent avec leurs familles qu'à huit cent mille âmes, et qu’enfin il n’y a pas plus de quatorze millions d’habitants dans ces vastes pays soumis à l’autocratrice[7]; cette dépopulation me paroît étrange, car enfin je ne vois pas que les Russes aient été plus détruits par la guerre que les Franèois, les Allemands, les Anglois, et je vois que la France seule a environ dix-neux millions d’habitants. Cette disproportion est étonnante. Un médecin m’a écrit que cette disette de l’espèce hnmaine devoit être attribuée à la vérole qui y fait plus de ravages qu’ailleurs, et que le scorbut rend incurable. En ce cas, les habitants de la terre sont bien malheureux. Faut-il que la Russie soit dépeuplée parce qu’un Génois s’avisa de découvrir l’Amérique il y a deux cents ans.

J’entends dire d’ailleurs que toutes les grandes idées du czar Pierre sont suivies par le présent gouvernement; comme parmi ses projets celui de montrer de la bonté aux étrangers étoit un des principaux, je me flatte, Monseigneur, que vous l’imiterez et que vous pardonnerez toutes ces questions qu’un étranger ose vous adresser. Il y a peu de princes auxquels on demande de pareilles grâces, et vous êtes du très-petit nombre de ceux qui peuvent instruire les autres hommes.

Je suis avec un profond respect, Monseigneur, de Votre Altesse, le très-humble et trés-obéissant serviteur, Voltaire.

A Cirey en Champagne, ce 13 mars 1739.

A Cirey, ce 19 avril 1739.

Monseigneur, — J’apprends avec chagrin que l'édition des Ledet est déjà faite. Je leur ordonne de faire un carton consernant ce qui regarde votre illustre père, mais les ordres des auteurs ne sont pas plus exécutés par les libraires que ceux du divan ne le sont par les arabes voleurs. J’ai écrit et je vais écrire encore, mais je ne réponds pas de l’autorité de mon divan. J’ai l’honneur de renvoyer à Votre Altesse l’Histoire ottomane quelle a bien voulu me prêter et c’est avec regret que je la rends. J’y ai appris beaucoup de choses. J’en apprendrois encore davantage dans votre conversation, car je sais que vous êtes doctus sermonis eujuscumque linguae et cujuscumque artis.

Je renvoie l’Histoire ottomane par le carrosse public de Bar-sur-Aube qui part mercredi prochain 22 du mois; le paquet est à votre adresse à votre hôtel, et les registres du bureau public en sont chargés à Bar-sur-Aube; si on ne le porte pas chez vous, Monseigneur, vous pouvez envoyer vos ordres au bureau de Paris. J’ai plus d’une raison de me plaindre de la précipitation de mes libraires, ils s’empressent de servir des fruits qui ne sont pas mûrs; mais de quelque mauvais goût qu’ils soient, j’auray l’honneur, Monseigneur, de vous présenter dès que je pourrai en avoir. Je sais que vous faites (naître?) sous vos mains les fruits et les fleurs de tous les climats; les langues modernes et les anciennes, la philosophie et la poésie vous sont également familières, votre esprit est comme l’emprire de votre autocratrice qui s'étend sur des climats opposés, et qui tient la moitié d’un cercle de notre globe.. Parmi les Franèois qui connoissent votre mérite, il n’y en a point, Monseigneur, qui soit avec plus de respect que je suis. Votre très-humble et très-obéissant serviteur, Voltaire.

IX. Отъ B. K Тредіаковскаго 1).

Monseigneur! --Quoique j’importune Votre Altesse par celleci, toute fois j’ai aimé mieux être importun de la sorte qu'être ingrat à son égard. En vérité, Monseigneur, j’ai prétendu seulement par ma prémière de n'être point effacé du souvenir de Votre Altesse, mais j'étois bien éloigné d’aspirer aucunement à l’honneur de récévoir sa gracieuse lettre, sachant bien qu' elle a beaucoup d’occupations plus sérieuses sans prendre garde à me repondre. Et comme il lui a pourtant plû de s’abaisser jusqu'à moi, j’ose l’assurer de mon côté, que je lui suis rédévable sans reserve. Heureux si elle me trouvoit utile à quelque chose pour son service dans ce pays-ci, afin de lui pouvoir démontrer plutôt par des effets, que par des paroles, les sentimens les plus empressés et les plus respectueux, avec lesquels le suis et dois être, plus que personne, Monseigneur ! De Votre Altesse, le très-humble, très-obéissant serviteur B. Trediahoffshi.

à St. Pétersbourg. Le 16/27 de May 1743.

P. S. Qu’il plaise à V. Altesse à ordonner de remettre cijointe au Sr. Vitynski Etudiant. J’y ai mis exprès le cachet volant, afin qu’Elle puisse voir ce que je lui écris pour le rappeler dans son Ukraine.

1) Письмо это напечатано въ «Отеч. Запискахъ» Свиньина (1822, ХІІІ, № 34, стр. 301—304). Кантемиръ, получивъ въ Парижѣ, въ концѣ 1742 г., книгу Тредіаковскаго «Новый и краткій способъ къ сложенію Россійскихъ стиховъ» и пр. прислалъ въ началѣ 1743 г. кн. Н. Ю. Трубецкому свое «Письмо Харитона Макентина» (см. въ началѣ этого тома, стр. 1—20), въ которомъ съ похвалой отозвался о трудѣ Тредіаковскаго.



  1. Nous les avons copiées sur les originales qui appartiennent à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg.
  2. Histoire de Charles XII, t. II, p. 71; 1-re édition. Bâle, 1731.
  3. Le prince Antiochus Cantemir n’avoit alors que trente-quatre ans.
  4. Voy. l'édilion de 1751 et toutes celles qui l’ont suivie.
  5. Dans une lettre adressée à M. de La Noue et datée de Cirey, le 3 avril 1739, Voltaire dit: "L’Histoire de Charles XII m’a mis dans la "nécessité de lire quelques ouvrages historiques consernant le Turcs. J’ai «lu entre autres, depuis peu, l’Histoire ottomane du prince Cantemir, etc.» (Corresp. générale, t. LXIII de l'édition Beuchot).
  6. Histoire de Vagrandissement et de la décadence de Vempire ottoman. L’original latin est demeuré manuscrit; il fut traduit pour la première fois en anglois par Nic. Tindal (Londres, 1734; 2 vol. in — loi.). De Jonquiêres l’a traduit en franèois sur la version angloise (Paris, 1743 in — fol.), et deux ans plus tard, Schmidt l’a traduit en allemand (Hambourg, 1745, in — 4). C’est donc la traduction angloise que Voltaire avoit entre les mains en 1739, a moins que le prince Antiochus Cantemir ne lui eût confié le manuscrit original latin, ce que nous serions tenté de croire à l’empressement avec lequel Voltaire achève sa lecture, au soin qu’il prend de le retourner exactement à son propriétaire, et aux précautions dont il use pour que le précieux volume ne s'égare pas (Voy. la 2-e lettre) — On trouve dans la préface placée en tête de l’Histoire de Charles XII, édition de 1751, un passage où il est question de l'Histoire ottomane du prince Cantemir: («Consultez», y est-il dit, «les véritables annales turques recueilliespar le prince Cantemir, vous verrez combien ces mensonges sont ridicu-- les.» Ce passage, omis dans toutes les éditions suivantes, a été retablfe pans l'édition Beuchot.
  7. L’impératrice Anna Ivanowna.